Université de Franche-Comté

D’un pôle à l’autre du globe

Le célèbre explorateur Claude Lorius découvre la glaciologie alors qu’il est étudiant à la faculté des sciences de Besançon. Cette jeune discipline lui fera mettre le cap sur l’Antarctique. Direction opposée pour les chercheurs des laboratoires ThéMA et Chrono-environnement qui consacrent leurs travaux à l’étude des glaciers et territoires de l’Arctique. Une planète, deux pôles, une même attraction…

 

La glace pour passion

Claude Lorius

« Recherchons jeunes étudiants pour participer aux campagnes organisées pour l’Année géophysique internationale. » Lorsqu’il répond à cette petite annonce placardée sur les murs de l’université à Besançon en 1955, Claude Lorius (1932-2023) suit des études de physique à la faculté des sciences ; c’est ainsi qu’il fait connaissance avec la glaciologie, une discipline récente qui deviendra sa spécialité de recherche, une passion qui ne le quittera plus. Deux ans plus tard, il rejoint la base Charcot en Terre Adélie ; c’est la première des 22 expéditions qui le mèneront sur le sol gelé de l’Antarctique, son terrain d’investigation favori.

Claude Lorius comprend que les bulles d’air emprisonnées dans les glaces depuis des millénaires recèlent des traces du passé et « qu’elles représentent des témoins fiables et uniques de la composition de l’air ». Des carottes prélevées sur des centaines de mètres d’épaisseur de glace en fourniront les preuves : l’analyse de la composition isotopique des molécules d’eau renseigne sur l’évolution du climat de la planète jusqu’à 800 000 ans, celle d’éléments comme le dioxyde de carbone et le méthane établit le lien entre présence de gaz à effet de serre et changement climatique sur ce temps très long.

Médaillé d’or du CNRS en 2002, Claude Lorius cumule les distinctions et les reconnaissances tout au long de sa carrière pour les recherches pionnières qu’il a menées en Antarctique et les avancées qu’elles représentent pour la science. Infatigable promoteur de la cause environnementale et climatique, le scientifique bisontin s’est éteint en mars dernier à l’âge de 91 ans.

 

En direct de la station Corbel

De l’autre côté du globe, c’est l’Arctique qui depuis plusieurs décennies est au centre de travaux menés à l’université, dont les chercheurs impliqués comptent parmi les rares scientifiques en France à travailler sur cette partie du monde.

Les glaciologues Florian Tolle et Éric Bernard, ainsi que leur collègue Jean-Michel Friedt, spécialiste en instrumentation à l’Institut FEMTO-ST, se rendent régulièrement dans l’archipel du Svalbard, à 79 degrés de latitude nord, pour étudier les paramètres et les mécanismes d’évolution du glacier Austre Lovén. Les glaciers polaires sont très affectés par les évolutions climatiques intenses déjà à l’œuvre en Arctique, et parmi eux, l’Austre Lovén donne de précieuses indications pour aider à anticiper les changements à venir sur l’ensemble de la planète.

Les travaux sont engagés depuis plus de quarante ans au laboratoire ThéMA, et les investigations de terrain toujours menées depuis la base Jean Corbel : idéalement située pour la recherche glacio­logique et hydrogéologique, elle porte le nom du géographe français qui l’a installée en 1963. La station fête donc cette année ses soixante ans d’existence. Après une période d’inactivité de plus de dix ans, elle reprend vie en 1979 sous l’impulsion de deux jeunes géographes de ThéMA, Thierry Brossard et Daniel Joly, qui organisent leurs premières expéditions au Svalbard.

« Leur présence estivale continue et leurs efforts conduisent à un renouvellement complet de la station, l’empêchant de se transformer en ruines », rapporte Florian Tolle. Dans les années 1980, leur collègue Madeleine Griselin dirige elle aussi de nouvelles recherches depuis la station Corbel, contribuant à son renouveau. La station est depuis 2003 exploitée par les instituts polaires français et allemand. La rénovation progressive et complète de ses bâtiments en fait aujourd’hui une infrastructure moderne et adaptée à la poursuite des recherches sur les terres gelées de l’Arctique.

