Université de Franche-Comté

[Fait de société]

La manipulation de l’information, un phénomène héréditaire

Rumeurs, dissimulations, canulars, mensonges, fausses nouvelles : la désinformation aime se travestir. Et si l’apparition d’internet et des réseaux sociaux numériques l’amplifient de façon fantastique, le phénomène ne date pas d’hier et utilise des ressorts communs à toutes les époques.

Dans Une histoire de la désinformation, Michel Pretalli et Giovanni Zagni1 rappellent cette réalité par une série d’exemples puisés au cours des quatre derniers millénaires, dont même les plus connus réservent encore des surprises.

On ne saura sans doute jamais si la ville de Byblos assiégée était ou non infestée par la peste lorsque le pharaon Akhenaton refusa de se porter à son secours, mais des deux missives contradictoires qu’il reçut à ce sujet, l’une contenait forcément une fausse nouvelle. Cela se passait quatorze siècles avant J.-C., époque à laquelle pourrait avoir eu lieu la guerre de Troie. Le célèbre cheval de la légende, qui emmena les Grecs au cœur de la puissante cité et causa sa perte, ne fut pas la seule des ruses de cette histoire, qui débute avec l’organisation de l’expédition grecque à l’assaut de la ville. Selon les textes antiques, Ulysse aurait simulé la folie pour éviter de partir en guerre. Une supercherie découverte par un certain Palamède, dont Ulysse se vengera en montant contre lui une intrigue fausse, mais fatale.

Faux en tous genres

Un bond de quelques siècles fait entrer dans le Moyen Âge, « l’âge d’or des faux et des contrefaçons », que les moines copistes alimentent d’actes ou de testaments altérés, voire inventés de toutes pièces. La donation de Constantin, le premier empereur romain à se convertir au christianisme au IV siècle, est ainsi un texte qui fonde la légitimité du pouvoir du pape sur l’Occident « jusqu’à la fin des temps ». Il faudra attendre plusieurs siècles pour que l’authenticité du document soit véritablement remise en question sous la plume acerbe de l’humaniste Valla, dont les accusations seront confirmées par les chercheurs modernes.

De tout temps et jusqu’à nos jours, la désinformation investit les sphères militaires, économiques, politiques et sociales. À la rumeur de la mort de Napoléon succède celle de Barack Obama victime d’une explosion à la Maison blanche, chacune lancée à son époque pour servir les spéculations financières sur des marchés affolés par ces (fausses) nouvelles. La machination Denver, pilotée par le KGB pendant la guerre froide pour accuser les États-Unis d’être à l’origine de la pandémie du SIDA, prend la suite des Protocoles des sages de Sion sur un prétendu complot judéo-maçonnique aux origines de la Révolution française…

Pour exister, la désinformation utilise les mêmes mécanismes de création que la fiction, s’affirme grâce à la vraisemblance des renseignements donnés, s’appuie sur des sentiments comme la peur, qui accentuent la vulnérabilité de ses victimes. Elle est servie par les biais cognitifs altérant le jugement de l’être humain, et qui aident les fausses informations à perdurer.

Dans la dernière partie de leur ouvrage conçue comme un guide pratique, les auteurs proposent des leviers d’action, au niveau individuel comme à l’échelle de la société, pour se prémunir de la désinformation et de ses effets d’autant plus dévastateurs qu’elle est aujourd’hui devenue virale : vérifier les informations pour soi et avant de les transmettre aussi, pour ne pas devenir à son tour le pourvoyeur de fake news, développer l’esprit critique, profiter des enseignements des sciences humaines pour accompagner le développement technologique.

Un enjeu important est de redonner aux institutions leur crédit, mis à mal par des scandales comme celui du sang contaminé : à elles de regagner cette confiance en jouant, elles aussi, les cartes de la transparence et de l’intégrité.

1 Michel Pretalli est enseignant-chercheur en études italiennes à l’UMLP / Institut des sciences de l’Antiquité (ISTA).
Giovanni Zagni est journaliste expert dans la vérification des faits, en Italie.
Légende photo : Pretalli M., Zagni G., Une histoire de la désinformation. Fake news et théories du complot des Pharaons aux réseaux sociaux, Éditions Mimésis, 2025.
Crédit photo 2 : Thought Catalog – Unsplash
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