Alors qu’approche le 500e anniversaire de la naissance d’Antoine de Granvelle (1517 – 1586), Biblissima, Observatoire du patrimoine écrit du Moyen Âge et de la Renaissance, révèle et diffuse sur le net la richesse de la bibliothèque de l’érudit comtois, assortie de commentaires scientifiques inédits. La Bibliothèque d’Études et de Conservation de Besançon et l’ISTA participent à ce projet labellisé EquipEx.
Humaniste, polyglotte et riche, Antoine Perrenot de Granvelle, serviteur du Saint-Empire Germanique, était un grand mécène, un collectionneur passionné et un admirateur de l’Antiquité. Conseiller de l’empereur Charles Quint, puis de son fils le roi Philippe II d’Espagne, il occupe parallèlement des fonctions parmi les plus hautes de l’Église catholique dont il est cardinal. Son influence culturelle et politique s’étend à toute l’Europe, comme en témoigne entre autres sa correspondance : des milliers de lettres en différentes langues écrites de sa main sont conservées dans les principales capitales européennes. On trouve aussi à Vienne, à Madrid ou à Bruxelles des ouvrages qui lui ont appartenu. S’il est difficile de reconstituer sa bibliothèque, jugée fabuleuse, après le pillage dont elle a fait l’objet dans ses deux demeures des Flandres ou encore de probables ventes par ses héritiers, il subsiste à Besançon, où il disposait d’un palais (actuel musée du Temps), une collection d’ouvrages de grande valeur, qu’il a acquis ou hérités de son père Nicolas de Granvelle, transmis jusqu’à nous par le legs de l’abbé Boisot.
La collection Granvelle et ses manuscrits anciens sont au cœur des recherches effectuées à l’université de Franche-Comté par une équipe de l’ISTA, dans le cadre du projet national Biblissima, élu EquipEx en 2011 au titre des Investissements d’Avenir. La bibliotheca bibliothecarum novissima est numérique, et met à disposition sur le net un ensemble de documents du patrimoine écrit du Moyen Âge et de la Renaissance.
Si les collections d’autres érudits humanistes comtois tels la famille Chifflet, célèbre à Besançon, Gilbert Cousin, le dernier secrétaire d’Erasme, ou Antoine Lafrery, imprimeur à Rome, sont dignes du plus grand intérêt, la collection Granvelle « compte à elle seule pas moins de cent cinquante manuscrits, la plupart dédiés à l’Antiquité, et pour certains richement enluminés », déclare Rudy Chaulet, enseignant-chercheur à l’ISTA. Les ouvrages, imprimés en nombre limité, se vendaient sous la forme de cahiers, puis étaient reliés spécialement pour leur acquéreur, portant même ses armoiries, comme l’aigle bicéphale couronnée, symbole de l’Empire, incluse dans les armes des Granvelle.
Les imprimés se comptent par centaines dans la collection du célèbre Bisontin, dont la naissance en 1517 intervient moins de soixante-dix ans après celle de l’imprimerie. Mais les manuscrits continuent à y figurer en bonne place. Ce sont eux qui ont intéressé la première étape du projet Biblissima (2012 – 2014). « L’objectif est de compléter d’informations nouvelles les inventaires et les catalogues réalisés par le passé. Détaillées et fiables, les notices sont diffusées sur le net avec les textes originaux », explique Thomas Pelletier, doctorant en lettres classiques qui, avec Laura Perrey, doctorante en espagnol, s’est lancé dans une étude bibliographique, lexicographique et thématique des notices de ces ouvrages.
Calligraphiés par les auteurs eux-mêmes ou par des copistes, en grec, latin, arabe, espagnol, allemand ou flamand, illustrés d’enluminures richement colorées et dorées à l’or fin, parchemins, vélins, papiers reliés de velours, de veau ou de maroquin, aux couvertures ornées de motifs personnalisés, les manuscrits de la collection Granvelle sont d’une beauté et d’un intérêt exceptionnels.
À l’aube de l’avènement de l’imprimerie, Philippe le Bon règne sur le duché et le comté de Bourgogne, la Bourgogne et la Franche-Comté actuelles. C’est à Dole qu’il choisit, en 1423, de fonder une université.
Le droit canon, le droit civil, les arts et la médecine y sont tout de suite enseignés, rejoints en 1437 par la théologie. Certains y suivent un enseignement choisi pour obtenir le diplôme qui facilitera leur accession à une meilleure condition sociale. Nicolas de Granvelle en fait partie. Les monarchies de l’époque ont un grand besoin de juristes, et l’enseignement dispensé à Dole est d’excellente réputation ; son diplôme de droit l’aidera à ouvrir les portes de l’administration impériale de Charles Quint, dont il devient un conseiller privilégié. Son fils, Antoine de Granvelle, appartient à la seconde génération d’étudiants qui, aisés, sans souci pour leur avenir, peuvent se permettre d’acquérir une culture plus vaste en suivant les enseignements de l’université. Mais c’est à l’université de Bologne, plus grande, plus prestigieuse, qu’il forgera sa culture d’humaniste. « Antoine de Granvelle reste néanmoins très attaché à l’université de Dole, où a été formé son père, et qu’il souhaite voir continuer à dispenser un enseignement de qualité », précise Rudy Chaulet.
L’université de Dole compte plus de deux cents étudiants. L’abbé Boisot, dépositaire des collections Granvelle et créateur de la bibliothèque municipale de Besançon, figure sur ses registres, de même que que Simon Renard, « ambassadeur de Charles Quint et espion » ou encore Jean-Jacques Chifflet, qui sera l’un des médecins de Philippe IV d’Espagne.
Au XVIIe siècle, les rois d’Espagne, montrant pourtant peu d’ingérence dans les affaires de la Comté qu’ils administrent de loin, multiplient les ordonnances pour interdire aux étudiants de s’inscrire dans d’autres universités. Mais c’est une décision d’une tout autre nature qui met fin à la vie universitaire à Dole. À la signature du traité de Nimègue en 1678, la Franche-Comté devient française.
Louis XIV décide en 1691 de transférer l’université, tout comme la capitale, de Dole à Besançon, pour punir la première de son attachement à l’Espagne.
L’université a vécu à Dole près de deux cent soixante-dix ans. L’histoire se poursuit depuis à Besançon…
À leurs qualités techniques et esthétiques s’ajoute l’importance des textes publiés. Ceux des auteurs grecs, Plutarque, Hérodote ou Homère, et latins, Cicéron, Virgile ou Pline l’Ancien, pour ne citer qu’eux, font voisiner les œuvres de l’Antiquité aux côtés de celles de la Renaissance italienne, d’ouvrages historiques et religieux, dans une bibliothèque témoin des goûts littélittéraires et culturels d’une époque remarquable, en plein cœur de l’Europe. Après ce premier volet, Biblissima se consacrera ensuite aux imprimés et à leurs tout premiers exemplaires, les incunables, ainsi qu’aux monnaies, elles aussi objets d’importantes collections en Franche-Comté.
Sources iconographiques : Bibliothèque d’étude et de conservation de Besançon
Contact : Rudy Chaulet
ISTA — Institut des sciences et techniques de l’Antiquité
Université de Franche-Comté
Tél. (0033/0) 3 81 66 51 42