Université de Franche-Comté

Retrouver les sonorités des pianos anciens

La fin du XIXe siècle marque une rupture pour la facture des pianos : Steinway propose une nouvelle façon de les fabriquer, qui sera à l’origine des normes de conception des pianos modernes. Un siècle plus tard, les pianos historiques Erard, Pleyel, Herz ou encore Papp, sur lesquels les plus grands noms de la musique ont pourtant joué, ont tendance à sombrer dans l’oubli…

S’inscrivant dans un mouvement de redécouverte de ces instruments, passionnés de restauration autant que de musique, les pianistes Cécile Lé et Jean-Philippe Fonsalas partent à la recherche de ces sons oubliés, grâce à la Fondation Gebert Rüf et son programme First Ventures ; ils associent à leur aventure musicale des chercheurs et techniciens de la Haute école Arc Ingénierie, avec pour objectif d’intervenir en premier lieu sur les marteaux qui, frappant sur les cordes, constituent des pièces maîtresses dans l’élaboration du son. « Le marché de la restauration des marteaux offre un panel relativement restreint d’esthétiques sonores. Il n’existe malheureusement aucun moyen de définir avec certitude comment sonnaient ces pianos à la sortie de leur manufacture. Notre ambition est d’enrichir les choix d’interprétation de ce que pouvait être le son de ces pianos. »

C’est là que les spécialistes en ingénierie entrent en jeu, avec pour mission de fabriquer une presse de marteaux adaptable à toutes sortes de pianos. Le projet prend l’allure d’un véritable défi, comme l’explique Pierino De Monte, adjoint scientifique à la HE-Arc : « Il s’agit d’une rencontre entre deux mondes complètement différents, et qui possèdent chacun son vocabulaire. En ingénierie, nous sommes habitués à travailler sur des cahiers des charges précis, des plans et des valeurs numériques, avec des tolérances à respecter, des mesures à améliorer. Là, nous partions sur quelque chose d’immatériel et de l’émotion à rendre, concernant aussi bien l’esthétique des marteaux que la production du son ».

Mais quand la passion de la conception mécanique rencontre celle de la musique, le résultat est à la hauteur des espérances. La mise au point de la presse est en voie d’optimisation ; sa réalisation a convoqué des compétences en pneumatique, électronique, électricité… « Pour la découpe des feutres à coller sur les pièces en bois, la tentation était grande de faire appel à des techniques par jet d’eau ou laser ; mais nous avons privilégié une découpe traditionnelle pour limiter les coûts », explique Pierino De Monte, qui ne boude pas son plaisir de participer à redonner vie à ces objets du passé.

Avant de faire l’objet d’une commercialisation, les marteaux réalisés sur la presse seront testés sur les pianos anciens acquis par les jeunes pianistes-restaurateurs, qui, pour avoir par ailleurs joué sur un nombre impressionnant de modèles différents, possèdent « une bibliothèque de sons sous les doigts et dans les oreilles. » Le duo ne s’en est pas tenu à la pratique : des recherches en musicologie et facture instrumentale lui ont permis d’accéder à des critiques et avis de musiciens de différentes époques, des « témoignages de première main » l’aidant à identifier et ressentir les sons du passé. « Nous n’avons pas la prétention de détenir une vérité historique, mais simplement d’ouvrir une porte sur notre interprétation du passé », précisent les musiciens. Pierino De Monte, quant à lui, se fait le porte-parole de son équipe en déclarant « un grand intérêt pour ces projets qui sortent des sentiers battus ».

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