Jean-François Pic de la Mirandole se retourne-t-il dans sa tombe chaque année lorsque sont célébrés sorcières et démons à Halloween ? C’est qu’à la fin du Moyen Âge, on ne plaisantait pas avec les créatures du Diable, et Jean-François Pic, philosophe et écrivain italien, plus que tout autre peut-être, défend l’idée que la sorcellerie n’est pas affabulation de femmes hystériques, mais fait réel. Ses écrits participent au mouvement de pensée marquant de façon définitive la fin d’un débat crucial : à l’aube de la Renaissance, après plusieurs siècles de doute et d’indécision, il est « définitivement établi que la sorcellerie relève de l’hérésie ». La citation est d’Alfredo Perifano, philosophe et historien, chercheur à l’Institut des sciences et techniques de l’Antiquité (ISTA) de l’université de Franche-Comté. Elle est tirée de son introduction à l’ouvrage de Jean-François Pic, Dialogue en trois livres sur la tromperie des démons, écrit en latin et paru en 1523, dont il a assuré la traduction et le commentaire1.
« Cet ouvrage méconnu est en réalité le premier à étayer d’éléments scientifiques la thèse selon laquelle les manifestations de sorcellerie sont des phénomènes réels, et tout particulièrement lors des rites du sabbat, une réunion nocturne dédiée à Satan. »
Au commencement était le Canon episcopi, soi-disant daté du IVe siècle et d’obédience ecclésiastique, une réputation doublement usurpée qui se découvrira bien plus tard. En attendant, le livre fait autorité au Moyen Âge. Il soutient que les sorcières se déplaçant dans les airs à dos d’animaux sont le produit d’une imagination insufflée par les démons, et que croire à ces élucubrations relève de la superstition.
« Le démon est une réalité que ne conteste aucune religion monothéiste, explique Alfredo Perifano. Mais son pouvoir peut s’exprimer de différentes manières. » Ici responsable du délire de femmes hystériques à qui il impose des visions ridicules, il prend une tout autre compétence dans un texte de 1486, qui fait date dans l’histoire de la sorcellerie. Mallus maleficarum, le nom sonne comme un sortilège tout droit sorti de Harry Potter, mais Le marteau des sorcières est en réalité un ouvrage de référence à l’usage des inquisiteurs. Il prend le contrepied des idées avancées dans le Canon episcopi, et établit de manière définitive l’authenticité des manifestations de sorcellerie. Sa démonstration s’appuie sur les Écritures, seules détentrices de la vérité. La possibilité donnée à un être humain de voler n’est pas une affabulation, elle est l’œuvre du démon et le phénomène trouve sa justification dans la Bible. Saint-Matthieu ne raconte-t-il pas que pour punir Jésus d’aussi bien résister à la tentation qu’il lui soumet, le Diable, grâce à son pouvoir spirituel, le transporte sur le pic du temple ?
Comme le Mallus maleficarum, l’ouvrage de Jean-François Pic se montre virulent envers la sorcellerie. Il apporte une dimension supplémentaire en montrant par quelles fables et ruses le démon mystifie les foules lors du sabbat pour donner à croire que les phénomènes surnaturels qui se produisent lors de cette réunion nocturne entre humains et démons sont le fruit de l’imagination. L’auteur assène ses preuves sous forme d’un dialogue entre Apistius (sans foi) qui ne croit pas à la réalité du sabbat, un sage et un juge, dont la réflexion est nourrie par le témoignage d’une sorcière. L’argumentaire s’appuie sur des vérités établies scientifiquement ou religieusement, avec de nombreuses références à l’Antiquité. À la fin du récit, Apistius est convaincu et prend une nouvelle identité, Pisticus (l’homme qui croit), symbole de sa foi nouvelle.
Le livre est écrit et édité très rapidement, sa parution intervient alors que s’élèvent les protestations contre les bûchers et les procès en sorcellerie intentés dans le comté de Mirandole à cette époque. Il est un plaidoyer supplémentaire en faveur de l’Inquisition, qui dès lors qu’elle les avait déclarées hérétiques, avait lancé la chasse aux sorcières.
1La sorcière – Dialogue en trois livres sur la tromperie des démons, Jean-François Pic de la Mirandole, 1523. Texte établi, traduit et commenté par Alfredo Perifano, De diversis artibus, « collection de travaux de l’académie internationale d’histoire des sciences », éd. Brepols, 2007.
Contact : Alfredo Perifano
Institut des sciences et techniques de l’Antiquité (ISTA)
Université de Franche-Comté
Tél. (0033/0) 3 81 66 53 90