De tout temps, l'activité de l'homme, ses prises de position politiques, ses choix économiques et technologiques ont influé sur l'environnement. Des transformations qui, à leur tour, peuvent avoir des répercussions sur la santé humaine. Si tout le monde ne s'accorde pas sur le caractère de suspicion et de fatalisme avec lequel la boucle est souvent bouclée, surveiller et saisir les liens entre l'homme, son environnement et sa santé s'avèrent une préoccupation fondamentale. Les sources potentielles d'effets nocifs sur la santé que représentent les allergènes, parasites, éléments traces métalliques, bruit, ondes électromagnétiques, pesticides et autres OGM appellent les analyses et les techniques les plus pointues pour tenter de comprendre les mécanismes de systèmes complexes.
– Entre deux maux choisir le moindre
– Le choléra : un fléau, pas une fatalité
– Menaces sur la chaîne alimentaire
– Le milieu agricole cultive les paradoxes
– Pollens + ETM = allergies en hausse
– Métaux « conducteurs » de bactéries
– Bruit : camion et télévision mesurent leur force
– Environnement avec un grand E
L'activité humaine transforme les paysages et apporte son lot de modifications aux écosystèmes. Les capacités d'adaptation des êtres vivants sont telles qu'à leur tour la faune et la flore investissent d'une nouvelle façon l'environnement. Un contexte parfois favorable à l'émergence de pathologies humaines ou à la propagation d'épidémies. Ainsi, sur certaines terres d'Amérique du Sud, le déboisement favorise la pullulation de moustiques, vecteurs du paludisme ; le rejet de nitrates est responsable de la prolifération d'algues vertes sur les côtes bretonnes, infestées de gaz toxiques. Enseignant-chercheur en écologie au laboratoire Chrono-environnement, Patrick Giraudoux traque inlassablement les stigmates de l'échinococcose alvéolaire à travers le monde.
Les causes et les modes de diffusion de cette maladie parasitaire impliquant la faune sauvage avec des espèces comme le renard et de nombreux rongeurs, en font un véritable cas d'école, qui montre à quel point les solutions sont complexes pour tenter de concilier progrès de l'humanité, respect de l'environnement et santé des populations.
Les bouleversements environnementaux procèdent souvent de choix politiques et économiques. Depuis le démantèlement de l'empire soviétique et la fin d'une politique favorable à l'agriculture, la jeune république du Kirghizistan a vu ses plateaux d'altitude cultivés se recouvrir d'herbe, et se renforcer l'élevage de moutons. Transformés en prairies permanentes, les lieux sont favorables à la prolifération d'Ellobius tancrei qui, dans la famille des campagnols, est un hôte excellent pour l'échinocoque alvéolaire. 7 % des habitants de la région étudiée sont aujourd'hui touchés par la maladie, l'échinococcose alvéolaire.
Convocation des chiens pour administration de vermifuge (Kirghizistan)
En Europe, la vaccination systématique des renards pour venir à bout de la rage a eu pour conséquence l'augmentation de cette population-hôte du parasite. L'échinococcose s'est dès lors propagée sur le territoire. Elle gagne aujourd'hui peu à peu l'extrême Ouest de la France, le Nord de l'Europe, la Hollande, le Danemark et menace la Grande Bretagne, un pays jusqu'à présent indemne. L'approche liant environnement, écologie et évolution économique développée au laboratoire Chrono-environnement permet de suivre la progression de l'échinococcose en Europe et de comprendre pourquoi des foyers apparaissent en Asie. Patrick Giraudoux rappelle que nous évoluons dans un monde vivant et qu'à ce titre nous devons accepter qu'il n'existe pas de risque zéro en termes de maladie. « Nous devons faire des choix sociétaux avec leurs avantages et leurs inconvénients. Prendre des dispositions de veille sanitaire et de prévention, mais aussi accepter la maladie dans une certaine mesure plutôt qu'intervenir sur le milieu et risquer de voir se développer d'autres maladies ou d'autres déséquilibres écologiques majeurs et encore plus coûteux. »
C'est grâce à l'approche éco-épidémiologique caractéristique du laboratoire Chrono-environnement qu'il a été possible de comprendre et d'aborder autrement le fléau du choléra.
