Si la philosophie caractérise l’éthique comme « l’ensemble des règles et des normes qui régissent le comportement d’un groupe humain pour assurer son bien-être », certains déclinent cette définition au singulier, partant de l’individu et non pas seulement du groupe, d’autres la confondent avec la morale, selon qu’on prête une racine grecque ou latine à sa définition, d’autres encore réfutent cet amalgame.
L’éthique en tout cas ne fonctionne pas seule. En permanente évolution, elle a maille à partir avec la loi, s’adosse à des choix de société, évolue avec la pensée et le progrès technologique. De multiples articulations appelant des adaptations et une réflexion constantes, pour un concept tout en nuances.
– Des situations singulières défrayant la réflexion
– Situations complexes cherchent cadre juridique
– Pallier les déficits du droit par la raison
– L'éthique en entreprise, entre stratégie et sincérité
L’éthique est-elle universelle ? Et à quels aspects de cette large notion fait-on référence quand on parle d’éthique ? Marc-André Weber, doctorant en philosophie à l’université de Neuchâtel, préfère évoquer l’éthique collective, celle qui régit les relations humaines et fonde l’idée du bien pour tous.
Le débat éthique ne se présente pas de la même façon d’un régime politique à un autre, d’une démocratie à une dictature. « Les considérations éthiques dépendent bien plus de la politique qu’on ne le croit », explique Marc-André Weber, pour qui l’éthique ne s’exprime pleinement que dans la République. Et c’est encore un choix relevant du politique que de répartir les compétences entre la collectivité et l’individu en matière d’éthique.
« En Suisse, où la vie publique est plus contraignante qu’en France, où l’individu est régulièrement sollicité dans la prise de décision publique, on est plus tolérant en matière d’affaire privée », explique le chercheur.
La question de l’euthanasie reste par exemple une affaire privée, sans réel impact sur la collectivité. Des mesures sont prises pour uniformiser les pratiques et limiter les abus, mais elles tiennent davantage du pragmatisme que de la mise en place d’une législation. « L’insertion de la collectivité dans ce type de décision signifierait tuer le caractère privé de la question. »
La donne est différente en France, où « le corps politique apparaît discrédité et où on cherche à se reconstruire autour des valeurs de la République. Cela explique qu’on veuille faire entrer ce sujet dans la sphère publique plutôt que le laisser au choix individuel ».
Le débat est difficile, souvent passionné, et toujours douloureux dès lors qu’il met en exergue un cas particulier sous les feux médiatiques. Chef du service Gériatrie et du service Soins palliatifs au CHRU de Besançon, directeur de l’Espace de réflexion éthique Bourgogne – Franche-Comté, Régis Aubry est également impliqué dans de nombreuses responsabilités au niveau international. Il pointe le caractère singulier des situations rencontrées, expliquant que chacune apporte de nouveaux questionnements auxquels il semble bien délicat de répondre par la loi, normative par essence.
Mais si le droit ne saurait résoudre la complexité et les dilemmes de la condition humaine à force de décrets, la médecine ne peut pas davantage les comprendre seule. Elle a besoin de recourir à d’autres expertises, notamment celles des sciences humaines. Un credo que Régis Aubry concrétise depuis sept ans autour de l’axe Éthique et progrès médical qu’il anime en collaboration avec des philosophes, des psychologues, des sociologues et des anthropologues.
Le travail des spécialistes est novateur à deux titres au moins : l’équipe rédige à plusieurs mains des projets de recherche à la transdisciplinarité inédite qui se traduit en tout ou partie par des études qualitatives, une approche encore bien peu répandue dans le monde de la recherche médicale en France. Les processus sont longs, mais riches de nouveaux enseignements.
