Thomas C., Didierjean A., Les secrets de la prestidigitation. Comment les magiciens manipulent notre esprit. Éditions Odile Jacob, 2025.
Une balle qui disparait dans les airs comme par enchantement, une cuillère à café qui se tord à distance, une femme qui sort tout sourire d’une malle en osier pourtant transpercée d’épées… Pas de trucages dans ces tours-là, qui depuis des générations subjuguent le public et renforcent l’habileté du prestidigitateur.
« Le complice du magicien est notre cerveau », annoncent d’emblée Cyril Thomas et André Didierjean dans Les secrets de la prestidigitation. Un ouvrage encore plus étonnant par ses révélations sur les tours que nous joue notre esprit que sur ceux, pseudo-magiques, qu’il explicite : les auteurs relient les enseignements de la psychologie cognitive et le savoir-faire intuitif des magiciens pour mettre en évidence la façon dont travaille notre cerveau et montrer comme nous pouvons, en premier lieu, être dupes de nous-mêmes.
La psychologie cognitive étudie les fonctions mentales que nous mettons en œuvre pour traiter de l’information. Pour réussir à nous leurrer, les magiciens manipulent nos « failles cognitives », dont les chercheurs savent aujourd’hui décrypter les mécanismes psychologiques sous-jacents.
Par exemple, notre attention est sélective, c’est une réalité qui nous empêche de saisir tout ce qui nous entoure, contrairement à ce que nous ressentons. C’est ce qui permet au magicien, par ses regards, ses paroles, ses traits d’humour, de focaliser notre attention là où il le souhaite, pour agir à notre insu.
De la même façon, notre mémoire n’est pas aussi performante que nous le pensons : une aubaine pour le magicien, qui tente de réécrire le déroulement du tour a posteriori dans la mémoire du spectateur. Mais notre esprit pêche aussi par excès de zèle. Il sait automatiquement anticiper la suite d’une action interrompue ou compléter un objet présenté de façon fragmentaire, de manière à ce que l’une comme l’autre soit conforme aux connaissances que nous en avons. On verra ainsi une balle être projetée dans les airs et disparaître, alors qu’elle est restée dans la main du magicien, parce que le geste du lancer signifie pour nous que quelque chose a été envoyé dans la direction indiquée. On verra aussi une sphère là où, vue de face, ce n’est que la moitié qui nous en est montrée : notre esprit recrée mécaniquement la présence du volume manquant.
Nous avons aussi tendance à accomplir des actions de manière automatique. C’est conduire une voiture sans regarder les pédales ou le levier de vitesse, ou préparer du thé sans avoir à étudier chacun des gestes à fournir pour y parvenir. Cette faculté, très utile au quotidien, est aussi celle qui nous prive d’une part de notre libre arbitre lorsqu’elle est manipulée par le magicien, qui sait par exemple nous faire choisir la carte qu’il aura rendu la plus accessible parmi d’autres.
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L’ « effet Einstellung », lui, est décrit en psychologie cognitive comme le fait qu’une connaissance familière, lorsqu’elle nous vient à l’esprit, va « bloquer » notre réflexion et nous rendre aveugle à des alternatives. Il explique notamment que, dans le tour où l’illusionniste fait entrer son assistante dans une malle en osier avant d’y planter des lames d’épée, le spectateur cherchant à découvrir le « truc » soit orienté dans une mauvaise direction : le magicien utilise un subterfuge pour donner à croire que l’assistante a quitté puis regagné la malle, une solution objectivement pourtant peu réaliste, mais qui fixe suffisamment l’esprit du spectateur pour qu’il ne puisse pas envisager d’autre explication au tour.
Vous, qui savez maintenant que la piste était fausse et qui avez l’esprit libéré, saurez-vous trouver la vraie explication à ce tour ?…
Solution dans les pages de ce livre aussi malicieux que scientifique, dont chaque chapitre fait découvrir les dessous de la magie en même temps que le fonctionnement de notre cerveau.