Université de Franche-Comté

Jura sans frontière ?… Parentés, affinités et divergences

 

 

SOMMAIRE 

 

 

Introduction

 

Géologie sans frontière

 

Religion et politique : des États en opposition totale

 

Économie, des piliers communs

 

Créer une conscience collective

 

Une frontière en perpétuelle évolution

 

 

  

 

   

La Suisse a pour elle la marque du protestantisme, le fédéralisme, la neutralité, le franc et quatre langues officielles. La France est d'obédience catholique, sa structure politique est centralisée et elle appartient pleinement à l'Union européenne.

 

Entre les deux pays, la frontière dessinée au cœur de la montagne du Jura symbolise ces divergences fondamentales mais souligne aussi des similitudes propres à un territoire, à son histoire, sa culture et ses habitants. Concept artificiel ou entité véritable, l'Arc jurassien existe-t-il par-delà la frontière ? À l'image de cette limite en pointillés qui parfois sépare et qui parfois unit, les travaux des chercheurs montrent tout le paradoxe attaché à l'idée de frontière.

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Géologie sans frontière 

Les géologues s'amusent à dire qu'en des temps reculés, Suisses et Français ont partagé les mêmes plages jurassiques et connu les mêmes dinosaures… Par le fait, la géologie est identique de part et d'autre du massif jurassien, présentant des avantages et surtout des inconvénients auxquels les hommes ont dû apprendre à s'adapter. Pauvre en ressources minérales, le sous-sol jurassien a tout de même donné lieu à l'exploitation du minerai de fer du XIIe jusqu'au XVIIIe siècle, indifféremment des deux côtés de la Haute Chaîne, créant un patrimoine commun. Les bâtiments publics de Neuchâtel comme ceux de Pontarlier (Doubs) sont bâtis de la même pierre jaune, issue de l'exploitation des calcaires du Crétacé.

 

Le terme d'Arc jurassien est en tout premier lieu né de la géographie. En forme de croissant, le massif s'étend du Jura bâlois au Bugey sur 400 km. Il est bordé à l'ouest par la plaine de Bresse et les plateaux de Haute-Saône, et à l'est par le plateau du moyen pays helvétique. La Haute Chaîne culmine à l'est d'un escalier gigantesque aux plateaux étagés, et donne son appui à la frontière. Ainsi 30 % du massif seulement appartiennent à la Suisse, qui s'approprie en revanche les sommets les plus hauts et les paysages les plus montagneux.

 

La Haute Chaîne constitue un véritable défi pour les habitants. « Pour se frayer des passages, au demeurant peu nombreux, ils ont dû profiter d'accidents géologiques » remarque Vincent Bichet, enseignant-chercheur en géosciences à l'université de Franche-Comté. La nationale 57, reliant Besançon à Lausanne, est bâtie sur une faille, et de manière générale, toutes les infrastructures liant les deux versants jurassiens ont été décidées en fonction de la géologie.

 

 

Carte de la frontière entre la France et la Suisse

 

A. Kaufmant – R. Mathieu – ThéMA – Université de Franche-Comté

 

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Religion et politique  : des États en opposition totale

Si l'aspect physique des lieux apparaît commun et immuable par-delà les millénaires, à l'échelle humaine l'histoire façonne, chacun à sa manière, les deux versants jurassiens. Jusqu'au XVIe siècle, l'histoire politique du Jura présente une certaine unité. Sous influence romaine pendant près de cinq cents ans, la région est englobée dans divers royaumes ou empires à partir des IVe et Ve siècles.

 

Le royaume de Bourgogne est le dernier en date à avoir réuni Franche-Comté et Jura suisse. Lorsqu'il éclate au XIe siècle, la Franche-Comté se voit alternativement rattachée au duché de Bourgogne ou au Saint-Empire romain germanique, quand plusieurs territoires s'individualisent du côté suisse. Plus aucun espace politique commun ne subsiste.