Partie d'Asie, la pandémie se propage à travers le monde au début du XIXe siècle, mais ne touche véritablement l'Afrique que dans les années 1970, où le choléra sévit depuis de façon endémique.
Originaire de la République démocratique du Congo, Didier Bompangue Nkoko est à la fois chercheur au laboratoire Chrono-environnement et enseignant à la faculté de médecine de l'université de Kinshasa. Il explique comment l'environnement crée les conditions de développement de la maladie. « L'accélération et l'intensification des flux migratoires ont été à l'origine non seulement de la première pandémie de choléra au début du XIXe siècle, mais aussi des premières épidémies ayant atteint l'Afrique continentale au début des années 1970. » Par ailleurs, l'urbanisation rapide et anarchique de certains pays, ignorant l'installation de réseaux d'assainissement, devient un excellent vecteur d'amplification et de propagation du choléra, qui s'installe durablement, se manifestant par flambées suivies d'accalmies.
Didier Bompangue Nkoko refuse le fatalisme qui l'accompagne et trouve dans la méthode bisontine le moyen de pallier le manque d'argent et des arguments pour convaincre. En République démocratique du Congo, qui compte à elle seule 14 % des cas de choléra dans le monde, il recense les données épidémiologiques de toutes les zones de santé du pays. Si leur analyse globale atteste la présence du choléra tout au long de l'année dans la région des grands lacs, dans une ville comme Kalemie par exemple, un zoom montre des disparités criantes selon les quartiers. Certains sont indemnes la plupart du temps, quand d'autres sont des foyers de résurgence régulière de la maladie. Dès lors, il devient possible de cibler les actions sur des zones précises pour neutraliser les foyers régulièrement réactivés (prise en charge curative précoce, distribution de produits chlorés…).
Si le choléra n'est pas encore éliminé sur ces zones comme espéré, les résultats au terme de quatre ans sont encourageants : les flambées de choléra sont désormais inférieures à trois semaines et moins fréquentes, concernent nettement moins de cas et sont confinées géographiquement. Le modèle est aujourd'hui repris en Guinée et en Haïti, où l'épidémie de choléra consécutive au tremblement de terre de 2010 est toujours active. À cheval entre action et recherche, il replace un processus dans son système pour l'appréhender dans sa globalité et sa réalité.
Préparation d'une structure de prise en charge curative des cas de choléra dans une zone montagneuse en Haïti, février 2011
Pierre-Marie Badot, enseignant-chercheur en biologie et président du comité d'experts spécialisés Évaluation des risques chimiques dans les aliments de l'ANSES 1, développe ses recherches selon un principe similaire. Ses travaux fondamentaux visent à comprendre les phénomènes de transfert de contaminants et les mécanismes qui les sous-tendent tout au long des réseaux trophiques, et notamment de la chaîne alimentaire qui aboutit à l'homme. Des travaux actuels montrent par exemple comment différentes espèces de poissons bio-accumulent des polluants persistants et toxiques à très faibles doses tels que les PCB, plus connus sous le nom de pyralène qui était utilisé dans les transformateurs. À exposition identique, le type d'habitat dans lequel les poissons évoluent, leur régime alimentaire et plus généralement leur physiologie expliquent les différences de concentrations de PCB observées entre les espèces.
1 Agence nationale de sécurité sanitaire, alimentation, environnement, travail
À partir de ces résultats, il devient possible de hiérarchiser les risques liés à la consommation d’une espèce plutôt qu’une autre. C’est sur ce genre de travaux que s’appuient les agences de sécurité sanitaire pour établir leur avis et conseiller les pouvoirs publics.