Ils devraient bientôt apporter leurs premières conclusions sur des sujets au cœur de l’éthique, comme la question de la nutrition chez des personnes atteintes de cancers en phase palliative, entre ressorts archaïques liés à l’alimentation et raison médicale, ou la question de la situation des personnes en état végétatif chronique et la perception qu’en ont leurs proches. Peut-on affirmer la perte de conscience chez ce patient et faire renoncer à tout espoir ? Ne doit-on pas prendre un certain recul et se garder de tirer des conclusions définitives des résultats de l’imagerie cérébrale, malgré ses performances ?
« L’éthique donne un éclairage sur la complexité de ces situations. Elle questionne les limites de la vie, du savoir, du progrès, des personnes, et porte sans cesse de nouvelles incertitudes. C’est en ce sens que l’idée de la loi arrive en contradiction », estime Régis Aubry.
Cependant, droit et éthique cheminent ensemble du mieux qu’ils peuvent. « Même si le droit se montre imparfait, même s’il n’est pas satisfaisant car il lui est difficile de tout prévoir ou d’intégrer certaines évolutions scientifiques, il reste l’élément rassurant devant des questions très complexes auxquelles le citoyen peut difficilement répondre seul », estime Sophie Chauveau, enseignante-chercheuse en histoire à l’UTBM.
Sophie Chauveau s’intéresse depuis vingt ans à l’évolution du domaine de la santé en France. Elle remarque que c’est dans les années 1990 qu’apparaissent de nouvelles formes de débat sur ces questions et que s’impose la réponse de la justice.
L’une de ses recherches concerne le recours de plus en plus fréquent à des éléments du corps humain à des fins thérapeutiques ou de recherche. Il peut s’agir de valves cardiaques tout comme de têtes fémorales, de tissus comme de fluides : aujourd’hui la récupération de ces éléments suppose une préparation, un suivi, une circulation qui échappent encore à tout statut juridique. Avec, sous-jacente, la question du vouloir de la personne concernant l’utilisation des organes ou tissus qu’elle se voit prélever.
Ce type de débat fait écho aux questionnements sur le don du sang dans les années 1960. L’anonymat, l’absence de profit et le bénévolat sont des principes inaltérables qui, depuis, sont inscrits dans la loi et fondent l’éthique du don du sang en France. Cependant, il n’est nulle part question des quelques pour-cent de prélèvements sanguins utilisés à la mise au point de réactifs ou au développement de nouvelles méthodes diagnostiques, des projets mêlant recherche et industrie avec la plupart du temps une finalité économique. Même si la santé publique reste le but ultime, le processus peut heurter la conception du don pour le soin au patient.
La prison n’est pas un endroit pour mourir. Un avis partagé par les acteurs concernés, médecins, soignants, surveillants, conseillers pénitenciaires d’insertion et de probation (CPIP), pour qui cette situation s’apparente à une double peine. Quelqu’un qui est en train de mourir doit-il continuer à payer sa dette ? Jusqu’où va-t-on dans le châtiment ? sont les questions qui taraudent les esprits. En France, une loi votée en 1994 prévoit des moyens pour que l’enfermement ne soit plus synonyme de discrimination, et fait du soin en prison une composante des missions de l’hôpital. La loi Kouchner de 2002 va plus loin en stipulant les conditions de suspension de peine pour raisons médicales, notamment lorsque les personnes sont en fin de vie. Le recours à cette loi reste cependant limité ; elle a, depuis sa mise en vigueur, motivé 985 demandes, dont 650 ont été acceptées (chiffres 2011).