 

Les influences de la religion puis les évolutions de l'histoire font peu à peu prendre des directions différentes aux habitants du Jura, les arrimant de manière définitive à deux États aussi dissemblables que possible.

 

Au XVIe siècle, la réforme protestante, sous l'impulsion de Zwingli et Calvin, allait profondément ancrer la Suisse dans la croyance évangélique à partir de Bâle, Berne et Genève. Son influence a largement présidé aux destinées politique et économique du pays, notamment dans la création de l'État fédéral helvétique en 1848.

 

À la même époque, à l'exception du pays de Montbéliard, qui relève des comtes de Wurtemberg, la Franche-Comté est, elle, résolument catholique. Au XVIIesiècle, elle subit guerres et épidémies, se concluant dramatiquement par la perte de plus de 60 % de ses habitants. Elle sera pour partie repeuplée grâce au Jura suisse.

 

Au XVIIIe siècle, la Franche-Comté s'intègre définitivement à l'État français quand la Suisse reste une juxtaposition de petites cellules, les cantons, s'organisant chacun autour d'un noyau urbain. Ébauché au XVIesiècle, le tracé actuel de la frontière remonte à la fin des guerres napoléoniennes. La notion de conscience nationale ne prend pas le même sens d'un côté et de l'autre. En France, l'État est centralisé depuis l'Ancien Régime et le peuple a conscience d'appartenir à une communauté parlant la même langue et d'être issu d'une même histoire. En Suisse, le pouvoir des cantons est une limite posée à celui de l'État fédéral, l'existence de quatre langues sur un aussi petit territoire renforce un caractère morcelé et pluriel à la fois. Selon Bernard Olivier, enseignant en histoire retraité et président de la Société d'émulation du Doubs, le résultat de ces évolutions est que, « à l'ouest du Jura, on est d'abord Français avant d'être Comtois, alors qu'en Suisse, le sentiment d'appartenance au canton et au lieu où l'on réside est fortement marqué ».

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Vache montbéliarde

Les agriculteurs, une population unique

 

En Suisse, l'agriculture est traditionnellement une affaire d'État, un secteur d'activité extrêmement protégé et subventionné. Cette situation, si elle évolue depuis quelques années vers davantage de libéralisme, reste cependant bien différente de celle de la France, qui elle, s'inscrit dans le cadre d'une loi supranationale, la politique agricole commune. Cette divergence fondamentale semble cependant ne pas avoir d'incidence sur la façon des agriculteurs de concevoir leur métier, et dans l'Arc jurassien, on serait bien en peine de deviner la nationalité de l'un ou de l'autre, tant les opinions et les ressentis sont, eux, convergents.

 

Politique agricole et santé mentale

Un constat étonnant que dresse Dominique Jacques-Jouvenot, enseignant-chercheur en sociologie à l'université de Franche-Comté, et qui depuis de nombreuses années effectue des recherches sur l'agri-culture dans l'Arc jurassien. « J'ai toujours eu le sentiment de travailler sur une population unique » raconte-t-elle. Des études sur le développement agricole et l'aménagement du territoire de la zone transfrontalière sont menées depuis cinq ans en collaboration avec l'Institut des hautes études internationales de développement (IHEID) de Genève, le musée d'Ethnographie de Neuchâtel et l'université de Lausanne. La dernière en date porte sur l'hypothétique corrélation entre politique agricole et santé mentale de part et d'autre de la frontière. Les premières analyses tendent à nuancer cette théorie. Ce qui est identique des deux côtés de la frontière, c'est que « tous rencontrent de semblables difficultés professionnelles, des insatisfactions liées à un métier qu'ils n'exercent plus comme ils le voudraient » explique Dominique Jacques-Jouvenot.