« Pendant très longtemps, on s’est essentiellement débarrassé des polluants en les libérant dans l’atmosphère ou dans l’eau en escomptant que leur dilution dans de grands volumes suffirait à abaisser leur concentration en dessous des seuils de toxicité ; on a en réalité largement ignoré le phénomène suivant : le fonctionnement des systèmes écologiques favorise souvent la concentration des contaminants au sein de certains milieux et / ou de certains organismes vivants. Ces polluants peuvent, pour reprendre le même exemple, contaminer les tonnes de végétaux, puis de poissons qui ont contribué à alimenter un prédateur de bout de chaîne comme le brochet ou le thon. En définitive, les polluants peuvent se retrouver à des niveaux significatifs dans ces derniers maillons de la chaîne, c’est-à-dire dans notre assiette. »
Le dernier scandale médiatico-scientifique autour de la recherche menée par le toxicologue Gilles-Éric Séralini sur les OGM relance le débat sur la qualité de l’information transmise au public. S’il prend position vis-à-vis des insuffisances de cet article, Pierre-Marie Badot estime qu’il est de la responsabilité de la communauté scientifique de porter l’information à la connaissance du plus grand nombre, sans sensationnalisme et avec toute la prudence nécessaire quand les résultats sont controversés. « Loin d’avoir apporté une réponse définitive à la question, les résultats de l’équipe de Caen augmentent au contraire l’incertitude scientifique attachée à la dangerosité des OGM. Ils doivent être évalués et au besoin répliqués. » Pour Pierre-Marie Badot, « le risque écologique des OGM est moins médiatisé mais il mérite tout autant d’être expertisé. L’introduction sans précaution dans la nature d’organismes présentant un avantage compétitif par rapport aux espèces naturellement présentes peut potentiellement entraîner des bouleversements écologiques profonds. »
Il conclut de façon générale : « L’un de nos rôles en qualité de chercheur consiste à transmettre au public l’état des connaissances, notamment sur les thèmes faisant débat (le nucléaire, le climat, les OGM, les radiofréquences…), connaissances assorties des incertitudes qui leur sont attachées. Ainsi, tout un chacun serait-il en position de forger son opinion, de participer aux choix de société et de contribuer à la définition du monde dans lequel il souhaite vivre et ce, en toute connaissance de cause. »
Responsable du service pneumologie du CHRU de Besançon, Jean-Charles Dalphin souligne, lui, la complicité parfois insoupçonnée de l’environnement, et montre que le monde agricole joue dans le sens d’une diminution du risque d’asthme ou d’autres manifestations de type allergique. Des études épidémiologiques sont menées à ce sujet en Franche-Comté depuis vingt-cinq ans et s’inscrivent dans le cadre de recherches conduites au sein d’un consortium européen.
Les résultats attestent le rôle protecteur du milieu agricole laitier. « Naître dans une ferme diminue au moins de moitié le risque d’allergie » assène Jean- Charles Dalphin. Partisan de la théorie hygiéniste, il explique que dans les pays développés, nous sommes beaucoup moins exposés aux microbes qu’avant. Notre système immunitaire s’est détourné de son objectif de lutte contre les maladies infectieuses pour se concentrer sur les allergènes, ce qui n’est a priori pas son rôle. « Dans les exploitations laitières traditionnelles, la concentration microbienne est toujours très forte et sollicite le système immunitaire d’un enfant à un moment clé de sa maturation, à savoir juste avant sa naissance et au cours des premiers mois de sa vie. » Promenades à l’étable dès le plus jeune âge et consommation de produits à base de lait cru seraient donc d’excellents moyens de se prémunir de l’allergie. En dehors des environnements très exposés aux pesticides et insecticides, le milieu agricole fait par ailleurs état d’un nombre de cancers, notamment du poumon, significativement inférieur à celui de la population globale.
