Pour avoir été l’un des personnages les plus influents de la Renaissance sur la scène européenne, Antoine Perrenot de Granvelle (Besançon, 1517 – Madrid, 1586), n’en reste pas moins méconnu sur la terre comtoise qui l’a vu naître il y a un demi millénaire. La faute à l’Histoire et aux lectures qu’il a été donné d’en faire aux chercheurs…
Besançon lui doit la construction de l’hôtelMontmartin (aujourd’hui dans l’enceinte de l’hôpital Saint-Jacques) et à son père avant lui celle du palais Granvelle. Ornans (25) et Grandvelle-le-Perrenot (70) ont vu se bâtir leurs maisons familiales. Et si des édifices et des rues perpétuent le nom des Granvelle, la stature de son plus illustre représentant, Antoine Perrenot de Granvelle, homme d’État, grand prélat, mécène et bibliophile de la Renaissance, passe bien souvent inaperçue.
Pourtant, la biographie du grand homme, même évoquée succinctement, force l’admiration. Antoine de Granvelle fut conseiller de Charles Quint, dont son père était lui-même le ministre chargé de l’administration de l’Italie, de l’Allemagne et des Pays-Bas. Fidèle à la lignée impériale, Antoine de Granvelle, à l’abdication de l’Empereur, se met au service de son fils Philippe II, roi d’Espagne.
Se succèdent alors les charges ecclésiastiques et d’État, qui toujours se confondent à cette période de l’histoire.
Antoine de Granvelle fut ministre de la gouvernance des Pays-Bas, « ambassadeur d’Espagne » auprès du Saint-Siège, vice-roi de Naples, président du conseil d’Italie, évêque d’Arras, archevêque de Malines (Bruxelles), de Besançon et cardinal. Son importance et son influence peuvent se comparer à celles de ses contemporains les plus célèbres, comme les Médicis et les Farnèse. « Sur la scène politique, le roi d’Espagne ne cherche pas à détenir le pouvoir absolu. Cela laisse une grande marge de manœuvre et un pouvoir immense aux hommes qui gouvernent à ses côtés », explique Rudy Chaulet, enseignant en civilisations hispaniques à l’université de Franche-Comté et chercheur à l’ISTA, qui conclut : « Antoine de Granvelle comptait parmi la dizaine de personnages les plus puissants sur l’échiquier politique européen. »
Et si, malgré ce C.V. impressionnant, malgré le fait qu’il parle français et qu’il a toujours gardé des relations avec sa terre natale, Antoine de Granvelle manque de (re)connaissance en France et en Franche-Comté, c’est en grande partie parce que la Comté de l’époque était une possession impériale, ne devenant partie intégrante du royaume de France qu’en 1674. Pendant très longtemps, les historiens n’ont pris soin d’étudier les territoires et leurs personnages emblématiques que lorsqu’ils appartenaient à l’Histoire de France. Ce qui s’était passé auparavant était ignoré, cela d’autant plus volontiers qu’évoquer ce passé ravivait le souvenir de périodes troublées ; or François 1er, le roi de France, était l’ennemi juré de Charles Quint. « Des recherches de très grande qualité ont par exemple été menées sur les cardinaux à l’époque moderne, mais elles ne concernaient que les cardinaux français », raconte Catherine Chédeau, enseignante en histoire de l’art à l’université de Franche-Comté, et chercheure au centre Lucien Febvre. En outre, les historiens élaboraient leurs travaux en fonction des sources dont ils pouvaient disposer, la principale étant alors la bibliothèque du Royaume de France, qui centralisait les connaissances… sur la France.
Antoine Perrenot de Granvelle,
Huile de Tiziano Vecellio |
Le problème de l’accès aux sources est évidemment moindre avec la mondialisation et les nouveaux moyens de communication. Retrouver les traces d’Antoine de Granvelle demeure cependant un travail de fourmi, un jeu de piste menant de la Franche-Comté à l’Espagne, de l’Italie aux Pays-Bas, avec pour indices des correspondances, des objets d’art et des livres éparpillés entre collections particulières, bibliothèques et musées. « Les chercheurs ont longtemps travaillé sur les sources qui leur étaient géographiquement proches, chacun dans son pays, explique Rudy Chaulet. Nous avons aujourd’hui de plus en plus la volonté de nous rencontrer pour reconstituer le puzzle qui nous permettra de mieux comprendre ce personnage aux multiples facettes. » Le 500e anniversaire de la naissance d’Antoine de Granvelle a été le prétexte, en fin d’année 2017, à l’organisation d’un colloque international de grande envergure à Besançon, qui a reçu les contributions de spécialistes venant de toute la France, de Madrid, de Naples, de Prague, de Manchester ou encore de Bruxelles. « Cette rencontre a été l’occasion d’intégrer à notre réflexion des éléments nouveaux portant sur l’Espagne : la noblesse y constituait un monde plus fermé que dans le nord de l’Europe, mais Granvelle avait côtoyé ses nombreux aristocrates », rapporte Rudy Chaulet. Des inventaires et des comparaisons ne manquent pas d’être établis, notamment à partir du patrimoine architectural familial. « Aux Pays-Bas où il réside, Antoine de Granvelle privilégie l’exceptionnel. À Besançon où il fait bâtir l’hôtel de Montmartin comme maison de campagne, à la fin de sa carrière, il choisit de se montrer certes différent des gens de la ville, mais sans ostentation. Il se met au diapason de la cité et renonce au faste auquel il aurait pu prétendre », remarque Catherine Chédeau.
La lignée familiale des Granvelle s’éteint au début du XVIIe siècle. Cette absence de continuité dynastique s’ajoute aux facteurs historiques pour expliquer comment Antoine de Granvelle et sa famille sont tombés dans un relatif oubli, malgré leur prestige et leur importance, un déficit de connaissances que les chercheurs s’efforcent de pallier, en présentant sur la scène internationale les travaux qu’ils ont initiés ces dernières décennies.
Contacts :
Rudy Chaulet – ISTA – Institut des sciences et techniques de l’Antiquité – Université de Franche-Comté
Tél. +33 (0)3 81 66 51 42
Catherine Chédeau – Centre Lucien Febvre – Université de Franche-Comté
Tél. +33 (0)3 81 66 53 62