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Économie, des piliers communs

La notion d'Arc jurassien prend avec l'histoire récente une connotation économique. La tradition agricole, le travail du bois et le développement de la mécanique de précision ont forgé une culture commune que l'existence d'une frontière ne saurait balayer. L'horlogerie est sans doute le secteur transfrontalier qui, au fil de l'histoire, a drainé les plus gros intérêts et suscité les passions les plus vives. Diffusée à partir du XVIe siècle dans les montagnes du Jura suisse, elle quitte son fief de Genève pour s'installer à Neuchâtel à la fin du XVIIIe siècle. C'est également à cette époque qu'elle s'exporte vers le Haut Doubs. Après une période de partage des savoir-faire et d'équilibre économique dans tout l'Arc jurassien, l'horlogerie connaîtra, à partir du XIXesiècle, un destin bien différent de part et d'autre de la frontière. « On vit encore aujourd'hui sur des éléments communs, une certaine façon de travailler, des productions similaires, un même parler » résume Jean-Claude Daumas, enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l'université de Franche-Comté. La formation de deux États-nations avec un fonctionnement et des institutions propres sépare de façon indiscutable, mais le savoir-être et le savoir-faire les rapprochent.

 

Cependant, l'existence d'un socle commun ne semble pas suffire à donner corps à une véritable conscience collective, à un sentiment d'appartenance à un territoire transfrontalier. François Hainard, professeur en sociologie à l'université de Neuchâtel, voit dans le manque d'éléments de cohésion tangibles la preuve de cette carence. « Les gens se respectent, s'estiment, mais n'ont pas de projets communs. Il existe peu de manifestations transfrontalières, de fêtes ou d'événements organisés ensemble. Quand on lit la presse, on ne sait pas ce qui se passe de l'autre côté de la frontière ». (en directpourrait bien être l'exception qui confirme la règle !) « Et quand on travaille sur des questions intéressant toute la région, comme les transports, la gestion des déchets ou la coopération universitaire, les consultations mettent en rapport les politiques et les techniciens, mais peu les populations ».

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Gruyère, comté et montbéliarde…, petites histoires frontalières                       

 1er prix race montbéliarde

 

L'élevage des animaux, la production de lait et la fabrication de fromages sont des points communs ignorant superbement la frontière. Les migrations des fromagers suisses vers la France sont peut-être une des raisons de cette forte culture professionnelle collective.

 

Si depuis de nombreuses années on s'attache à donner une existence propre au gruyère comme au comté par une charte AOC spécifique, il n'en reste pas moins que ces fromages demeurent de très proches cousins et que cette volonté d'affirmation d'une identité typique ne saurait remettre en question une culture séculaire.

 

La vache montbéliarde est originaire des Pays-Bas et s'est installée sur le sol comtois après un long transit en Suisse. Chassés de Hollande puis du pays bernois, les anabaptistes mennonites émigrent avec familles et troupeaux au XVIIIe siècle vers Neuchâtel et surtout vers la principauté de Montbéliard, où ils se voient confier l'exploitation de fermes par les princes protestants de Wurtemberg. Agriculteurs exceptionnels, ils introduisent et développent la race montbéliarde dans toute la région.

 

Soucieux d'améliorer ses performances, les éleveurs comtois deviennent des spécialistes en matière de sélection. Ils prennent des positions différentes lorsqu'il est question, au début des années 1980, d'introduire du sang holstein dans les troupeaux montbéliards. L'affaire est alors retentissante et les partisans de la conservation de la race pure, refusant de se soumettre à la loi, trouvent compréhension et connivence chez leurs collègues suisses. Exil de bovins vers les pâturages complices, transfert illicite de semences… cette histoire a montré combien la frontière pouvait se montrer parfois perméable, et l'attachement à un métier passer outre les lois nationales.

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Créer une conscience collective 

Le sociologue ne sous-estime cependant pas les efforts entrepris par les personnes et les organismes travaillant à un rapprochement, comme la Conférence transjurassienne. Selon Jean-Claude Daumas, « la CTJ est une institution sans équivalent dans le domaine transfrontalier, mais elle souffre d'un manque de visibilité certain ». Créée en 1985, cette instance politique s'attache à promouvoir l'existence propre d'un espace jurassien et d'une identité au sein de l'Europe.

