Émissions politiques, blogues, vidéos, chroniques radio, articles de presse, journaux télévisés, publications scientifiques, tweets, discussions de comptoir…, des millions de commentaires et d’explications de toutes sortes circulent depuis le début de la crise sanitaire, à l’instar du virus qui a déclenché un tel flot de paroles. L’anthropologue Patrick Gaboriau et l’ethnologue Christian Ghasarian (1) proposent une lecture synthétique et commentée de cette « polyphonie interprétative » dans l’ouvrage Le virus, le pouvoir et le sens.
Loin de vouloir donner des avis supplémentaires sur ce « fait social total », les auteurs recensent et décrivent ce qui s’est dit et écrit depuis le début de la crise jusqu’en juin en France, où le phénomène a été particulièrement marqué, et analysent le sens de ces propos tenus tous azimuts.
Ils soulignent le rapprochement du médical et du politique, deux mondes qui de façon inattendue se sont mis à parler d’une seule voix, donnant naissance à un « pouvoir médico-politique » inédit. Des paroles qualifiées de légitimes, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elles ont toujours été considérées comme crédibles. Elles ont en tout cas éclipsé toutes les autres, émanant des sphères médiatique, économique, juridique, religieuse, intellectuelle ou venant du peuple via les réseaux sociaux. Ces voix-là ont seulement participé aux débats d’idées, sans véritable portée décisionnelle, du moins jusqu’à ce que celle des économistes ait pu s’affirmer lorsque de sanitaire, la crise est aussi devenue économique. Certaines paroles ont même été décriées, comme celle des écrivains ou autres personnalités venues se mettre au vert dans leurs maisons de campagne, et dont la rédaction de « journaux de confinement » n’a réussi qu’à mettre en évidence les privilèges et à exacerber les inégalités. Le discours médiatique quant à lui s’est fait « le porte-voix » des instances officielles, piochant de temps à autre, pour se renouveler, des informations dans des réseaux sociaux érigés en contre-pouvoirs.
La multiplication des discours et des interprétations est pour les auteurs caractéristique d’une société et d’une époque en quête de sens. Retrouver celui de la collectivité s’est exprimé dans les applaudissements réservés chaque soir aux soignants, un rituel permettant de rompre l’isolement. Le milieu hospitalier est d’ailleurs apparu comme un idéal de solidarité, alors même qu’il était en tension depuis des mois. Dans le contexte de confusion et de contradiction ambiant, l’histoire avait par ailleurs besoin de héros pour se construire, un rôle assigné notamment au Pr Didier Raoult, dont la place démesurée sur la scène médiatique trouve ici une explication.
Et que dire des bons mots, du rire et de la dérision qui ont ponctué de notes légères ou sarcastiques cette période dramatique ? Eux aussi sont chargés de sens. Ainsi toutes les formes d’expression sont dans cet ouvrage passées au crible pour mieux comprendre les significations et les formes de pouvoir qui se jouent au cœur d’une crise hors normes pour nos sociétés.
Gaboriau P., Ghasarian C., Le virus, le pouvoir et le sens, Éditions L’Harmattan, 2020