Une « ethnie » est trop souvent définie comme un groupe social aux caractéristiques fixes et homogènes, partageant une langue, des traditions, une culture, voire des traits génétiques transmis de génération en génération. Pour l’anthropologie sociale au contraire, il s’agit d’une identification collective découlant d’un processus dynamique, relationnel et contextuel.
C’est en l’étudiant par ce prisme que l’anthropologue Anahy Gajardo cherche à comprendre la résurgence, au début des années 2000, d’une ethnie considérée comme disparue, reconnue récemment comme un peuple autochtone. Elle dévoile l’importance dans ce mécanisme de l’évolution du contexte politique, du cadre légal national et international, et des enjeux liés à un conflit minier de grande ampleur, auquel se sont opposées les organisations autochtones. « C’est une lecture dynamique et politique des processus en jeu, à même de s’appliquer à d’autres situations, un regard nouveau et nécessaire qui n’enlève rien à la légitimité des revendications des peuples autochtones en faveur de leurs droits ».
Peuple précolombien considéré « de culture avancée » par les archéologues, inclus dans l’empire Inca au XIV e siècle, les Diaguita formaient un groupe social dont la disparition a été décrétée dès le XVIIe siècle. « Cette affirmation était fondée sur le fait que, comme d’autres peuples précoloniaux, les Diaguita avaient été décimés en nombre lors des conquêtes européennes, et que la politique d’assimilation forcée et raciste menée par la république chilienne au XIXe siècle avait mené à l’effacement des marqueurs culturels du groupe, explique Anahy Gajardo. Par ailleurs, à cette même période, la catégorie des Indios disparait des recensements : les traces de l’existence administrative et légale des Diaguita s’estompent et finissent par disparaître, jusqu’à l’aube du XXIe siècle ».
L’identité diaguita s’affirme à nouveau au début des années 2000 dans le Huasco Alto, au nord du Chili, alors que le gigantesque projet d’extraction d’or Pascua Lama1 fait planer sa menace environnementale sur le territoire. Elle peut le faire dans un contexte de démocratisation du régime politique, qui avait admis l’existence de huit peuples autochtones au début des années 1990.
En 2006, les Diaguita bénéficieront eux aussi de ce statut, qui, assorti de droits reconnus à l’international, représente un véritable outil politique, notamment en matière de protection du territoire. Aujourd’hui les Diaguita représentent, en nombre, le troisième peuple autochtone du Chili.
« Comprendre comment se créent les ethnies est fondamental sur le plan scientifique : mes travaux mettent en évidence la manière dont l’ethnicité se forme et se transforme, comment elle acquiert des significations différentes selon les contextes, les interactions et les enjeux politiques, sociaux et environnementaux, rendus ici saillants par un conflit minier », explique la chercheuse, qui a suivi ce processus pendant près de quinze ans, se rendant régulièrement sur le terrain, au contact de la population.
La recherche menée par Anahy Gajardo à l’université de Neuchâtel a été publiée sous forme de livre. Autochtonies en terrain miné. Formation et fragmentation des Diaguita dans le Chili néolibéralisé est paru en juin 2024 aux éditions MétisPresses. Un livre sélectionné en septembre dans les recommandations de lecture du Monde diplomatique.