 

Structure citoyenne, le Forum transfrontalier entend dresser un état des lieux et mettre en valeur ce qui unit les habitants. Il organise des réunions de réflexion et veut insister sur « les potentiels que l'on pourrait entrevoir dans l'Arc jurassien, à la fois pour jouer sur nos différences et rechercher dans nos similitudes ce qu'elles recèlent d'adaptation et de vouloir vivre ensemble » expose Alexandre Moine, enseignant-chercheur en géographie à l'université de Franche-Comté et vice-président du Forum transfrontalier, annonçant ici le thème de la prochaine session de travail organisée le 10 mars prochain à Besançon.

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Élire domicile de l'autre côté de la frontière, une tendance nouvelle

 

Identifier les flux migratoires entre la Suisse et la France et plus précisément entre le canton de Neuchâtel et les régions de Pontarlier et de Morteau (Doubs), est l'objectif du projet Interreg MORETRADONE, mené depuis début 2010 par les universités de Neuchâtel et de Franche-Comté. Phénomène émergent, les Suisses comme les Français élisent désormais domicile de l'autre côté de la frontière.

 

Une tendance qui pourrait avoir des répercussions locales en matière d'immobilier, cependant « le phénomène reste très marginal et ne met aucune des deux zones en péril », estime Patrick Rérat. 1 200 ménages français se sont installés à Neuchâtel entre 2007 et 2009, quand 2 000 personnes ont quitté la Suisse pour la Franche-Comté entre 2001 et 2006.

 

Le profil des migrants est très différent selon le sens du déplacement. Les Français décidant de vivre en Suisse sont de jeunes actifs sans enfants, diplômés, originaires du Doubs pour 20 %, la plus grande majorité provenant de la France entière. Plus que l'attractivité du salaire, c'est la possibilité de mener une carrière plus facile en Suisse qu'en France dans certains secteurs qui est avancée comme motivation principale, et pour les jeunes Comtois, d'accorder du temps aux loisirs plutôt qu'aux trajets.

 

Les Suisses élisant domicile en France correspondent à une population plus âgée, principalement des familles avec enfants, et ont des métiers moins qualifiés, qu'ils continuent d'exercer en Suisse. Leur motivation première est l'accession à la propriété, beaucoup moins coûteuse et contraignante côté français.

 

Les couples interrogés se révèlent tous double nationaux, soit en raison de mariages mixtes, soit parce que l'un ou l'autre des conjoints possède la double nationalité. Pour Alexandre Moine, « cette enquête prouve qu'il existe une identité commune transfrontalière ». Cependant, en France, les « pendulaires » restent de loin les travailleurs frontaliers les plus nombreux et leurs motivations pour conserver ce statut relativisent cette appréciation. Pour eux, et notamment pour les familles, les pertes de temps et d'argent liées à des déplacements quotidiens ne sont pas suffisantes pour franchir le pas et la frontière de façon « définitive ». Des aspects financiers (coût élevé des impôts, de l'assurance maladie, de l'accession à la propriété), des difficultés d'organisation (crèches et cantines peu nombreuses et onéreuses) et des facteurs humains (attachement aux racines, adaptation du conjoint ou des enfants à un nouvel univers) sont autant de freins marquant de façon plus nette l'impact de la frontière.

 

 

Pont de Goumois (25)

 

À Goumois, le Doubs marque la frontière : d'un côté du pont, on est Français, de l'autre on est Suisse

 

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Borne frontière du XIXe siècle - canton de Vaud

 

 Borne frontière du XIXe siècle – canton de Vaud

 

 

Une frontière en perpétuelle évolution

Une frontière ne saurait être établie une fois pour toutes. Soumise aux aléas de l'histoire ou aux impératifs d'aménagement des territoires, elle est susceptible de subir des modifications. Depuis le XVIe siècle, pas moins d'une trentaine d'amendements ont rectifié le tracé franco-suisse, le dernier datant de 2003.