Aline Chassagne et Aurélie Godard, respectivement socio-anthropologue et sociodémographe dans l’équipe de recherche Éthique et progrès médical du professeur Régis Aubry au CHRU de Besançon, ont dressé un état des lieux de la fin de vie en prison sur l’ensemble du territoire national dans une étude de grande envergure inédite en France1. Une approche qualitative a permis de réaliser des entretiens auprès de quatorze patients-détenus et des professionnels intervenant dans leur parcours, donnant ainsi l’opportunité de saisir la complexité et la singularité des situations de fin de vie en prison. « Les aménagements dans la prise en charge sont indéniables, notamment dans les UHSI (Unité hospitalière sécurisée interrégionale) créées au début des années 2000, explique Aline Chassagne. Cependant, ces mesures restent dédiées à des soins techniques, et la démarche palliative reste bien souvent inaccessible dans un environnement qui demeure carcéral, avec des soignants peu formés aux questions de fin de vie. »
Patients-détenus, détenus-malades, quel statut accorder à ces personnes que le monde médical et le monde judiciaire sont incapables de considérer du même regard ? Un choc de cultures que la loi de 2002, qui implique l’avis des deux, met bien en scène. D’un côté le médecin qui, arrivé au bout des possibilités que lui offre la science, souhaite
poursuivre sa mission auprès de son patient en lui assurant une fin de vie qu’il considère plus digne hors de l’univers carcéral ; d’un autre le juge, dont la responsabilité envers la société oblige à considérer des critères comme le type de crime ou le temps de peine déjà effectué dans la prise de décision. « Le dialogue est nécessaire entre tous les acteurs afin de pouvoir dégager la solution la plus juste », estime Aline Chassagne.
Car les situations sont toutes particulières et relèvent du cas par cas. Aucune solution satisfaisante ne saurait être proposée par la loi seule, même munie des meilleures intentions.
1 L’étude PARME a été mise en œuvre par l’équipe de recherche Éthique et progrès médical rattachée au Centre d’investigation clinique en innovation technologique de Besançon (CIC-IT), le laboratoire de Sociologie et d’anthropologie (LASA) et le laboratoire de philosophie Logiques de l’agir de l’université de Franche-Comté, et l’Espace de réflexion éthique Bourgogne – Franche-Comté.
« La solution que nous avons trouvée pour résoudre cette situation ambiguë est la transparence, explique Pascal Morel, directeur de l’Établissement français du sang Bourgogne – Franche-Comté (EFS). Les donneurs sont informés, et choisissent, ou non, de consentir à l’utilisation de leur sang à des fins non thérapeutiques. »
Et qu’il s’adresse à la sphère académique ou au monde industriel, le don ne souffre aucun intermédiaire : le terme « utilisateur » sous-tend obligatoirement le qualificatif de « final ». Contrôler le devenir des dons à chacun des maillons de la chaîne est une règle primordiale que l’EFS a mise en place à l’intérieur de sa structure, créant ses propres lois. « Le droit aura sans doute un jour à s’emparer de ce sujet. Il devra alors faire preuve d’une grande souplesse à l’intérieur du cadre qu’il proposera, car le sujet demeure extrêmement complexe. »
En attendant, les modalités de contrôle sont régulièrement remises en question car, pour être efficace et fiable, le système n’en reste pas moins apparenté à une situation fragile. Les comités d’éthique extérieurs pourraient se voir plus sollicités encore, et le Conseil d’éthique créé en interne à l’EFS au niveau national, réuni pour la première fois à l’automne 2014, apporter une réflexion complémentaire à celle des instances régionales. « Le plus sûr moyen de ne pas dériver est de s’arc-bouter sur le principe de la gratuité du don, et de vérifier que la raison guide toujours bien notre démarche », conclut Pascal Morel.
Comment faire se rencontrer la rationalité d’une démarche scientifique ou de management et la sensibilité de questions liées à la maladie, à la souffrance et à la mort ? C’est pour donner aux futurs professionnels de la santé des moyens adaptés pour gérer cette singularité que des enseignements innovants ont été mis en place dans le cadre du bachelor en soins infirmiers de la Haute école Arc Santé.
Depuis 2012, les étudiants bénéficient de moments d’échanges en groupe avec des enseignants tuteurs, préparent et exploitent leur période de formation pratique en regard de la théorie, et bénéficient de partage de ressources et d'acquis entre pairs. Les étudiants formalisent dans un portfolio leurs expériences professionnelles, auxquelles ils sont amenés à donner une dimension réflexive.
