Université de Franche-Comté

Précieuse édition

Manière originale et haute en couleurs de plonger dans le monde littéraire et le contexte historique du XVIIe siècle, l’édition critique des Lettres de Madeleine de Scudéry à l’abbé Boisot suit le fil d’une conversation de près de dix années entre la femme de lettres parisienne, à l’avant-garde du mouvement des Précieuses moqué par Molière, et l’ecclésiastique bisontin féru de littérature, fondateur de la bibliothèque de Besançon.

Madeleine de Scudéry, anonyme, © Bibliothèque municipale du Havre

Au XVIIe siècle, Madeleine de Scudéry est l’une des plus illustres représentantes du mouvement précieux et une pionnière du féminisme ; ses œuvres littéraires sont toujours diffusées et étudiées dans les pays francophones, en Italie, en Allemagne et dans le monde anglo-saxon. Figure éminente de la scène bisontine, l’abbé Jean-Baptiste Boisot est le fondateur de l’une des premières bibliothèques publiques de France, la bibliothèque de l’abbaye Saint-Vincent de Besançon ; c’est grâce à lui qu’ont notamment été conservés et mis à la disposition du public les livres et manuscrits de la famille Granvelle. Pendant près de dix années et jusqu’à la mort du Bisontin, la femme de lettre et l’érudit entretiennent une correspondance fournie, dont 91 lettres font aujourd’hui l’objet d’une édition critique de Corinne Marchal, enseignante-chercheure en histoire au centre Lucien Febvre à l’université de Franche-Comté. « En 1873, Rathery et Boutron éditent 19 de ces lettres en intégralité et 17 autres avec des retranchements ; une nouvelle édition s’imposait du fait d’une transcription passablement fautive », explique l’historienne.

« Le [vendredi] 12 septembre [1687]

Quoique je sois fort diligente, Monsieur, à reconnaître dans mon cœur tout ce que mes amis font pour m’obliger, je dois vous paraître un peu paresseuse à vous remercier du plaisir que m’ont donné toutes vos lettres espagnoles. Mais un grand rhume m’a empêchée de les lire durant quelque temps4. Je les trouve pleines de beaucoup d’esprit et je suis persuadée qu’il y en avait plus en ce temps-là en Espagne qu’il n’y en a aujourd’hui.

4 Cette excuse est fréquente dans la correspondance de Madeleine de Scudéry. »

L’édition actuelle s’enrichit de 52 lettres inédites, que complètent des missives adressées à une amie de l’abbé Boisot, la Bisontine Jeanne-Anne de Bordey, et des pièces de vers écrites de la main de Madeleine de Scudéry ou d’écrivains de son cercle.
Outre les informations qu’elle recèle sur le monde littéraire, et notamment sur le réseau de celle que l’on surnomme Sapho, cette correspondance prend les allures d’un témoignage d’époque. « S’appuyant sur un réseau de correspondants géographiquement dispersés, l’épistolière est parfois avertie des nouvelles du royaume ou d’Europe avant la Cour, et se hâte alors de les faire connaître à ses correspondants, précise Corinne Marchal.

Buste de l’abbé Jean-Baptiste Boisot (1639-1694), savant et bibliophile, par Jean Petit (XIXe siècle). Bibliothèque d’étude et de conservation de Besançon

C’est ainsi qu’elle tient au courant l’abbé Boisot des grands épisodes de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, des affaires romaines à un moment où les tensions entre Louis XIV et la papauté sont exacerbées, ou encore des événements de la Cour, mariages princiers, départ des princes du sang pour la guerre, choix de ministres, mort suspecte de Louvois, santé du roi… »

« Extrait d’une lettre de Monsieur l’abbé Boisot à Mademoiselle de Scudéry.

À Besançon, le 19 septembre 1694.

On a trouvé dans un petit village à un quart de lieue d’ici, le tombeau de Cesonia Donata, femme de Candidus, l’un des esclaves de l’empereur Antonin. Il y a quelque chose dans l’inscription qui embarrasse. On ne sait qui est un certain Eusèbe qui y est nommé jusqu’à
trois fois. Vous serez peut-être bien-aise d’en faire part à vos amis, et d’en savoir leurs sentiments. Je me suis fait amener le tombeau. Il aura une place honorable entre plusieurs autres inscriptions antiques trouvées ici, que j’ai pris soin de ramasser… 

Inscription d’un tombeau antique trouvé à Saint-Ferjeux, près de Besançon, le 20 d’août 1694.»

Installée à sa table d’écriture dans son appartement du Marais, la femme de lettres ne manque pas non plus de relayer des échos de Paris, comme la disette qui frappe la capitale au cours des années 1693 et 1694.
Des frivolités de la vie mondaine aux événements politiques les plus importants en passant par les nouvelles du monde, les Lettres de Madeleine de Scudéry à l’abbé Boisot sont un puits d’informations pour les historiens autant que pour les littéraires.

 

Scudéry Madeleine de, Lettres à l’abbé Jean-Baptiste Boisot et à Jeanne-Anne de Bordey-Chandiot (1686-1699), Marchal Corinne (éd.) Classiques Garnier, 2019
Contact(s) :
Centre Lucien Febvre
UFC
Corinne Marchal
Tél. +33 (0)3 81 66 54 33
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