 

L’Arctique en grand

Photo Florian Tolle

À Chrono-environnement, des chercheurs mènent quant à eux des investigations au Groenland, en Alaska, au Canada et en Sibérie, un périple arctique dont on peut indiquer quelques étapes. Seul territoire connu sur la planète pour avoir été occupé par intermittence par l’homme, le Groenland est un cas d’école permettant aux scientifiques d’étudier un environnement naturel sur la durée, en incluant l’impact de la pression anthropique. Les pollens prélevés dans les sédiments lacustres témoignent de changements dans la végétation, eux-mêmes significatifs de la vie sur un territoire à un moment donné.

Les analyses montrent par exemple que les pratiques agricoles déployées par les Vikings au cours des XI e et XII siècles ont une incidence sur l’érosion : elle est alors deux fois plus importante qu’en période vierge de toute présence humaine. « L’érosion est cinq fois supérieure au début du XX siècle, lorsque le même territoire est à nouveau exploité au moyen d’une mécanisation intensive », explique Émilie Gauthier, palynologue et directrice du laboratoire Chrono-environnement, qui participe aux expéditions en direction du Groenland organisées depuis quinze ans. Le Québec est, lui, visé par l’IRP Forêts froides, un programme international piloté par le CNRS, pour lequel le paléoécologue Damien Rius étudie sur les derniers 10 000 ans les impacts de perturbations comme les feux ou la défoliation des arbres provoquée par les attaques d’insectes.

Les déséquilibres menacent aussi les écosystèmes lacustres ; ils sont dans le point de mire des spécialistes Hélène Masclaux, Laurent Millet et Valérie Verneaux. La matière organique qui se dépose dans l’eau, lorsqu’elle est dégradée sous l’influence de diverses perturbations, peut priver d’oxygène une partie des eaux profondes des lacs. Dans ces conditions d’anoxie, elle risque de se transformer en méthane : « L’un de nos objectifs est d’évaluer, avec un recul de cent cinquante ans, l’importance de la production de méthane au fond des lacs et sa diffusion éventuelle dans l’atmosphère ». Tous ces questionnements sont liés à la problématique du réchauffement climatique : décrypter les mécanismes du passé peut servir les enjeux actuels.

 

Unique Espace des mondes polaires

En 1998, le Centre Paul Émile Victor ouvre ses portes à Prémanon (39) avec le soutien du célèbre explorateur jurassien. Ce musée prend une nouvelle dimension en 2017, lorsqu’il est intégré à un nouveau complexe mêlant activités scientifiques et touristiques : sur 5 000 m­², l’Espace des mondes polaires est une expérience unique en France.

Une collaboration avec les scientifiques de l’université s’organise sous l’impulsion du directeur du musée, Stéphane Niveau, qui souhaite s’appuyer sur leurs compétences et les résultats de leurs recherches pour garantir la fiabilité des informations relayées auprès du public. « Les chercheurs sont des personnes ressources pour actualiser les données sur le monde polaire, qui changent très vite », estime Françoise Guyard, encore récemment responsable du développement et de la coordination de l’Espace.

Des climatologues, paléoclimatologues, glaciologues et d’autres scientifiques encore participent ainsi à l’élaboration de la programmation annuelle des activités ou à la mise en œuvre des expositions, animent des cycles de conférences… Une caution et une dynamique scientifiques qui contribuent à donner le sens et la crédibilité voulus par la structure jurassienne dans sa démarche de communication auprès du grand public.

Contact(s) :
Laboratoire ThéMA
UFC / UB / CNRS
Florian Tolle
Tél. +33 (0)3 81 66 59 54

Laboratoire Chrono-environnement
UFC / CNRS
Émilie Gauthier
Tél. +33 (0)3 81 66 66 69

Espace des mondes polaires
Tél. +33 (0)3 39 50 80 20
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