Université de Franche-Comté

[Parcours de vie]

Familles d’accueil en équilibre fragile

Le nombre d’enfants placés est aujourd’hui en augmentation, alors que celui des assistants familiaux tend à baisser : pour la première fois depuis des décennies en France, le placement en collectivité prend le pas sur l’accueil en famille. C’est dans ce contexte inédit qu’une recherche de terrain impliquant psychologues, sociologues et juristes s’est intéressée aux vécus des enfants et adolescents placés et de leurs familles d’accueil en Bourgogne – Franche-Comté1.

Dans leur domaine de spécialité, les sociologues Virginie Vinel, Veronika Kushtanina et Ludivine Berger se sont appuyées sur l’expertise du LASA2 en sociologie des enfances pour construire une enquête participative et ludique spécialement destinée à leurs jeunes interlocuteurs. Les chercheuses ont aussi rencontré quarante assistantes familiales – le féminin l’emportant largement dans cette profession –, qui leur ont confié leurs difficultés autant que leur bonheur à exercer leur métier.

Enfants et assistantes familiales, tous les participants à l’enquête mettent en avant la force de l’attachement qui les unit, d’autant plus si l’enfant a été placé tôt en famille d’accueil et qu’il y reste longtemps. Les sociologues soulignent cependant que les constats sont à nuancer selon les situations : « Les enfants, pour leur part, font preuve de plus de réserve envers leur famille d’accueil lorsqu’ils entretiennent de bonnes relations avec leurs parents, ou encore lorsqu’ils ont connu de nombreux changements de lieux de vie. » Mais dans les « cercles d’affinité » où les chercheuses les invitent sous forme de jeu à situer les personnes de leur entourage, les enfants mettent le plus souvent les assistantes familiales et leurs conjoints à la meilleure place, dans le cercle central.

Des jeux pour parler

Dans la panoplie des jeux qu’elles ont proposés, un jeu de l’oie aux cases revisitées, un Monopoly des lieux aimés ou détestés, des cartes de mises en situations fictives ont soulevé l’adhésion de la vingtaine d’enfants et adolescents participant à l’étude.

Âgés de 6 à 17 ans, individuellement ou en groupes, ils ont pu se raconter dans un contexte léger et bienveillant. « Cette façon d’enquêter a porté ses fruits. Une surprise a été de constater que les enfants, même les plus jeunes, ont une très bonne connaissance de l’organisation institutionnelle. Ils savent à qui s’adresser, éducateur ou psychologue, selon leurs besoins. Ils ont bien à l’esprit qu’ils ont à rencontrer le juge pour enfants tous les deux ans », explique Veronika Kushtanina. L’enquête montre par ailleurs à quel point les enfants se sentent en difficulté en cas de turn-over important des professionnels qui les encadrent ; elle révèle aussi que les décisions de placement prennent peu en compte leur souhaits.

« Même si tout le monde fait au mieux, le système apparaît dur. Les enfants sont par exemple effrayés par leur face à face avec le juge et le greffier au tribunal, une situation terriblement impressionnante. » Et le juge représente la loi. Une loi qui impose à un enfant de retourner chez ses parents dès lors qu’ils sont estimés être en mesure de s’en occuper, même s’il vit dans sa famille d’accueil depuis des années et souhaiterait y rester. « C’est la loi, mais est-ce toujours l’intérêt de l’enfant ? », questionne Virginie Vinel, qui estime que les enfants, à tout âge, font preuve de capacité de réflexion et que « leur parole est à prendre en compte ».

De l’autre côté du miroir, le manque d’écoute est également pointé chez les assistantes familiales, qui considèrent notamment n’être pas assez consultées lorsqu’une décision est prise à propos des enfants dont elles ont la garde, ou déplorent parfois de ne rien savoir du parcours d’un nouvel arrivant qui leur est confié.

Ce constat va de pair avec celui d’une reconnaissance insuffisante du métier, que ce soit d’un point de vue psychologique, symbolique ou financier, et d’une profession qui a de la peine à s’imposer en tant que telle dans le domaine du travail social.
L’enquête témoigne de la solitude que ressentent certaines assistantes familiales dans le cadre de leur activité, une solitude qui pèse davantage encore lorsqu’elles ont à gérer des cas de handicap, pour lesquels elles sont en demande d’accompagnement et de formation, ou lorsqu’elles sont confrontées à des situations de violence. La précarité est également évoquée, avec la menace de pertes de salaire, sans compensation, en cas de places d’accueil vacantes.

Manque de reconnaissance, management vertical, isolement, précarité : la combinaison de facteurs de différentes natures explique donc, d’après cette étude, la perte de vitesse du métier d’assistant(e) familial(e).

Les résultats de cette enquête ont été relayés auprès des participants, ainsi que des différents acteurs de l’aide sociale à l’enfance en Bourgogne – Franche-Comté.

1 Le projet FAPE – Familles d’accueil et parcours des enfants en protection de l’enfance – a été piloté par le laboratoire de psychologie de l’université Marie et Louis Pasteur, et mené en collaboration avec le LASA, le CRJFC et le laboratoire de psychologie Psy-Drepi de l’université Bourgogne Europe, pendant quatre ans (2021-2024), sur financement
de la Région Bourgogne – Franche-Comté.
2 Laboratoire de sociologie et d’anthropologie, UMLP. Depuis septembre 2025 affectée à l’université de Strasbourg / laboratoire LinCS, Virginie Vinel est désormais membre associée du LASA.
Crédit photo 1 : Cheryl Holt – Pixabay
Crédit photo 2 : Michał Parzuchowski – Unsplash
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