Prévention des cancers et « immunité allergique » pourraient bien trouver des racines communes dans la famille des endotoxines : composants des membranes cellulaires de nombreuses bactéries largement présentes à la ferme, les endotoxines sont réputées à la fois pour leurs propriétés proinflammatoires et antitumorales. L’idée qu’elles stimuleraient les défenses immunitaires des enfants tout en protégeant leurs aînés du risque de cancer est issue de résultats d’études épidémiologiques nationales auxquelles le CHRU de Besançon est associé, et appelle de nouvelles recherches.
D’autres pistes évoquent la multiplication des allergènes, en raison par exemple du confinement des maisons ou de l’augmentation du nombre des animaux domestiques, pour expliquer le triplement des maladies allergiques en trente ans dans les pays industrialisés.
Enseignant-chercheur en écotoxicologie, Nadine Bernard s’intéresse aux polluants atmosphériques, à leur mesure et à leurs impacts sur les organismes biologiques. Partant d’un constat a priori contradictoire, se jouant encore une fois entre ville et campagne, elle cherche à mettre en évidence pourquoi les allergies sont plus importantes en milieu urbain alors que la campagne présente une quantité et une palette plus larges de pollens, et surtout recèle des variétés plus allergisantes. En ville, les pollens se combineraient- ils à la pollution pour un effet plus nocif ? Pour tester cette inquiétante hypothèse, des pollens de différentes sortes ont été placés dans des enceintes reproduisant des conditions de pollution réelles. « On voit très nettement que les ETM — éléments traces métalliques — plomb, cadmium, zinc…, s’accrochent effectivement aux pollens. Mais à ce stade de l’expérience, nous ne savons pas encore s’ils sont absorbés par le pollen ou adsorbés, c’est-à-dire qu’ils se fixeraient dessus », explique Nadine Bernard. Mais quel que soit le processus, l’idée poursuit son chemin…
Prenant le relais de cette recherche, Anne-Pauline Bellanger, enseignant-chercheur en parasito-mycologie, a mis ces pollens en contact avec des cellules épithéliales respiratoires humaines pour mesurer leur impact sur l’organisme. Le test est reproduit selon divers degrés de pollution des pollens par les ETM. Dans tous les cas de figure, la réponse des cellules est allergique et inhibe le processus inflammatoire ; et elle tarde d’autant moins à se faire attendre que le pollen est pollué.
Cependant, l’allergie représente un phénomène aux multiples sources et symptômes. Ingénieur hospitalier spécialiste en parasitologie et mycologie, Gabriel Reboux travaille en collaboration avec des chercheurs d’autres disciplines, privilégiant le mélange des genres où champignons, acariens et autres bactéries se rencontrent. Dans ce contexte, le monde agricole se révèle un milieu particulièrement exposé. L’air ambiant d’une ferme affiche des teneurs en micro-organismes à une échelle 1010. Par comparaison, celles d’un logement insalubre se mesurent à 103 quand un logement classique présente une moyenne d’une centaine de spores par m3 d’air.
La maladie du poumon de fermier est une pneumopathie pour laquelle certaines méthodes d’exploitation favorisent la maladie, comme le conditionnement et le stockage du foin. En Franche-Comté l’AOC Comté exige l’utilisation quasi exclusive de foins pour la qualité du lait. Les grosses balles rondes non filmées sont très serrées. Faiblement ventilées, elles emprisonnent l’humidité et créent les conditions les plus favorables à la multiplication puis à la diffusion de millions de microorganismes dans l’atmosphère de l’étable, conséquence d’une cascade de transformations du foin pendant le stockage aboutissant à la sélection d’espèces pathogènes.
La maladie du poumon de mécanicien est une variante en milieu industriel. En partenariat avec vingt-cinq entreprises comtoises, les chercheurs du laboratoire ont mesuré dans les huiles de coupe la présence de Mycobacterium immunogenum, la principale bactérie incriminée dans le déclenchement des symptômes.
