Puisant ses racines dans des textes indiens datant de plus de 4 000 ans, l’Ayurveda est une pratique médicale considérant l’homme dans sa globalité, jugeant le corps et l’esprit indissociables. Aujourd’hui admise comme médecine à part entière en Inde où elle est largement répandue, cette science de la longévité fait des émules dans de nombreux pays. Mais sa pratique se limite pour l’essentiel au domaine du bien-être et de la relaxation, faute d’une reconnaissance à titre de médecine par les institutions officielles.
Dans ce contexte, la Suisse apparaît comme une exception, avec la mise en place de deux diplômes fédéraux de médecine ayurvédique en 2015. Ce mouvement de professionnalisation pourrait devenir un modèle pour la reconnaissance de la pratique médicale de l’Ayurveda en Europe et dans le monde, un modèle d’ores et déjà reconnu par le gouvernement indien. Ce courant pionnier fait l’objet d’une thèse en anthropologie de la santé développée par Aline Sigrist, que la jeune chercheuse a soutenue en juin dernier à l’université de Neuchâtel.
En 2009, une votation citoyenne favorable permettait d’inscrire les médecines complémentaires dans la Constitution suisse, rendant possible leur professionnalisation et leur enseignement dans les facultés de médecine de l’ensemble du pays ; paru en 2017, un article de loi acte quant à lui le remboursement de la médecine anthroposophique, de l’homéopathie, de la phytothérapie et de la médecine traditionnelle chinoise par l’assurance maladie de base. « L’Ayurveda bénéficie de ces évolutions, et si pour l’instant le remboursement des frais médicaux n’est assuré que par les assurances complémentaires, les praticiens espèrent qu’à terme, ils seront eux aussi pris en charge par l’assurance de base, pour une plus grande reconnaissance médicale et institutionnelle », explique Aline Sigrist.
Médecines douces et naturopathie font de longue date partie du paysage de la santé en Suisse. Le Maharishi Mahesh Yogi, fondateur de la méditation transcendantale, n’est pas étranger au développement de cette sensibilité : au cours des années 1970, le célèbre gourou des Beatles s’installe en Suisse, où il fonde en 1987 la première clinique appliquant les préceptes de l’Ayurveda en Suisse.
En Inde, la médecine ayurvédique est réhabilitée dès l’indépendance du pays, après avoir été interdite pendant près de deux siècles de domination anglaise. « Cette pratique est ancestrale, mais elle est aussi en évolution permanente. Elle s’adapte à travers le temps aux contextes sociaux, législatifs et politiques successifs. »
En Suisse comme dans d’autres pays européens, l’Ayurveda voit ses principes assouplis afin de les rendre compatibles avec la façon de vivre et l’état d’esprit occidentaux, si différents de la culture hindoue. Cependant sa philosophie s’accorde avec un certain mouvement de rejet des valeurs néolibérales, et en même temps avec la tendance actuelle à considérer la santé comme relevant de la responsabilité de chacun. « L’Ayurveda entre en adéquation avec les valeurs contemporaines, y compris l’individualisme, parce qu’il propose de se centrer sur soi. Sa pratique offre de multiples réponses en termes de santé et de société, pour des êtres humains non seulement en quête de soins, mais aussi de sens, et de soi. » Aline Sigrist a pour les besoins de sa recherche interviewé des patients ayant suivi une cure ayurvédique en Inde ou en Suisse, elle a également réalisé une analyse auto-ethnographique de sa propre expérience de cure dans un centre en Inde.