Joséphine Baker, Le Corbusier et Gaston Doumergue pilotaient des voitures Voisin.
Star du marché automobile de luxe de l’entre-deux guerres, fournisseur officiel de la Présidence de la République française de 1920 à 1930, Gabriel Voisin prend un virage radical dans les années 1950 avec la création de voitures utilitaires. Un changement de cap à l’image de sa vie et de sa carrière, et de celui que les connaisseurs n’hésitent pas à qualifier de génie. Pionnier de l’aviation au tout début du XXe siècle, fabricant des premiers « coucous » pour les passionnés, puis reconverti dans les chasseurs pour les besoins de la Grande Guerre, Gabriel Voisin s’engage dès les années 1920 dans la voie de l’automobile. Il crée les premières caisses autoportantes, est l’un des promoteurs de l’aluminium, révolutionne la conception des bolides de course, construit des voitures de luxe qui restent des modèles du genre, puis se lance sur le marché de la voiturette. Nous sommes dans les années 1950 donc, et Gabriel Voisin veut mettre la voiture à portée de tous.
Sa Biscooter connaîtra un grand succès commercial en Espagne à défaut de le rencontrer sur le marché français auquel elle était destinée. La Newscooter en est une déclinaison, dont il met, à ses frais, trois prototypes au point.
C’est l’un d’eux qui stationne aujourd’hui dans les ateliers de la Haute Ecole Arc à Neuchâtel, où il est l’objet de la plus grande attention de la part de Guillaume Rapp, chargé de sa restauration et de sa conservation. Le véhicule est au cœur d’un projet initié dans le cadre d’un travail de semestre d’une étudiante, Olivia Mooser, avec la participation active des conservateurs-restaurateurs de l’école, Tobias Schenkel et Rolf Fritschi, et de Brice Chalandon, le restaurateur responsable d’atelier du Musée de l’automobile de Mulhouse, où il sera à terme exposé. « L’idée est celle d’un scooter à conduite intérieure, c’est l’un des derniers représentants de la philosophie de l’époque. » Le véhicule a été imaginé à l’intention des PTT, qui lui préfèreront finalement la 2CV.
La « Voisin du facteur » possède un moteur de 125 cm3, toujours fonctionnel, capable d’atteindre 50 km/h, des lignes sévères mais qui font preuve d’une esthétique certaine, un volant monobranche qui n’est pas sans rappeler certaines Citroën, un rétroviseur latéral rond et minuscule, un siège hors d’âge et une carrosserie presque entièrement faite d’aluminium. De plusieurs types d’aluminium même, comme l’a révélé sa cartographie.
Tout l’art de la restauration consistera à trouver un compromis entre la conservation de la valeur historique de l’objet, en choisissant de laisser certaines traces témoins de la fabrication de l’époque, et la valeur esthétique du véhicule, en le nettoyant de la corrosion pour lui faire retrouver dans une certaine mesure son aspect d’origine.
La manière sera d’adopter des techniques chimiques adaptées pour se débarrasser en douceur de la corrosion en fonction des alliages.
« Nous retirons les couches l’une après l’autre et consignons les traces enlevées dans un rapport ; nous décidons alors de la suite que nous voulons donner à la restauration », explique Guillaume Rapp. Une démarche pas à pas bien dans l’esprit du travail de Gabriel Voisin, dont l’exigence et la ténacité n’avaient d’égal que le talent.