Au XIXe siècle en Europe, l’intérêt pour l’archéologie devient un véritable engouement, les collections d’art se constituent avec passion. Sur le plan politique, c’est aussi au XIXe siècle que l’idée de nation fait son chemin. Ce contexte donne une résonance particulière à la mise au jour de grandes nécropoles étrusques dans la péninsule italienne : la découverte est capitale pour l’archéologie et l’art, et les Étrusques, un peuple plus ancien que les Romains et surtout plus « autochtone », sont des ancêtres tout trouvés pour donner une assise historique au royaume d’Italie proclamé en 1861.
La civilisation étrusque s’étend en effet sur pas moins d’un millénaire, depuis la fin de l’âge du bronze jusqu’au IIIe siècle av. J.-C. Le sol de la région historique de l’Étrurie, correspondant approximativement à l’actuelle Toscane, révèle des dizaines, voire des centaines de vases dans chacun des tombeaux trouvés lors des fouilles archéologiques, entre autres vestiges.
Tout le gotha européen veut des vases étrusques, que les restaurateurs s’emploient à rendre plus beaux et chargés de sens pour les présenter à la vente. Ils ajoutent ici une anse ouvragée, là des créatures fantastiques, fabriquent des mastics de comblement avec les restes des uns pour rénover les autres, repeignant le tout habilement pour que cela ne se voit pas. Ils inventent des formes qui n’ont jamais existé dans la culture étrusque, remodèlent les traits de certaines figures pour rendre les visages plus conformes au goût classique du moment, inscrivent pour la même raison des noms empruntant au registre de la Grèce antique.
« Au milieu du XXe siècle, ces transformations deviennent visibles. Les matériaux de restauration se détériorent, et parallèlement, les connaissances en archéologie se développent. On retire alors ces ajouts pour retrouver un état jugé plus authentique et la splendeur d’origine des objets », explique Hortense de Corneillan, enseignante-chercheuse à la Haute école Arc Conservation-restauration, spécialiste de l’histoire des cultures et des matériaux.
Mais Hortense de Corneillan considère d’un œil différent les restaurations effectuées au XIXe siècle : « Elles nous racontent une histoire de l’archéologie et des collections que nous ne connaissons que très peu. Le XIXe siècle est peu valorisé artistiquement, alors que c’est un siècle charnière. Étudier les restaurations effectuées à l’époque représente une source de connaissance de premier plan ».
Depuis bientôt deux ans, Hortense de Corneillan pilote une recherche pour tenter de reconstituer ce passé culturel et artistique. Provenant de deux collections anciennes, une centaine de vases constitue son corpus d’étude. Leur examen suit un protocole permettant d’identifier les matériaux de restauration employés, avec l’aide de tests tout spécialement mis au point à la HE-Arc par la chimiste Édith Joseph et son équipe. Les analyses sont croisées avec les informations récoltées dans les archives de l’époque, et mises à l’épreuve des connaissances actuelles.
« On sait par exemple que la colle de caséine à cette époque était employée par les restaurateurs italiens, mais a priori pas par les Français. » Bâtie sur différents apports scientifiques, la méthode permet de retrouver l’origine des restaurations, d’identifier la patte d’un restaurateur, de donner une dimension sociale à l’histoire archéologique et artistique.
Retrouver l’aspect d’origine des objets ou conserver les ajouts faits a posteriori, telle est la question que pose en filigrane cette recherche. En architecture, le débat a déjà été tranché, estimant que les métamorphoses issues d’une succession de rénovations sont constitutives de l’objet patrimonial. En témoigne la restauration de la cathédrale Notre-Dame après l’incendie de 2019, qui inclut le remontage de sa célèbre flèche, pourtant ajoutée à l’édifice médiéval en 1845.