Prochainement et pour la première fois de son histoire, la Franche-Comté disposera d’une carte des sols pour l’ensemble de son territoire. Un outil de travail, de connaissance, de prévention aussi, puisqu’elle permettra d’identifier les zones les plus fragiles de l’espace comtois, et de prendre les dispositions nécessaires pour tenter de mieux les protéger. La mission est placée sous la responsabilité du laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté, et fait honneur à l’Année internationale des sols que célèbre 2015.
La Franche-Comté verra ses sols affichés au 1/250 000e sur une carte élaborée à partir de relevés de terrain et de la compilation de données existantes. Un travail de fourmi dont l’aboutissement est prévu pour 2017, au terme de plusieurs années de reconstitution patiente sous la houlette du laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté, s’inscrivant dans un programme national piloté par l’INRA, principalement financé par le ministère de l’Agriculture.
La carte dresse un bilan en surfaces et en distribution des grands types de sols, et restitue la composition de chacune des couches qui les constituent, appelées horizons, jusqu’à un mètre environ de profondeur. « Même si nous possédions déjà de nombreux éléments de connaissance, certaines analyses physico-chimiques complémentaires nous ont réservé quelques surprises, comme le fait que le massif du Jura abrite des sols acides assez fréquents, alors que les sols développés sur les roches calcaires sont en général proches de la neutralité », confie le pédologue Éric Lucot.
La carte est une mine de renseignements que peuvent utiliser avec profit tous les acteurs et décideurs concernés par l’aménagement du territoire, le développement durable ou encore la gestion du patrimoine naturel. Elle révèle le potentiel des sols aussi bien en matière agricole que forestière, renseignant sur les espèces d’arbres ou le type de culture à privilégier ; elle souligne les liens entre les milieux, permet de comprendre et de prévoir les transferts de polluants, sert de base aux inventaires des zones humides dont l’intérêt est primordial dans les décisions d’aménagement, et exprime le niveau de risque de dégradation des sols. Ce dernier aspect apparaît un enjeu essentiel, et alerte sur les conséquences liées à leur utilisation.
Selon la définition de l’Association Française pour l’Étude du Sol (AFES), « le sol est un volume qui s’étend depuis la surface de la Terre jusqu’à une profondeur marquée par l’apparition d’une roche dure ou meuble. […].
L’épaisseur du sol peut varier de quelques centimètres à quelques dizaines de mètres, ou plus. Il constitue, localement, une partie de la couverture pédologique qui s’étend à l’ensemble de la surface de la Terre. Il comporte le plus souvent plusieurs horizons correspondant à une organisation des constituants organiques et/ou minéraux, la terre ».
Pour en savoir plus… www.afes.fr.
Les dangers majeurs sur lesquels les spécialistes attirent l’attention sont l’érosion et le tassement des sols. « Les problèmes de tassement des sols agricoles sont bien connus et mettent en cause la circulation de tracteurs et moissonneuses plus gros les uns que les autres, raconte Éric Lucot. La nouveauté, c’est de voir la forêt gagnée par le même fléau. » Là encore, la mécanisation plus forte depuis une dizaine d’années et le travail des engins, parfois sur des
sols détrempés, sont responsables du phénomène.
Le tassement d’un sol signifie une moindre circulation de l’air, de l’eau et des organismes, des racines qui ont du mal à se développer, et de manière globale des plantes qui poussent mal. Les conséquences délétères sur la croissance des arbres ne seront visibles que dans dix ou vingt ans, mais elles sont déjà programmées. « Si les sols tassés sont difficiles à restaurer sur les terres cultivables, en forêt c’est une catastrophe, cela peut prendre des dizaines d’années, voire des siècles », prévient le pédologue.
Abondantes dans le Territoire de Belfort, la Bresse jurassienne ou dans la vallée de la Saône, les zones humides font l’objet d’une attention particulière de la part des chercheurs, qui se sont félicités de la prise en compte des sols dans leur définition en 2009 par le législateur, dans le but de les protéger lors des opérations d’aménagement du territoire.
Marécages, bras de rivière oubliés, nappes d’eau peu profondes mais pérennes… participent à la définition des zones humides, dont l’enjeu est primordial. On estime que plus de la moitié ont disparu ou se sont fortement dégradées depuis les années 1970, alors qu’elles abritent 30 % des espèces rares ou menacées, retiennent l’eau pour la redistribuer progressivement, évitant ainsi les crues, piègent et stockent les nitrates et le carbone… Autant d’arguments pour une protection renforcée.
Sol de zone humide, sol hydromorphe
avec des taches d’oxydation et des taches de réduction du fer, Jura
Quant à l’érosion, se chiffrant à quelques dixièmes de millimètres par an lorsque le processus est naturel, elle est favorisée par l’agrandissement de la taille des parcelles augmentant le ruissellement de l’eau, par des labours trop profonds, l’utilisation des pesticides, et des pratiques responsables de la diminution de la teneur en matière organique. Selon la pente, l’érosion atteint sur certaines zones 1 à 3 millimètres par an, 5 centimètres en vingt ans, soit une perte de rendement de 15 % compensée par l’ajout d’engrais, entretenant ainsi un cercle vicieux en sa faveur. Les indications données par la carte aideront à déterminer les zones naturellement les plus sensibles, et à motiver les décisions qui s’imposent pour faire machine arrière, ou tout au moins stopper le processus.
Réseau de rigoles d’érosion (Jura) – Photos Éric Lucot
« Pendant des centaines d’années, l’homme a réussi à travailler la terre sans l’épuiser. La mécanisation excessive et l’intensification de l’agriculture ont mis un demi-siècle à éreinter les sols, qui atteignent la limite de leur capacité de résilience. Si cinquante ans suffiront à restaurer les moins mal lotis, d’autres, où il ne subsiste que des cailloux, ne sont pas renouvelables à notre échelle de temps, plusieurs milliers d’années seront nécessaires. » Une lueur d’espoir s’accroche cependant à ce tableau noir : « une certaine prise de conscience, aujourd’hui, de l’existence des sols et de la nécessité de les préserver ». Une tendance à confirmer… et à concrétiser.
Pour en savoir plus sur l’Année internationale des sols : http://www.fao.org/soils-2015/fr/
Contact : Éric Lucot
Laboratoire Chrono-environnement
Université de Franche-Comté / CNRS
Tél. (0033/0) 3 81 66 57 82