Elles constituent la plus grande part de la population active française, pourtant il est difficile d’en donner une définition précise ou qui fasse consensus. Les classes moyennes voient aussi leur évolution s’accompagner de flou au fil des décennies, tant leurs caractéristiques sont nombreuses et les interprétations les concernant diverses.
Le pluriel est en tout cas de mise depuis le début du XXe siècle pour les désigner…
Économiquement parlant, les classes moyennes représentent la large frange de population insérée entre les plus nantis et les plus défavorisés. On parle de classes moyennes inférieures ou supérieures, une stratification qui peut faire craindre à ceux qui se situent en bas de l’échelle de basculer vers la classe populaire et espérer à ceux qui occupent le niveau supérieur de rejoindre le clan select des plus fortunés.
Le point de vue sociologique, qui met les professions au centre de l’analyse, permet d’approcher de manière plus complète ce découpage. Les cadres supérieurs et les chefs d’entreprise forment pour l’essentiel la classe aisée. Les ouvriers et les employés non qualifiés composent la classe populaire. Entre ceux qui décident et ceux qui exécutent se trouvent à peu près tous les autres actifs : ce sont les « professions intermédiaires », cadres moyens, techniciens, professeurs des écoles, ouvriers qualifiés, infirmiers, artisans, commerçants… Un Français sur deux ferait partie des classes moyennes, parfois sans qu’il ait ce sentiment d’appartenance.
Enseignant-chercheur à l’UMLP / laboratoire Logiques de l’agir, Vincent Bourdeau remonte aux sources du concept de classe moyenne pour mieux cerner ses évolutions. « Le terme est apparu au XVIIIe siècle chez les économistes, qui souhaitaient comprendre la société à partir de son fonctionnement réel. Le travail en est alors au centre : tous les travailleurs seront répertoriés dans une même catégorie, jugés « utiles » par opposition aux rentiers ou aux oisifs », explique le philosophe.
Dès le début du XIXe siècle, la « classe mitoyenne » est celle qui assure son indépendance économique grâce à son travail. Le XXe siècle sera celui des classes moyennes au pluriel, qui partagent certains points communs tels que la possession d’un outil de travail et la capacité d’assurer l’accomplissement d’une tâche depuis sa conception jusqu’à son terme. La notion de liberté collective, attachée à une profession, se développe dans les syndicats. « Elle pose les bases de l’existence de groupes sociaux qui ont conscience des normes de leurs métiers, et qui en ont la maîtrise. »
Les classes moyennes voient leurs effectifs monter en flèche pendant deux décennies à partir de 1965, alors que la création d’emplois dans les secteurs éducatif et médicosocial augmente notablement. L’accès à la formation et l’obtention de diplômes ont pour conséquence une requalification de ces emplois vers le haut, et permettent à ceux qui les occupent de grimper dans l’échelle sociale.
Certains analystes considèrent à ce titre que les classes moyennes, entre la hantise de voir leur niveau de vie chuter et la volonté de s’élever encore, n’ont pas de traits de personnalité propres. D’autres estiment au contraire que leurs projets de vie fondent leur identité, avec pour socle commun le travail et les efforts à fournir pour parvenir à leurs objectifs.
Les classes moyennes sont celles de l’accession à la propriété, au confort matériel, aux loisirs. Ce sont aussi celles qui mettent leur énergie au service de l’État.
« Le clivage entre ces deux finalités est d’ailleurs la cause d’une lutte des classes interne », estime Vincent Bourdeau, qui d’un autre côté voit combien la pluralité des classes moyennes établit et garantit un lien essentiel entre les différents acteurs de la société.
L’école est ainsi un creuset social par excellence, en dehors même des salles de cours : animée par les enseignants, représentants des classes moyennes, l’école est un lieu où se rencontrent, à l’occasion d’une kermesse de fin d’année par exemple, des parents issus de tous milieux, des artistes, des employés municipaux ou des entrepreneurs qui ont participé à mettre l’événement sur pied. C’est la fragilisation de métiers tels que ceux de l’enseignement, et avec elle le délitement du lien social, que craint le philosophe.
« On rend invisibles certains métiers et une part de ce qu’incarnent les classes moyennes, estime Vincent Bourdeau. Quand on défend les services publics, il faut montrer les gens qui sont derrière et qui travaillent pour l’intérêt général. Il faut redonner son sens au travail accompli, et arrêter d’imposer des normes venant de l’extérieur, qui ne correspondent pas à la façon dont le métier doit être fait ».
Au-delà de la question de la paupérisation des classes moyennes, qui selon les spécialistes reste sujet à débat, c’est la crise de sens que rencontrent les classes moyennes dans leur travail et dans leur identité qui est à questionner. En témoignent certains discours politiques qui les considèrent de façon homogène, évoquant la classe moyenne ramenée au singulier, et des présentations médiatiques qui en donnent une image parcellaire ou déshumanisée.
Les travaux de recherche que Vincent Bourdeau consacre aux classes moyennes feront l’objet de la publication d’un livre dans les mois prochains.