Elles ne sont pas moins de 146 à tourner autour : la découverte de 62 nouvelles lunes de Saturne place la planète géante en tête de classement du nombre de satellites recensés pour une planète du système solaire, désormais loin devant Jupiter qui en affiche tout de même 95. Une équipe internationale d’astronomes1 est à l’origine de cette découverte, dont Jean-Marc Petit, directeur de recherche CNRS à l’Observatoire de Besançon.
Spécialiste des dynamiques du système solaire, Jean-Marc Petit explique comment les données collectées par le télescope Canada-France-Hawaii (CFHT) ont pu donner lieu à cette révélation : « Les lunes sont des objets qui se déplacent et qui, lorsqu’elles sont de faible taille, ne réfléchissent pas assez de lumière pour qu’une caméra puisse les détecter en une seule fois. Entre 2019 et 2021, le télescope a donc pris des images d’une large fenêtre de ciel toutes les 5 minutes sur des durées de 3 heures, des images ensuite déplacées pour annuler les effets de la vitesse de mouvement des objets, et superposées pour ne former qu’un seul cliché ». Ce sont ces agrégations de prises de vues qui ont révélé l’existence des nouvelles lunes de Saturne, situées bien au-delà des fameux anneaux de la planète, et dont les plus petites mesurent à peine 2,5 km de diamètre.
À l’inverse d’une lune « régulière » comme Titan, formée directement autour de Saturne, tout comme la Lune autour de la Terre, ces 62 lunes sont qualifiées d’« irrégulières », c’est-à-dire qu’elles se sont constituées ailleurs avant d’être « capturées » par la planète ; nées de collisions diverses dont les plus anciennes sont estimées à des milliards d’années, elles se singularisent notamment par des orbites excentriques et par différentes inclinaisons qui permettent de les classer en groupes. Analyser les caractéristiques de ces lunes aide à la compréhension des dynamiques à l’œuvre lors de la formation du système solaire, et d’éprouver les modèles mathématiques mis au point par les scientifiques.
Ces observations complètent celles de corps célestes plus lointains : les travaux de Jean-Marc Petit se concentrent habituellement sur la ceinture de Kuiper, qui étire sa large bande de débris glacés aux confins du système solaire, entre 30 et 55 unités astronomiques (UA) de distance du Soleil. Saturne, elle, se trouve à environ 9,5 UA du Soleil2. « Plus le temps de révolution autour du Soleil est long, plus l’évolution des orbites est lente, et plus le système est proche des conditions primordiales. Dans la ceinture de Kuiper, les périodes orbitales varient de 250 à 350 ans, contre 29 ans à la distance de Saturne, ce qui fonde l’intérêt de l’observation de corps aussi lointains. »
À de telles distances, la température est plus faible, les évolutions chimiques sont ralenties, ce sont d’autres arguments pour accéder aux conditions initiales de formation du système solaire. « Mais les lunes d’une planète comme Saturne, qui sont des objets sans doute issus de la même population originelle que ceux de la ceinture de Kuiper, présentent l’avantage d’être beaucoup plus proches. L’enjeu est de réussir à faire le lien entre deux zones d’observation complémentaires », conclut Jean-Marc Petit.