Partir de l’analyse de la pratique est très enrichissant et complète l’enseignement des grands concepts d’éthique, qu’il est bon d’ancrer dans le vécu professionnel pour les rendre plus accessibles et plus percutants. « L’idée est d’aider les étudiants à cheminer vers les questionnements éthiques, dans des situations de maltraitance, de fin de vie ou d’euthanasie par exemple, à aller vers les solutions les moins pires quand il est difficile de parler du meilleur, de leur enseigner qu’il n’y a pas de juste ni de faux », raconte Anne-Lise Guye, responsable des affaires estudiantines à la Haute école Arc Santé.
Vigilance et responsabilité ne sont cependant pas toujours de mise, et les scandales à répétition dans le monde de la santé font vaciller la notion d’éthique et donnent pleinement au droit son rôle de garde-fou. À l’université de Franche-Comté, Amandine Picard prépare une thèse de droit médical et s'intéresse notamment aux conflits d’intérêt dans le domaine de la santé. Elle montre comment le droit essaie de proposer des améliorations à la loi lorsqu’éclatent les scandales.
L’affaire du sang contaminé dans les années 1980 et 1990 est un exemple historique et tragique, où l’intérêt financier a clairement primé sur la santé du patient. Vingt ans plus tard, le scandale du Mediator fait l’effet d’une bombe, ceux des prothèses PIP et de la pilule de quatrième génération explosent à leur tour. « La mentalité française est telle qu'on a longtemps cru en la capacité de l’homme à encadrer par lui-même ses activités. Mais cela ne suffit pas », constate Amandine Picard. La loi Bertrand de 2011 est l'une des premières à tenter d'encadrer le conflit d’intérêt en France. « Ces conflits d’intérêt ont des conséquences tellement importantes et dramatiques que le droit doit se montrer réactif. Les mesures mises en place se révèlent cependant bien souvent imparfaites, du fait de la difficulté de définir avec précision ce qu'est le conflit d'intérêts. » La loi de 2011, par exemple, impose aux acteurs de la santé de fournir des déclarations publiques d’intérêts, mais sa mise en application est placée sous la responsabilité d’agences sanitaires ne disposant ni du pouvoir ni des moyens humains de vérifier ces déclarations. Ajoutée à cela la rareté de la prise de sanctions, et on situe vite la limite d’un « droit mou à l’intérieur d’un cadre normatif plus strict » concernant le conflit d’intérêt.
D’où l’importance de soumettre ces questions à des comités d’experts comme en France le CCNE, le Comité consultatif national d’éthique. Au niveau régional, une initiative comme l’EREBFC, l’Espace de réflexion éthique Bourgogne – Franche-Comté, est un relais au plus proche du terrain, et souhaite fédérer la recherche en éthique dans le domaine de la santé sur une base collaborative et transdisciplinaire.
« L’éthique et le juridique doivent débattre ensemble ! », propose lui aussi Dominique Sprumont, directeur-adjoint de l’Institut de droit de la santé à l’université de Neuchâtel qui, impliqué dans de nombreuses activités au croisement de la santé, du droit et de l’éthique au niveau international, a notamment participé à la révision de la déclaration d’Helsinki qui vient de fêter ses cinquante ans. « Ce document élaboré par l’Association médicale mondiale a longtemps pallié l’absence de législation, explique Dominique Sprumont. Il pose des principes fondamentaux et reste un document de référence utilisé dans le monde entier pour ce qui concerne la recherche impliquant des êtres humains. »
Qu’il s’agisse de développer de nouvelles thérapies ou de mettre au point des vaccins en urgence comme c’est actuellement le cas pour lutter contre le virus Ebola, dans tous les cas de figure, la protection des participants à la recherche dans le domaine biomédical est impérative. Pour sensibiliser les acteurs impliqués, Dominique Sprumont a initié une formation en e-learning : TRREE concerne l’évaluation éthique de la recherche, le consentement éclairé, les bonnes pratiques des essais cliniques, les enjeux des tests de dépistage du VIH, avec un éclairage particulier sur les adolescents, et donne des informations sur les dernières lois et directives en Europe et en Afrique.
