Université de Franche-Comté

[Nouveaux matériaux]

Petits arrangements géométriques sur graphène kagomé

Kagomé, késako ? Pas une essence de bois tropicale, pas plus un poème traditionnel ou un sport de combat : kagomé désigne une structure similaire à un tressage, la traduction de ce mot japonais signifiant littéralement « motif de panier ».

Le terme est repris en physique et en science des matériaux, car il est parfaitement adapté pour imager le dessin caractéristique de certains réseaux cristallins, dont les molécules forment des hexagones ou des triangles entrelacés, aux sommets occupés par les atomes. Il s’applique à certaines formes synthétiques du graphène, un matériau aux propriétés extraordinaires qui fait grand bruit dans le monde de la science et des technologies, depuis vingt ans qu’on sait le fabriquer artificiellement.

Vue artistique montrant la formation de radicaux libres dans un monofeuillet de graphène de type kagomé, par un bombardement d’hydrogène atomique.

À l’état naturel, le graphène est composé d’atomes de carbone simples, disposés en couches minces, qui, empilées à la manière d’un millefeuille, constituent le graphite, comme celui des mines de nos crayons de papier. Dans sa version synthétique, le graphène peut être modifié pour former des structures kagomé qui présentent, entre autres, des propriétés électroniques particulièrement intéressantes, mais difficiles à contrôler. C’est un frein pour de potentielles applications dans de nombreuses technologies quantiques.

Sous l’impulsion du chimiste Frédéric Chérioux, directeur de recherche CNRS à l’Institut FEMTO-ST, une équipe de scientifiques a démontré qu’il est possible de modifier une structure de type graphène-kagomé de manière à lui donner de nouvelles propriétés, et surtout à pouvoir les contrôler. « C’est la géométrie de la structure imposée par les molécules qui induit certaines propriétés quantiques. Et lorsque cette géométrie est bien adaptée, elle garantit la bonne maîtrise de ces propriétés. »

Les chercheurs sont parvenus à introduire un spin isolé dans l’architecture moléculaire du maillage kagomé, provoquant ainsi des moments magnétiques à l’origine de propriétés inédites et contrôlables dans le graphène. Comme la charge électrique, le spin est une propriété fondamentale des particules, elle témoigne de leur activité magnétique.
« En agissant à la fois sur la géométrie de l’architecture du matériau et sur la géométrie d’un réseau de spins, on crée localement un défaut. C’est en contrôlant la position de ce défaut qu’on peut générer des états quantiques protégés, c’est-à-dire capables de conserver leurs propriétés même en présence de perturbations extérieures. »

Ces résultats probants sont le fruit des compétences conjuguées de chercheurs issus de trois laboratoires : à l’Institut FEMTO-ST, l’équipe menée par Frédéric Chérioux a assuré la synthèse des molécules, intervenant précisément sur les atomes pour pouvoir intégrer des spins isolés à l’architecture moléculaire du matériau. À l’université de Bâle, une équipe spécialisée dans la microscopie à force atomique a visualisé les molécules et mis en évidence leurs propriétés électroniques. Ces observations ont ensuite été comparées aux conclusions d’une simulation numérique réalisée par des chercheurs de l’université de Montréal, qui ont validé l’expérimentation.

Cette recherche collective a fait l’objet d’une publication scientifique dans la revue de référence ACS Nano, consacrée aux nanotechnologies, qui l’a mise en avant en couverture de son numéro de février 2025.

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