Ils ont mis en évidence que cette bactérie est présente dans le secteur automobile et non dans celui de la micromécanique : c’est la nature même des métaux mis en contact avec l’huile qui joue un rôle dans le développement de deux types d’environnements microbiens. Dans le premier cas, les dérivés d’aluminium utilisés favorisent la prolifération de la bactérie, quand le cuivre et l’acier employés dans l’autre réduisent sa présence à néant ou à de rares traces.
Outre les actions de prévention qu’elles impulsent, les analyses environnementales débouchent sur un meilleur dépistage de maladies souvent difficiles à identifier et sans doute sous-estimées en nombre de cas. « Nous travaillons à l’amélioration du diagnostic sérologique des patients grâce à des techniques moléculaires utilisant les micro-organismes présents dans l’environnement » explique Gabriel Reboux. Trente-cinq antigènes recombinants produits par génie génétique, représentant autant de marqueurs pour détecter la maladie, ont ainsi été mis au point au CHRU de Besançon en collaboration avec une équipe du CHUV de Lausanne, et devraient prochainement faire l’objet d’un dépôt de brevet.
Anne-Pauline Bellanger met elle aussi les techniques les plus pointues au service du diagnostic et de la recherche. Elle travaille en collaboration avec l’Établissement français du sang (EFS) sur les cellules dendritiques, à partir de prélèvements de plaquettes. « Présentes partout dans les muqueuses, ces cellules primaires se prêtent à des possibilités décuplées en termes d’analyses et permettent notamment de repérer les agents étiologiques de maladies comme le poumon de fermier ou de mécanicien. »
Aspergillus fumigatus est un champignon microscopique très courant que l’on trouve aussi bien dans l’air ambiant que dans le thé ou le poivre. Une présence anodine pour les personnes en bonne santé, mais un redoutable pathogène pour des patients immunodéprimés, entraînant parfois dans cette population des infections fongiques invasives mortelles. Le transfert des patients immunodéprimés d’une chambre stérile d’hôpital à un logement ordinaire peut s’avérer un vrai choc environnemental.
Steffi Rocchi, dans une thèse préparée au laboratoire Chrono-environnement, cherche à déterminer les facteurs de risque fongique auprès de cinquante-cinq patients atteints de leucémie aiguë myéloïde. Un grand nombre de données, recueillies sur le terrain pendant trois ans, demande désormais à être analysé : mesures de contamination au CHRU, dans les couloirs et les chambres du service hématologie ; prélèvements répétés dans les chambres, salles de bains et pièces à vivre des logements ; suivi sur plusieurs années du dossier médical des patients. Car si l’on ne peut éradiquer un champignon aussi familier, comprendre où sont les facteurs de risque et comment éventuellement ils se combinent permettra de limiter son influence sur les organismes fragilisés.
Steffi Rocchi a reçu en mai 2012 le prix Guy Voisard remis par la Société française de mycologie médicale pour ce travail.
Gêne pour certains, polluant pour d’autres, le bruit se mesure sur une échelle variant de 0 à 140 décibels (dB), cet extrême correspondant au vacarme produit par une fusée au décollage. Le zéro absolu n’existe pas : un seul souffle sur le désert du Sahara ou le moindre déplacement d’une sauterelle dans une campagne reculée suffisent à émettre un son. Sur cette échelle, les valeurs ne s’additionnent pas sous prétexte que deux sources s’ajoutent. Une tondeuse à l’œuvre dans un jardin émet 95 dB, et si elle partage l’espace avec une deuxième tondeuse identique, la mesure s’élève à 98 dB. Pourtant le bruit, lui, est bien multiplié par deux. C’est dire si la lecture de variations de décibels apparemment infimes dans une mesure cache en réalité des disparités éloquentes.