Rédigés à l’intention des médecins, chercheurs, étudiants, membres de comités d’éthique de la recherche et agences réglementaires, les cours sont élaborés par des experts du Sud et du Nord. Disponible en français et en anglais, ainsi que dans plusieurs autres langues, le site est accessible librement et gratuitement sur http://elearning.trree.org. Depuis 2009, plus de trente mille personnes dans le monde entier ont bénéficié de cette formation en éthique de la recherche.
Si la santé est l’un des champs favoris de l’éthique appliquée, bien d’autres secteurs sont concernés, comme l’économie, où le conflit d’intérêt est également bien connu. Les scandales et les affaires aussi. La notion d’éthique investit l’entreprise dans les années 1980. Elle s’y définirait essentiellement comme un moyen de manager les comportements, et se limiterait donc à son organisation interne, se distinguant de la notion de performance sociale qui, elle, s’applique à l’ensemble des « parties prenantes », ou stakeholders, de l’entreprise.
Enseignant en sciences de gestion à l’université de Bourgogne et membre du CREGO, le Centre de recherche en gestion des organisations des universités de Bourgogne et de Franche-Comté, Samuel Mercier considère pour sa part que ces deux approches ne s’opposent pas, mais au contraire qu’elles se complètent. Il souligne les lacunes de définition de l’éthique en entreprise, qui peut facilement osciller entre utopie et manipulation. Dans son dernier ouvrage1, Samuel Mercier met le doigt sur le paradoxe que « ce sont souvent des considérations non éthiques (par exemple les risques liés à la dégradation de l’image et de la réputation, la menace de procès ou encore le risque de se voir imposer une réglementation contraignante) qui sont à la base des efforts réalisés par les entreprises pour adopter et respecter une politique éthique ».
Un constat que n’ignorent pas les chercheurs du CRESE, le Centre de recherche sur les stratégies économiques de l’université de Franche-Comté, qui s’appuient sur cette réalité pour définir les moyens qui pourraient militer en faveur de l’intérêt collectif et ainsi injecter plus d’éthique dans les systèmes économiques. De la lutte contre les cartels et ententes de toute sorte au refus du travail clandestin en passant par la dénonciation de pratiques comme la manipulation de contrats, il s’agit de trouver et de mettre en place les incitations qui feront mouche.
Le programme de clémence en est une. Inscrit dans les droits européen, français et américain, il consiste à réduire, voire supprimer la sanction envers une entreprise qui dénoncerait son appartenance à un cartel et apporterait les preuves de l’existence d’une telle entente. Les chercheurs du CRESE en lien avec leurs homologues de Nancy préparent actuellement une expérience pour évaluer l’efficacité de ces programmes et mettre la théorie à l’épreuve de la pratique.
Économiste au CRESE, Karine Brisset suggère de plus s'intéresser à la vision de Amartya Sen, prix Nobel d’économie 1998, qui « dénonce la conception trop mécaniste de la pensée économique dominante et considère qu'elle n'est pas suffisamment centrée sur la réflexion éthique ». Une vision plus large pour pouvoir prétendre à une économie du bien-être.
Laurence Godard et Yohan Bernard sont chercheurs au CREGO et partagent avec elle l’idée qu’une initiative comme la RSE, la Responsabilité sociale des entreprises, même motivée par l’intérêt, même encore disparate d’une entreprise à l’autre, est résolument un nouvel outil pour améliorer l’éthique dans l’entreprise. Attachée à favoriser la formation du personnel comme le traitement écologique des déchets industriels, la RSE est soumise au bon vouloir des entreprises et uniquement déclarative. Cependant, sa cote de popularité est telle qu’il devient difficile pour un chef d’entreprise de l’ignorer.
