Université de Franche-Comté

[Archéologie]

Couan : un sanctuaire, un trésor, et un nouveau dieu gaulois

En 1977, Georges-André Colas, faïencier de métier, fait une découverte fortuite dans un champ au lieu-dit Couan, à proximité de Vézelay (89). Des vestiges gallo-romains dont il amasse un vrai butin, garde le secret, et qu’il vend au plus offrant.

Photo de Pierre Nouvel, UMR 6298 Artéhis / Université de Bourgogne Franche-Comté

Les aveux de son forfait, trente ans plus tard, mènent à des fouilles archéologiques et à la mise au jour d’un sanctuaire gallo-romain, selon toute vraisemblance consacré à Cobannus, un dieu gaulois dont personne n’avait jamais entendu parler jusqu’alors.

Découvertes, pillages, confessions, investigations…, le récent passé et l’histoire antique se mêlent dans cette aventure hors du commun et romanesque à souhait, avec la recherche archéologique pour assise scientifique.

« La découverte du trésor et de son sanctuaire sur un même site est unique pour cette période », rapporte l’archéologue Rebecca Perruche, en post-doctorat à la MSHE de Besançon, et qui assure la direction des fouilles de Couan depuis l’an dernier. « Les recherches montrent que le sanctuaire est d’origine celtique, installé sur le territoire des Éduens1. Fondé au Ier siècle avant notre ère, il continue à recevoir des offrandes jusqu’au IV siècle, puis est abandonné après avoir été incendié. »

Boîte à offrandes. Photo Musée Paul Getty, Villa collection, Malibu, Californie.

Les recherches ont révélé un sanctuaire de configuration classique, abritant un temple d’abord érigé en terre et en bois, puis maçonné, et un autel en pierre. Le sanctuaire est proche d’un habitat groupé, lui-même entouré de quelques villae éparses, le tout formant un bourg d’importance moyenne.
« Ce qui est moins classique, c’est que l’emplacement du trésor se trouvait à l’extérieur de l’espace sacré, sans doute pour le mettre à l’abri des pilleurs de la fin du IVsiècle », explique Rebecca Perruche.

Un dieu « local »

Les chercheurs ont suivi sa piste grâce aux indications laissées par Georges-André Colas, dont la passion était (presque) aussi forte que l’appât du gain. « Avant de se séparer des vestiges qu’il a trouvés, il en fournit un inventaire minutieux et une mise en situation sous forme de dessins et de plans, qui nous sont très utiles. »

Il réalise aussi des moulages d’environ la moitié des objets, qui sont en réalité les témoignages les plus concrets qui subsistent de sa découverte. Statues en bronze, situle – un récipient en forme de seau –, en bronze également, bijoux, miroirs, vaisselle, coffrets, tirelires, ce sont environ quatre-vingts objets et des milliers de monnaies qui sont extraits du sol par Georges-André Colas.

Seuls huit objets originaux ont depuis été reconnus et authentifiés, quatre au musée Getty de Los Angeles et quatre autres dans une collection privée, également aux États-Unis. Et sur plus de 7 000 pièces exhumées de la situle et des tirelires en 1977, deux seulement ont été retrouvées, lors de ventes aux enchères. « Elles font partie des quelques exemplaires rares en or ou en argent que contenait le lot de pièces. Ce n’étaient pas des monnaies d’échange mais des cadeaux, offerts par des empereurs romains », témoigne l’archéologue.

La Statue de Mars-Cobannus. Selon les chercheurs, sa main droite tenait une lance et la gauche était posée sur un bouclier. Photo Musée Paul Getty, Villa collection, Malibu, Californie.

Tous ces artefacts ont été formellement identifiés comme provenant du trésor de Couan, notamment par comparaison avec les moulages réalisés à l’époque. Le musée Getty abrite deux bustes, une boîte à offrandes et une statue, tous en bronze. De ces vestiges parfaitement conservés, la statue est sans doute celle qui interpelle le plus les chercheurs. Haute de 76 cm, elle porte l’inscription « Mars-Cobannus » et révèle que cobannus, un mot gaulois signifiant forge, ou forgeron, également inscrit sur d’autres objets du site, a été attribué à un moment donné à un dieu.

« La mention de ce dieu est connue seulement à Couan, où se développait à proximité à l’époque une importante activité d’extraction du minerai de fer. Tous les indices tendent à prouver que le sanctuaire de Couan lui était dédié. Cobannus, qu’on peut imaginer comme un dieu « local », a visiblement été associé à Mars, un dieu très honoré en Gaule romaine. C’est une sorte de fusion entre les deux panthéons, gaulois et romain. »

Rebecca Perruche et ses collaborateurs, Mathieu Thivet et Pierre Nouvel, des laboratoires Chrono-environnement à l’université Marie et Louis Pasteur, et ARTEHIS à l’université Bourgogne Europe, terminent début juillet une campagne de fouilles de plusieurs semaines à Couan, un « chantier-école » réunissant chercheurs, doctorants et étudiants autour de la poursuite de la mise au jour du site.

Quant à Georges-André Colas, décédé en 2012, quatre ans après ses aveux, s’il avait finalement choisi de ne pas emporter son secret dans la tombe, il n’aura pas connu la suite de l’aventure archéologique dont il a été le premier instigateur.

 

1 Les Éduens étaient l’un des peuples les plus puissants de Gaule, installés dans les actuels départements de la Nièvre, de la Saône-et-Loire, et en partie de la Côte d’Or et de l’Allier. Leur capitale était Bibracte, avant qu’ils s’établissent à Augustodunum (Autun), deux sites archéologiques d’importance majeure pour la connaissance des périodes gauloise et gallo-romaine.
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