Université de Franche-Comté

[Lois et décrets]

Droit alimentaire et santé publique

Le droit s’affiche comme un outil au service de la promotion de la santé publique et de la prévention : à l’université de Neuchâtel, la problématique est illustrée par des travaux consacrés au droit alimentaire, présentés lors d’un colloque international sur cette thématique.

En matière de santé publique, la prévention et la promotion sont des axes prioritaires de nos sociétés. Dans ce contexte, un projet mené à l’université de Neuchâtel interroge le rôle du droit comme instrument dont disposent les États pour servir leur ambition.

Photo de aaron purdy – Unsplash

Ce projet, financé par le Fonds national suisse pour cinq ans et piloté par Mélanie Levy, titulaire de la chaire en droit de la santé à l’UniNE, se terminera à l’automne. Il a donné lieu en mai dernier à Neuchâtel à la tenue de la conférence FLAN (Food Law Academic Network) sur le droit alimentaire. Il a stimulé la mise en place pour la rentrée prochaine, à l’UniNE, d’un cours de droit alimentaire qui représentera une offre unique en Suisse.

« Le projet de recherche met l’accent sur la pertinence, la portée et les outils de l’intervention de l’État dans la promotion de la santé et la prévention. Le droit alimentaire, qui est un domaine nouveau au niveau universitaire en Suisse, a rapidement occupé une place centrale dans ce projet », explique la chercheuse. Plusieurs doctorants encadrés par Mélanie Levy se sont penchés sur le sujet, qui ouvre de nombreuses perspectives de recherche…

Responsabiliser les entreprises

Félix Delerm s’attache à comprendre le cadre légal de la santé publique dans le domaine agro-alimentaire en Suisse. « Vraisemblablement, la Suisse va intégrer à son code des obligations la directive de l’Union européenne de 2024, qui exige plus de transparence dans les rapports d’activité que rédigent les entreprises au titre de leur responsabilité sociétale et environnementale. »

Le jeune chercheur souligne le flou dont est entourée la légis­lation. « Certaines entreprises prennent de réelles initiatives pour faire mieux, mais d’autres s’en servent comme des leurres pour cacher l’aspect négatif de leur activité. Entre encouragements et contraintes, le droit peut aider les entreprises à se montrer véritablement responsables. »

Photo par haiberliu -Pixabay

En matière de coercition, les lois anti-tabac ou régulant la consommation d’alcool pour les plus jeunes ont fait les preuves de leur impact positif sur la santé des populations. Félix Delerm étudie le cas particulier des alcopops, ces mélanges d’alcool fort et de boisson gazeuse du type Smirnoff Ice. En Suisse, la consommation de ces produits prisés par les jeunes était passée de 3 % en 1995 à 20 % en 2003. Dans ce pays où les vins ne sont pas taxés et les bières très peu, les alcopops ont fait l’objet d’une législation éclair qui les a taxés à… 300 % ! Objectif atteint pour le législateur qui voulait protéger les jeunes consommateurs, et surtout les jeunes filles : les alcopops ont aujourd’hui quasiment disparu des supermarchés suisses.

Manœuvres de HealthWashing

Anna Galmiche s’intéresse elle aussi à la protection du consommateur, particulièrement lorsqu’elle risque d’être menacée par la « zone juridique grise », qui donne le moyen aux entreprises de louvoyer entre loi et marketing.

« Il est interdit de prétendre que la cigarette électronique est bonne pour la santé, alors avec des messages du genre « Aimez vos poumons » ou « Bon pour le cœur », on le dit de façon détournée », relate la jeune chercheuse. C’est éga­lement ainsi que les produits laitiers sont « nos amis pour la vie », ou que « le petit déjeuner est le repas le plus important de la journée », dans des publicités industrielles qui visent à créer des habitudes de consommation. C’est aussi de cette manière que les entreprises veulent améliorer leur image, comme le géant de l’industrie du tabac Philip Morris, qui a créé une fondation dite « indépendante et objective, pour un monde sans fumée ».

La zone juridique grise concerne ces trois niveaux de healthwashing. Dans des recherches menées en collaboration avec Mélanie Levy et Felix Delerm, Anna Galmiche étudie les outils dont dispose le droit pour lever les ambiguïtés, comme la réglementation européenne sur les allégations de santé, la protection du consommateur ou le droit à l’éducation des groupes vulnérables.

Photo Tatiana Goskova – Freepik

« Mais il faut d’abord être en mesure de pouvoir cerner le problème : les formulations et allusions sont parfois matière impalpable pour le droit. »

Lois en pleine confusion

Dans la loi européenne, l’appellation « lait » est réservée aux produits laitiers d’origine animale. Et dans la décision Tofutown, la Cour de justice de l’Union européenne affirme que le fait d’indiquer l’origine végétale du produit à proximité immédiate du mot ne suffit pas à empêcher le consommateur d’être induit en erreur.

Elle autorise cependant certains termes figurant dans une liste d’exceptions, dès lors qu’ils sont justifiés par « l’usage traditionnel », comme c’est le cas en français par exemple pour « lait d’amande ». Pour la doctorante Alice Bryk-Silveira, les dispositions prises par l’Union européenne ou par ses pays membres ne manquent pas d’être contradictoires.

La France a par exemple interdit les appellations comme « saucisse vegan », alors que la Cour de justice de l’Union européenne les accepte, estimant que le terme indiquant l’origine végétale du produit, placé à proximité immédiate du terme classique, protège le consommateur du risque d’être induit en erreur. « C’est exactement le contraire de la décision Tofutown portant sur les produits laitiers ! »

Les incohérences se trouvent partout. En Suisse, les substituts végétaux de viande ne doivent pas faire référence à un animal spécifique, mais les appellations fondées sur des méthodes de préparation sont permises. Pas de « poulet végétal » dans les rayons, mais du « steak végétal », oui ! Comment le consommateur peut-il le comprendre ?

« Les contradictions entre les lois et entre les produits sont ainsi responsables d’une asymétrie dans la protection des consommateurs », estime Alice Bryk-Silveira, pour qui « cette situation va aussi à l’encontre de l’idée de durabilité, car on interdit des dénominations qui pourraient aider à la transition des consommateurs en matière d’alimentation ».

 

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