Dans une étude qui vient de donner ses conclusions, les deux chercheurs, avec la complicité en Bourgogne de leur collègue Mohamed Zouaoui, se sont intéressés à l’influence du changement de dirigeant sur son évolution. Via les données de performance RSE évaluée par le cabinet VIGÉO, ils ont mené l’enquête auprès d’une centaine d’entreprises cotées en bourse, telles CARREFOUR, LVMH, ACCOR, MICHELIN ou encore PSA, sur dix ans, représentant huit cents observations. « On observe qu’un changement de dirigeant produit des effets positifs sur la performance globale de la RSE au terme de cinq ans, d’autant plus si le nouveau directeur vient de l’extérieur. » Cette performance est d’autant plus forte que l’entreprise s’engage à une certaine transparence comme quand elle adhère à un référentiel de communication d’informations relatives à la RSE (Global Reporting Initiavive, GRI).
Une entreprise qui s’assure que ses fournisseurs n’ont pas recours au travail au noir, qui agit en faveur de l’environnement ou se soucie des retombées de son activité sur le territoire ne peut que marquer des points en termes d’image, et agir en faveur de sa pérennité. Une stratégie du gagnant – gagnant ? Si on peut parfois regretter le manque de conviction éthique à la base, les avancées sont là. « La démarche est bénéfique aussi pour prévenir la criminalité économique dans l’entreprise. Celle-ci doit édicter des codes de conduite à l’interne et un règlement pour fixer les droits et devoirs de son personnel », assure Isabelle Augsburger-Bucheli, directrice de l’ILCE, l’Institut de lutte contre la criminalité économique de la Haute école de gestion Arc. « Aujourd’hui, en Suisse, l’entreprise doit prouver qu’elle a mis en place ces règles, faute de quoi sa responsabilité pénale pourrait être engagée », ajoute la chercheuse, qui souligne combien « l’arsenal législatif s’est renforcé dans toute l’Europe et à l’international contre certaines formes de la criminalité des cols blancs ».
L’éthique est sous-jacente à la philosophie de l’ILCE, qui se donne pour mission de combattre les fraudes les plus complexes : falsification de bilans, contrefaçons, abus de confiance, blanchiment d’argent, corruption, fraude fiscale, fraudes aux assurances, financement du terrorisme, crime organisé… Autant de sujets de recherche et de supports à la formation mêlant de façon originale des enseignements en droit, en finance, en criminologie, en criminalistique et en informatique vers des étudiants extrêmement motivés.
« Les mentalités de manière générale en Suisse évoluent très fortement en faveur de l’éthique, d’une plus grande transparence des banques pour prendre un exemple typique. Cela sous l’influence d’une forte médiatisation et de la pression internationale. » Peut-être un pas en faveur du souhait de Samuel Mercier qui considère que « le défi est de provoquer un changement en profondeur dans les mentalités au sein du monde économique, afin que le comportement éthique soit la norme et non l’exception ».
Qu’elle s’intéresse à des individus ou à des populations entières, depuis les problématiques posées par la psychologie à celles de la sociologie en passant par les capacités offertes par l’informatique qu’il convient de gérer, la recherche scientifique se doit de respecter un code d’honneur, condition première de sa crédibilité et de sa légitimité. Le respect des droits de la personne n’est pas seul en jeu, les conséquences possibles de ses activités sur les conditions d’existence de l’homme engagent aussi la responsabilité morale de la recherche.
Cet ouvrage dirigé par Thierry Martin, enseignant-chercheur en philosophie à l’université de Franche-Comté, traite ainsi de l’honnêteté scientifique attendue de la part des chercheurs, « la condition éthique minimale de la recherche », des interactions entre recherche académique et sphère privée susceptibles de mener jusqu’au conflit d’intérêts, du cadrage de l’expertise scientifique, demandant à être harmonisé d’un pays à un autre…, avant d’aborder le cœur même de l’activité de recherche. Philosophes, économistes, juristes et sociologues mêlent ici leur réflexion sur de nombreux aspects de l’éthique de la recherche, et s’interrogent sur les conséquences potentielles du développement scientifique.
Martin T. (sous la direction de), Éthique de la recherche et risques humains, « Les cahiers de la MSHE Ledoux », Presses universitaires de Franche-Comté, 2014.
