Espèce endémique du Chili et de l’Argentine, petit gabarit aux mœurs étonnantes, la grenouille de Darwin est en danger d’extinction. Celle du sud, une précision à noter, puisque celle du nord a déjà disparu.
La grenouille de Darwin est l’un des sujets d’observation d’Hugo Sentenac, qui, après études et pratique vétérinaires, a choisi d’agir en faveur de « la préservation de la faune sauvage libre ». Aujourd’hui enseignant-chercheur en écologie de la santé à l’UMLP / laboratoire Chrono-environnement, Hugo Sentenac s’intéresse donc de près au petit amphibien, selon une démarche socio-écosystémique qui guide l’ensemble de ses travaux.
De longue date défendue au sein du laboratoire, l’approche inclut une vision globale de la santé, selon le concept One Health qui fait le lien entre santés humaine, animale et environnementale, et qui est aujourd’hui bien admis.
À l’intérieur de ce schéma, des facteurs de stress naturels ou anthropiques sont susceptibles de se combiner de multiples manières et d’influencer le fonctionnement et la santé des socio-écosystèmes. La faune sauvage est impactée par des facteurs de stress tels que la disparition des habitats, les changements de température, les pollutions de diverses natures, la concurrence des espèces envahissantes, la prolifération des algues ou la diffusion des microplastiques.
Le parasitisme en est un autre, dès lors qu’il dépasse son rôle naturel de force sélective agissant sur la biodiversité.
« Les choses tournent mal en particulier lorsque le parasite et son hôte n’ont pas d’histoire évolutive commune », explique le chercheur.
Ainsi deux chytrides originaires de l’Asie de l’Est et du Sud-Est, où ces champignons ne posent aucun problème aux espèces locales avec lesquelles ils ont évolué, sont-ils pathogènes pour les grenouilles de Darwin, et de façon générale pour les amphibiens : sur les 8553 espèces que compte cette classe, les chytrides sont impliqués dans le déclin d’au moins 500 espèces et seraient responsables de l’extinction de 90 autres. « Ils s’attaquent à la sphère buccale des larves, et à la peau des adultes. Or la peau est un élément primordial du mode de vie des amphibiens. Lorsqu’elle est infestée par les parasites, ils ne peuvent survivre. »
Le déclin de ces animaux à sang froid a un impact sur l’équilibre des écosystèmes, notamment aquatiques. Il met en péril certains de leurs prédateurs, dont ils sont la nourriture exclusive, autant qu’il permet la prolifération de leurs proies, désormais moins menacées. C’est le cas des moustiques, dont l’augmentation des populations s’est par ailleurs accompagnée d’une incidence plus forte de la malaria chez l’homme, une relation de cause à effet vraisemblable, qui reste cependant à confirmer.
« Les santés écosystémique et humaine sont étroitement liées, et si l’impact du manque de diversité diffère selon les contextes, c’est un élément souvent impliqué dans les processus en jeu », souligne Hugo Sentenac. Le cas de la malaria est une illustration des interactions à l’œuvre dans les socio-écosystèmes, et qui sont à l’origine de très nombreuses émergences de maladies infectieuses chez l’homme : pas moins de 335 sont apparues entre 1940 et 2004, dont 60 % transmises par des animaux.
Et plus de 70 % de ces zoonoses sont réputées provenir de la faune sauvage. À l’intérieur de ces vastes et complexes fonctionnements en chaîne, la grenouille de Darwin retient toute l’attention du chercheur, comme d’autres amphibiens et d’autres animaux sauvages encore.