Une étude réalisée en pleine agglomération bisontine montre que le soir, les bruits extérieurs à un logement représentent 54 dB, quand à l’intérieur 61 dB règnent dans la pièce principale. « Le soir correspond à un pic de bruit intérieur que l’on ne soupçonnait pas, d’une importance telle qu’il dépasse largement le bruit de la ville », raconte Frédéric Mauny, médecin au Centre de méthodologie clinique du CHRU de Besançon et responsable scientifique de cette étude issue de la collaboration entre les laboratoires Chrono-environnement, ThéMA, FEMTO-ST et Psychologie.
Si l’on pousse plus avant l’analyse, on s’aperçoit, à cette période de la journée, que le bruit de la pièce à vivre est supérieur dans un logement individuel, alors que les chambres des logements collectifs sont les plus bruyantes. La faute peut-être à la télévision que l’on trouve plus fréquemment dans ces dernières, et qui, à elle seule, apporte un surplus de 4 dB. Un élément d’information important dans l’étude de l’impact du bruit sur les résultats scolaires des enfants. Dans la construction du savoir caractérisant l’apprentissage scolaire, l’assimilation des connaissances engrangées dans une journée se consolide le soir. « La mémorisation, la capacité d’abstraction et la compréhension sont des facteurs perturbés par le bruit. Et c’est l’apprentissage du français qui en pâtit le plus, remarque Sophie Pujol, ingénieure au CMC et doctorante à Chrono-environnement.
L’analyse du bruit et de son impact reste subtile et fait appel, outre le niveau de bruit mesurable, à des notions plus subjectives de perception, de sensibilité, de gêne exprimée. Le travail des chercheurs se poursuit dans ce sens, alors que le niveau de preuve scientifique est suffisamment élevé pour affirmer que le bruit est un facteur délétère dans la survenue de l’infarctus du myocarde, de l’hypertension et de troubles du sommeil.
Plus insidieuses que le bruit, les ondes électromagnétiques passent inaperçues de nos capteurs sensoriels. Dans ce domaine, la question des effets des ondes radiofréquence sur le cerveau humain se pose de façon récurrente. Les rapports de l’OMS et du « Grenelle de l’environnement » recommandent d’étudier en priorité les effets non thermiques des ondes, en particulier le fonctionnement et la transmission d’informations entre les cellules nerveuses. Les travaux menés conjointement par Daniel Fau, chercheur CNRS au département MN2S de l’Institut FEMTO-ST, et Pierre-Yves Risold, chercheur INSERM à l’IFR 133 (Ingénierie et biologie cellulaire et tissulaire) à Besançon, entrent pleinement dans ces préoccupations.
L’exposition de cellules de cerveaux de rats et de souris à des ondes radiofréquences utilisées dans les objets du quotidien vont bientôt donner leurs premiers résultats. « Nous travaillons sur les aspects cellulaires et moléculaires liés à l’expression de gènes », explique Pierre-Yves Risold, en particulier GABARAP-L1, une protéine impliquée dans les processus d’autophagie, lors d’un stress ou une agression, ainsi que les protéines régulatrices du calcium dans les neurones, dont la perturbation augmente le risque de mort cellulaire.
Concrètement, les échantillons de cerveau de rats et de souris se présentent sous forme de tranches respectant les connexions entre neurones. C’est plus précisément l’hippocampe qui est étudié, en raison des fonctions et des propriétés particulières qu’il présente : particulièrement sensible aux stress environnementaux, c’est de plus une zone responsable de la mémoire à court terme et de l’apprentissage, et le site des premières lésions de la maladie d’Alzheimer. »
L’incubateur est spécialement adapté à l’exposition aux radiofréquences
Les cellules ont été placées pendant vingt-quatre heures dans un incubateur reproduisant les conditions d’exposition aux radiofréquences les plus proches de la réalité (de l’ordre de 2 GHz) satisfaisant à des critères rigoureux de température, d’humidité, de teneur en CO2 », raconte Daniel Fau. L’étude a été menée à deux niveaux d’exposition : le premier correspond aux ondes émises par un téléphone lors d’une conversation ; le second à une puissance dix fois supérieure, équivalente aux ondes envoyées par le même téléphone lors de la recherche de correspondant, ou par un four micro-ondes imparfaitement isolé en fonctionnement.