 

Mais la mouvance d'une frontière n'est pas uniquement le fait d'un tracé. Elle obéit à des lois. En 2002, les accords autorisant la libre circulation des personnes entre la Suisse et l'Union européenne bouleversent la donne établie. Pour Patrick Rérat, enseignant-chercheur en géographie à l'université de Neuchâtel, « la frontière est de moins en moins une barrière et de plus en plus une interface ». Mais paradoxalement, la mise en retrait de la frontière peut produire des effets séparatifs et protectionnistes. Les salariés suisses s'inquiètent de la recrudescence des travailleurs étrangers sur qui ils n'ont plus la préférence nationale en termes d'embauche, et des répercussions que ces deux éléments conjugués pourraient avoir sur le taux de chômage. Côté français, les industriels s'insurgent contre le départ d'une main d'œuvre qualifiée, attirée par des salaires avec lesquels ils ne peuvent rivaliser.

 

La frontière n'est pas fixe, elle n'est pas davantage figée dans le temps. « Au début du XXsiècle, la rupture était moins marquée, les échanges étaient plus libres, les gens circulaient beaucoup plus facilement et avaient plus en commun » rappelle Patrick Rérat.

 

Jean-Claude Daumas indique qu'« il ne faut pas sous-estimer l'importance de l'État dans la création d'un comportement : deux États n'agissent pas de la même façon, cela induit des comportements différents ». Pour autant, la frontière « n'est jamais hermétique, et sait donner lieu à des échanges ». Alexandre Moine la considère comme un moteur obligeant les populations à s'adapter en permanence. « Les concurrences sont exacerbées de part et d'autre car les économies évoluent très vite. En trois ans tout peut changer ! » Il souligne par ailleurs l'attrait de la proximité qui, selon lui, est un facteur de rapprochement. « Ce qu'on ne trouve pas d'un côté, on le trouve de l'autre ; il existe parfois des opportunités qu'on ne rencontre pas à l'intérieur du territoire national ». Vincent Bichet affirme que « les gens qui vivent la frontière ne voient pas de différence », elle représente « une richesse ». La frontière unit et sépare… et ne laisse personne indifférent.

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Deuxième guerre mondiale : De la frontière passage…

 

Petit fragment neutre enchâssé dans une Europe à feu et à sang, la Suisse accueille plus de 50 000 réfugiés civils depuis la France au cours de la deuxième guerre mondiale.

 

Il est plus difficile de connaître le nombre de personnes refoulées à la frontière, que le rapport de la commission Bergier créée en 1996 estime à 20 000. Au-delà des chiffres, le mémoire de Philippe Hebeisen, aujourd'hui doctorant en histoire contemporaine à l'université de Neuchâtel, s'attache à décrire comment la politique de refoulement des réfugiés s'est opérée aux abords du canton de Neuchâtel. Le poste-frontière des Verrières, situé sur la route reliant Pontarlier (Doubs) à Neuchâtel, est le plus important du secteur. Il représente un poste d'observation privilégié du fait de son importance et parce que de nombreux documents de la gendarmerie, des douanes et de l'armée, sources précieuses de renseignements, ont pu être retrouvés et croisés.

 

Au début de la guerre, ce sont les autorités du canton qui décident encore de l'ouverture ou non de leur frontière aux réfugiés. Dès la fin 1941, Neuchâtel abandonne une responsabilité peut-être jugée trop lourde au profit de l'officier de police territorial, officier de l'armée (et donc de la Berne fédérale) en charge de la question des refugiés, précédant de quelques mois la décision de la Confédération d'être seule compétente en matière d'accueil. Dès lors, Neuchâtel applique les directives bernoises à la lettre, qui cherchent à protéger le territoire d'un afflux jugé trop massif et porteur de déséquilibres. « Nous tenons simplement à rappeler l'existence, depuis décembre 1942 officiellement, d'une zone frontière d'une largeur de 10-12 km, s'étandant de la frontière vers l'intérieur des terres. Dans cette zone, qui s'ajoute en quelque sorte au cordon policier étendu le long de la frontière, toute personne arrêtée lors de son entrée illégale en Suisse devait immédiatement être refoulée ».

