En Indonésie, premier pays producteur d’huile de palme au monde, l’île de Sumatra est le théâtre d’une expérimentation scientifique totalement inédite : une cinquantaine d’îlots composés de six espèces locales d’arbres poussent au cœur des 140 hectares d’une plantation industrielle de palmiers à huile, pour tenter de restaurer la biodiversité mise à mal par la déforestation et l’instauration d’une telle monoculture.
Au terme de cinq ans, l’expérience s’avère concluante, aussi bien pour l’environnement que pour l’industrie : même si elle n’est pas comparable à la formidable richesse que présente celle de la forêt tropicale originelle, la biodiversité a bien repris ses droits, sans pour autant nuire aux rendements de la plantation. Une logique gagnant-gagnant pour l’exploitation, et un pari réussi pour l’équipe internationale de scientifiques, parmi lesquels Delphine Clara Zemp, directrice du laboratoire de biologie de la conservation à l’université de Neuchâtel : « L’utilisation de ressources par les îlots arborés pour leur propre développement ne s’est pas faite au détriment de celui des palmiers à huile. Ce constat se vérifie même cinq ans après la mise en place de l’expérimentation, et cela sans apport d’engrais chimiques ou d’autres substances artificielles dans les îlots ».
Dans l’étude environnementale très complète qu’ils ont menée au cours de ces années, les chercheurs ont mesuré la diversité des espèces de micro-organismes du sol, bactéries et champignons, des espèces d’insectes et d’autres petits invertébrés, de plantes, d’oiseaux et de chauves-souris. « Nous avons aussi quantifié les impacts des îlots sur la régulation des cycles de l’eau, du carbone et des nutriments, sur la régulation du microclimat, sur la qualité du sol et la pollinisation, ainsi qu’en termes de contrôle des communautés biologiques et des espèces invasives », explique Delphine Clara Zemp.
Cette recherche a fait l’objet d’une publication en mai dernier dans la prestigieuse revue Nature, dont les signataires soulignent tous l’importance de préserver « l’irremplaçable biodiversité » de la forêt tropicale : « Éviter la déforestation doit rester la priorité absolue ». Mais pour les millions d’hectares déjà occupés par la culture des palmiers à huile en Indonésie ou en Malaisie, l’expérimentation invite à aller plus loin que dresser le constat d’un désastre écologique, et à mettre en place des solutions. « Même si la biodiversité « restaurée » est différente de celle que l’on trouve dans les forêts intactes, elle est souhaitable pour maintenir des agroécosystèmes fonctionnels. »