Pour en savoir plus…
1 Mercier S., L’éthique dans les entreprises, Éditions La Découverte, 2014
2 Pelluchon C., Les nourritures – Philosophie du corps politique, Éditions du Seuil, 2015
Pelluchon C., Éléments pour une éthique de la vulnérabilité – Les hommes, les animaux, la nature (Grand Prix Moron de l’Académie française 2012), Éditions du cerf, 2011
Enseignante-chercheuse en philosophie à l’université de Franche-Comté, Corine Pelluchon est spécialiste en éthique appliquée. À l’écart des chemins déjà explorés, elle veut tracer une troisième voie, fonder une philosophie politique sur de nouvelles bases qui dépasseraient le sacro-saint clivage nature / culture, et inscrirait l’écologie en son cœur.
Au-delà de l’éthique environnementale, « plus critique que constructive », qui veut gérer les ressources dans une préoccupation de développement durable, Corine Pelluchon propose « d’articuler l’écologie à la condition humaine ». « Ne pas réussir à prendre l’écologie en considération dans nos conceptions vient qu’elle reste coupée d’une interrogation philosophique sur l’existence », explique-t-elle dans un ouvrage tout juste paru au Seuil2.
L’écologie ne s’oppose pas à l’humanisme, au contraire elle le rénove et l’inscrit dans une philosophie du « vivre de » incitant à repenser la manière d’habiter la Terre. Les ressources ne sont plus considérées comme telles mais deviennent des « nourritures », qui désignent tout ce dont nous vivons et dont l’alimentation est le paradigme. Une telle approche invite à considérer le plaisir des sens, la joie de vivre, et à s’adresser aux émotions et pas seulement à la raison. Cette philosophie du corps « rabat la prétention de la conscience à prêter le sens à toute chose ». Cette phénoménologie des nourritures implique aussi une responsabilité englobant notre rapport aux autres, humains et animaux. Une responsabilité d’autant plus grande qu’elle concerne les générations futures, dont « les conditions de vie et de survie seront affectées par nos choix actuels à un niveau jamais égalé ».
Corine Pelluchon propose de considérer le rapport aux nourritures comme « le lieu originaire de l’éthique », donnant naissance à un nouveau contrat social intégrant « les intérêts des générations futures et des autres espèces dans la définition du bien commun ».
Contacts :
Université de Franche-Comté
Régis Aubry – Unité de recherche Éthique et progrès médical – CHRU de Besançon – Tél. (0033/0) 3 81 66 85 18
Amandine Picard – MSHE / CRJFC – Tél. (0033/0) 6 72 40 28 03
Karine Brisset – CRESE – Tél. (0033/0) 3 81 66 67 59
Samuel Mercier / Laurence Godard / Yohann Bernard – CREGO – Université de Bourgogne / Université de Franche-Comté
Tél. (0033/0) 6 23 79 53 15 / (0033/0) 3 81 66 66 42 / 66 43
Corine Pelluchon – Laboratoire Logiques de l’agir – Tél. (0033/0) 6 59 04 71 34
Aline Chassagne – Équipe Éthique et progrès médical – CHRU et LASA – Tél. (0033/0) 3 81 21 83 16
Université de Neuchâtel
Marc-André Weber – Institut de philosophie – Tél. (0041/0) 32 718 16 92
Dominique Sprumont – Institut de droit de la santé – Tél. (0041/0) 32 718 12 96
UTBM
Sophie Chauveau – IRTES-RECITS – Tél. (0033/0) 3 84 58 39 22
Établissement français du sang Bourgogne – Franche-Comté
Pascal Morel – Direction – Tél. (0033/0) 3 81 61 56 30
Haute Ecole Arc
Isabelle Augsburger-Bucheli – ILCE – Haute école de gestion Arc – Tél. (0041/0) 32 930 20 10
Anne-Lise Guye – Haute école Arc Santé – Tél. (0041/0) 32 930 12 23