 

Cependant, certains réfugiés ont pu passer entre les mailles du filet, bénéficiant de complicités dans la population à la frontière comme à l'intérieur du pays, où les solidarités se sont établies dès 1940. « La population semble manifester une certaine attitude francophile à l'égard des Français, en juin 40, lors du passage de trains d'internés français dans certaines gares […], à tel point que le Commandement de l'armée […] demande que de telles manifestations de sympathie soient réprimées « dans l'intérêt de la sécurité du pays », neutralité oblige ».

 

Livre

 

Philippe Hebeisen : Une histoire de la frontière neuchâteloise durant la seconde guerre mondiale.

Administration et politique face aux réfugiés, les Verrières (1939 – 1945).

Éditions Alphil – Presses universitaires suisses, Neuchâtel

 

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…à la frontière fracture

 

Juin 1940. La France capitule sous le joug allemand. Pour les Suisses et les Français qui vivent la frontière presque sans y penser, la séparation devient une ligne de démarcation entre un pays brisé par la guerre et l'occupation, et un pays neutre, à l'économie florissante. La jalousie des Français qui ont tout perdu est exacerbée par la santé insolente de la Suisse, cela malgré l'immense mouvement de solidarité dont ont fait preuve les Helvètes pour secourir les réfugiés. Après 1945, discours officiels et célébrations des deux nations vont dans le sens d'une amitié à faire renaître. L'Histoire oubliera que sur le terrain, les rivalités étaient d'autant plus marquées qu'on se rapprochait de la frontière, devenue une véritable fracture.

 

Les Suisses de Franche-Comté, boucs émissaires de la haine

À la suite de la première guerre mondiale, plusieurs centaines de Suisses émigrent vers une Franche-Comté à reconstruire et à repeupler. Leur intégration est difficile, et à l'approche du deuxième conflit mondial, ces germanophones sont soupçonnés d'être des espions à la solde de l'Allemagne. L'occupation n'arrange rien. Interprètes contraints ou volontaires, ils sont amenés à communiquer avec l'ennemi. Neutres, ils relèvent d'un statut d'exception, ne connaissent ni les réquisitions ni le travail obligatoire. Accusés sans discernement de collaboration, boucs émissaires cristallisant les haines, ils paient cher le retour à la liberté. « De l'été 1943 à l'été 1945, près de 500 Suisses de Franche-Comté rencontrent des difficultés, à des degrés divers, pour s'être trop rapprochés des Allemands durant le conflit », raconte Christian Favre, auteur d'une thèse sur une Franche-Comté et une réalité transfrontalière méconnues, réalisée en cotutelle avec l'université de Fribourg et l'UTBM.

 

 

Livre

 

Christian Favre : Une frontière entre la guerre et la paix. Les échanges au quotidien autour de l'Arc jurassien (1937 – 1945).

Éditions Alphil – Presses universitaires suisses, Neuchâtel

 

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Contact :
Vincent Bichet

Laboratoire Chrono-environnement

Université de Franche-Comté

Tél. (0033/0) 3 81 66 65 95

 

Jean-Claude Daumas

Laboratoire des Sciences historiques

Université de Franche-Comté

Tél. (0033/0) 3 81 66 53 03

 

Dominique Jacques-Jouvenot

Laboratoire de Sociologie et d'anthropologie

Université de Franche-Comté 

Tél. (0033/0) 3 81 66 51 34

 

Alexandre Moine

Laboratoire ThéMA — Théoriser et modéliser pour aménager

Université de Franche-Comté

Tél. (0033/0) 3 81 66 54 96

 

François Hainard

Institut de Sociologie

Université de Neuchâtel 

Tél. (0033/0) 41 32 718 14 25

 

Patrick Rérat

Groupe de recherche en économie territoriale et Institut de Géographie

Université de Neuchâtel

Tél. (0033/0) 41 32 718 16 38

 

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