L’augmentation de l’effet de serre modifie les climats, les écosystèmes, la production agricole, etc. Deux gaz, parmi d’autres, y contribuent fortement : le gaz carbonique (CO2) et le méthane (CH4). L’élément constant des gaz à effet de serre est le carbone dont on sait qu’il est aussi, via la photosynthèse, le constituant principal de la biomasse. Les végétaux pourraient-ils ainsi diminuer la concentration de carbone atmosphérique en le bloquant dans leur biomasse, au moins temporairement, et dans des écosystèmes adéquats ? • Les tourbières qui accumulent, depuis 10 000 ans, d’énormes quantités de matière organique sous forme de tourbe pourraient être de tels écosystèmes. Cette matière représente plus de 450.109 t de carbone organique, soit le tiers environ du carbone contenu dans tous les sols du monde ou encore l’équivalent du carbone atmosphérique. Pour jouer le rôle de puits de CO2, il faut évidemment que les plantes qui » fabriquent » la tourbe, les sphaignes par exemple, réagissent à l’augmentation de concentration de CO2 par une intensification de leur photosynthèse et une production accrue de biomasse. • Dans le cadre du projet européen BERI, qui regroupe des chercheurs suédois, britanniques, finlandais, hollandais et suisses, le laboratoire d’écologie végétale de l’université de Neuchâtel a étudié l’influence d’une telle augmentation sur plusieurs plantes de tourbières : les sphaignes bien sûr, mais aussi les polytrics (une autre mousse), linaigrettes, laiches…, qui on le sait, favorisent, ou non, la croissance des sphaignes. Une station expérimentale de type Miniface a fonctionné durant trois ans dans la tourbière de La Chaux-des-Breuleux, près de Tramelan (Berne).
Elle a permis d’insuffler à la surface de la végétation, de manière contrôlée, du CO2 au-dessus de sa valeur atmosphérique actuelle : une teneur de 560 ppm a été retenue, soit le double de la concentration pré-industrielle (teneur actuelle : è ppm).
• Les premiers résultats montrent que l’augmentation de CO2 favorise plutôt les plantes non-formatrices de tourbe qui tendent à s’étendre en surface et en hauteur, concurrençant sévèrement les sphaignes. Celles-ci sont, de plus, soumises à un stress supplémentaire que les autres espèces supportent mieux : l’acide nitrique amené par les précipitations (les fameuses pluies acides, bien réelles). Or les sphaignes diminuent de vitalité avec des apports trop importants de nitrate, ce qui inhibe un peu plus leur capacité photosynthétique, donc leur aptitude à bloquer du carbone et à former de la tourbe.
• Les résultats semblables obtenus par d’autres équipes européennes laissent penser que le grand espoir mis sur les tourbières pour capter une part importante du CO2 en excès dans l’atmosphère doit être fortement tempéré. Dans les conditions actuelles, les sphaignes ne peuvent réagir positivement, l’azote des pluies acides ne faisant qu’aggraver la situation en favorisant leurs concurrentes. De plus, on ne sait presque rien de l’effet direct ou indirect du méthane, deuxième larron de l’effet de serre et autre gaz produit en quantité par les tourbières… Les recherches doivent ainsi se poursuivre sur le trio gaz carbonique – méthane – azote, une approche multifactorielle désormais indispensable.
Jean-Michel Gobat – Alexandre Buttler
Laboratoire d’écologie végétale
Université de Neuchâtel
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