Le DAS, débit d’absorption spécifique, est l’une des caractéristiques clés de nos téléphones portables ; il mesure la quantité d’énergie que nous recevons des ondes radiofréquences et fait l’objet de contrôles répondant à des normes précises. Actuellement, la mesure est établie à partir d’un « fantôme », un récipient rempli d’un liquide aux propriétés électriques voisines de celles du corps humain ; au-dessus du liquide, un bras robotisé muni d’un capteur constitué de trois petites antennes scanne la surface pour mesurer les variations de son champ électrique lorsqu’il est placé à proximité d’un téléphone en fonctionnement.
À l’Institut FEMTO-ST, en partenariat avec FRANCE TÉLÉCOM, TÉLÉCOM BRETAGNE et SATIMO, Sébastien Euphrasie et ses collègues ont renouvelé et amélioré le concept. Dans le nouvel appareil de mesure qu’ils ont mis au point, le récipient est fermé pour éviter l’évaporation du liquide, dont le recalibrage n’est plus nécessaire ; une matrice de capteurs remplace le bras robotisé et permet une mesure plus rapide. Ces capteurs sont fabriqués sans métal, ils ne risquent donc pas de dégrader le champ électromagnétique dans le liquide. « Ils utilisent des cristaux électro-optiques en tantalate de lithium, dont l’indice de réfraction se modifie en fonction du champ électrique, explique Sébastien Euphrasie. En fait, c’est la variation de la réflexion d’un laser par le cristal qui renseigne sur l’activité du champ électrique et permet sa mesure. »
La preuve de concept étant faite, ce fantôme nouvelle génération du projet MERODAS (Mesure automatique de DAS sans robot) attend que des entrepreneurs lui donnent vie sous forme industrielle.
« La nature n’a pas de couloirs, seule une approche multiple permet de se reconnecter avec la réalité. » Ce credo affirmé par Gabriel Reboux semble résumer l’opinion de nombreux spécialistes. Des micro-organismes au bruit en passant par les pollens, la notion de multiexposition émerge pour expliquer comment se combinent différentes sources pour influer sur la santé humaine. Malgré sa complexité, elle est l’une des voies futures de la recherche.
Cette vision d’ensemble n’est pas sans rappeler la philosophie prévalant dans les approches écoépidémiologiques, soucieuses de replacer un processus dans son contexte.
Contacts :
Laboratoire Chrono-environnement – Université de Franche-Comté / CNRS
Patrick Giraudoux – Tél. (0033/0) 3 81 66 57 45
Didier Bompangue Nkoko – Tél. (0033/0) 3 81 66 57 10
Pierre-Marie Badot – Tél. (0033/0) 3 81 66 57 09
Jean-Charles Dalphin – Tél. (0033/0) 3 81 66 88 02
Gabriel Reboux – Tél. (0033/0) 3 81 66 91 65
Anne-Pauline Bellanger – Tél. (0033/0) 3 81 66 91 65
Nadine Bernard – Tél. (0033/0) 3 81 66 57 89
Steffi Rocchi – Tél. (0033/0) 3 63 08 22 74
Frédéric Mauny – Tél. (0033/0) 3 81 21 94 94
Sophie Pujol – Tél. (0033/0) 3 81 21 90 49
IFR 133 – Université de Franche-Comté / EFS B-FC / CHRU de Besançon / INSERM
Pierre-Yves Risold – Tél. (0033/0) 3 63 08 22 23
Institut FEMTO-ST – Université de Franche-Comté / ENSMM / UTBM / CNRS
Daniel Fau – Tél. (0033/0) 3 81 85 39 66
Sébastien Euphrasie – Tél. (0033/0) 3 81 85 39 20