En 1985, Kroto, Curl et Smalley découvrent une étrange molécule constituée de 60 atomes de carbone (le C60) et ayant la forme d'un icosaèdre tronqué qu'ils nomment buckmisterfullerene en référence à l'architecte Richard Buckminster Fuller qui réalisa des dômes géodésiques dans les années 60. Plusieurs autres fullerènes ont été découverts depuis, dont les C70, C76, C78 et C84, et tous constituent une nouvelle forme allotropique du carbone. Le plus abondant est le C60. Il est formé de 12 pentagones et de 20 hexagones et a exactement la forme d'un ballon de football. Si le C60 possède des propriétés optiques (limitation optique) et électroniques remarquables (il peut accepter réversiblement jusqu'à 6 électrons), il est cependant très peu soluble dans les solvants organiques et a une forte tendance à former des agrégats à l'état solide, ce qui le rend difficile à manipuler et à étudier. Depuis le début des années 90, alors qu'il est possible de le préparer en quantité raisonnable, les chimistes se sont intéressés à sa fonctionnalisation afin de contourner ces problèmes.
• L'une des pistes est d'associer le C60 aux cristaux liquides. Alors que ceux-ci font partie de notre quotidien depuis les années 70 (affichage digital de montres, d'autoradios…), la recherche dans ce domaine est encore très féconde, comme en témoigne le développement récent des écrans LCD pour les ordinateurs et les télévisions. Les cristaux liquides sont constitués de molécules organiques capables de s'auto-assembler pour former des réseaux supramoléculaires. Outre leur utilisation dans le domaine de l'affichage, ils constituent des outils de choix pour la réalisation de matériaux organisés.
• Ainsi, l'un des axes de recherche de l'Institut de chimie de l'université de Neuchâtel est la synthèse de cristaux liquides contenant du fullerène, afin d'étudier les relations entre la structure des produits et les propriétés liquides-cristallines qu'ils développent. Cette approche fondamentale pourrait déboucher vers la création de composés organiques contenant plusieurs unités électroactives capables de s'organiser via des propriétés liquides-cristallines et former ainsi des films organiques de bonne qualité susceptibles de conduire à la réalisation de cellules photovoltaïques organiques.
• La fonctionnalisation du fullerène par des dendrimères liquides-cristallins (molécules arborescentes) a conduit à plusieurs familles de composés qui ont tous présenté des phases smectiques A, c'est-à-dire des organisations de type lamellaire (cf. figure 1).
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• Fig. 1 : exemple de dendrimère de deuxième génération présentant une phase smectique A (Tg : transition vitreuse, SA : phase smectique A, I : état liquide isotrope).
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• Photographie de la texture de la phase SA (coniques focales et zones homéotropes) prise au microscope à lumière polarisée (grossissement X 100).
• L'étude par diffraction des rayons X réalisée dans la mésophase* a permis de déterminer les distances interlamellaires (c'est-à-dire entre les plans smectiques), et par la suite de comprendre l'organisation supramoléculaire des fullerènes au sein des mésophases. Dans le cas du composé de deuxième génération (qui contient deux points de ramifications successifs), la taille relative des sous-unités (fullerène et dendron cyanobiphényle), ainsi que les interactions entre sous-unités de même nature créent des zones de micro-ségrégations qui conduisent à une organisation en bicouche (cf. figure 2).
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• Fig. 2 : Organisation supramoléculaire du dendrimère de deuxième génération au sein de la phase smectique A (à gauche représentation schématique d'une phase SA).
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L'association d'oligomères conjugués au composé liquide-cristallin précédent a permis de réaliser des modèles pour l'étude des transferts d'électrons photo-induits entre un donneur d'électrons et le C60 en milieu organisé. Tout comme leur précurseur, les dyades C60-OPV (oligophénylènevinylène) de la figure 3 développent des phases smectiques A.
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• Fig. 3 : Structure des dyades C60-OPV liquides-cristallines.
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De plus, ces composés présentent des transitions vitreuses : en dessous d'une certaine température, la mésophase se fige et l'organisation supramoléculaire est conservée. Le dendrimère liquide-cristallin se limite ici à créer une architecture ordonnée pour permettre l'obtention de films organiques de bonne qualité. Les premiers résultats obtenus sont certes intéressants, mais il apparaît qu'après excitation lumineuse du fullerène, le retour à l'état fondamental se fait selon un mécanisme de transfert d'énergie plutôt que d'électrons. Les recherches continuent donc à l'université de Neuchâtel, d'une part pour améliorer la compréhension des relations qui lient la structure des dendrimères contenant du fullerène à leurs propriétés mésomorphes, et d'autre part pour développer des applications. Pour cela, l'organisation de fullerènes contenant des groupements électrodonneurs dans des phases colonnaires semble être une piste prometteuse en vue d'applications dans le domaine photovoltaïque. En effet, il est connu que les phases colonnaires donnent lieu à une bonne mobilité des charges le long de l'axe de la colonne.
Stéphane Campidelli
Institut de Chimie
Université de Neuchâtel
Tél. 41 32 718 24 59
stephane.campidelli@unine.ch