Université de Franche-Comté

Pratiques frauduleuses
Les cartels au banc des accusés

Les théories économiques et les cadres législatifs sont des cartes du jeu des sociétés libérales. Les pratiques frauduleuses aussi. Dans des registres très différents, les cartels et les « arnaques aux sentiments » sont dans le collimateur des économistes du CRESE, à l’université de Franche-Comté, et des criminologues de l’ILCE, à la Haute Ecole Arc.

 

Photo CrizzyStudio, Shutterstock

Par définition secret et illégal, un cartel est un accord conclu entre des entreprises concurrentes pour se mettre d’accord sur des prix ou se répartir des parts de marché, une pratique annulant le jeu de la concurrence. Des produits aussi divers que les contrats de téléphonie mobile, les services de livraison, la fourniture de portes, les produits d’hygiène, les lessives, le jambon et jusqu’à la compote ont, entre autres, fait l’objet d’ententes illicites sanctionnées au cours des dernières années.

Les cartels et les programmes de clémence, qui sont des mesures « antidotes » à ces ententes toxiques pour la loi de l’offre de la demande, étaient au cœur d’une journée d’étude organisée par les criminologues de l’ILCE et les économistes du CRESE. Cet événement mêlant conférences et pédagogie innovante, organisé à Besançon à l’automne dernier grâce aux possibilités de coopération financièrement offertes par la Communauté du savoir (Cds), a impliqué une vingtaine d’étudiants de master de l’université de Franche-Comté et de la Haute école de gestion Arc.

Spécialement adaptée à leur intention, une expérimentation en économie comportementale développée par les chercheurs du CRESE leur a permis de se plonger dans les arcanes des cartels. « Aborder par l’exemple des lois et des principes rend plus facile l’apprentissage de la théorie, l’exercice a été bien apprécié », rapportent les criminologues de l’ILCE, Olivier Beaudet-Labrecque et Cristina Cretu-Adatte.

Lors de mises en situation fictives, les étudiants ont joué le rôle d’acteurs économiques constituant des cartels pour augmenter les prix sur un marché. Jusqu’où aller, entre l’appât du gain et le risque d’être dénoncé ? À moins d’être soi-même tenté de vendre la mèche pour bénéficier d’un programme de clémence ?… Cet outil juridique, né aux États-Unis en 1978, a séduit les pays européens dans les années 2000. Il prévoit d’alléger voire d’annuler la sanction encourue par une entreprise impliquée dans un cartel, dès lors qu’elle apporte la preuve de l’existence de cette entente et qu’elle en dénonce les autres membres. Stratégie, duperie, délation…, tous les coups semblent permis dans ce qui s’apparente à un grand jeu, qui n’est cependant que trop réel.

« Les cartels peuvent se constituer au niveau régional aussi bien qu’au niveau mondial, et concerner un ou plusieurs produits, comme le cartel des vitamines dans les années 1990 », raconte Karine Brisset, professeure de sciences économiques à l’université de Franche-Comté / CRESE. La durée de vie d’un cartel dépend du nombre de concurrents sur un marché, de la fluctuation de la demande, de contraintes techniques, de la situation des entreprises…

 

Photo Pixabay

Dans les recherches qu’elle mène avec son équipe, Karine Brisset étudie les autres facteurs qui pourraient intervenir, et notamment l’influence des programmes de clémence. « Ils ne sont pas identiques d’un pays à l’autre. En France, la première entreprise qui dénonce les autres bénéficie d’une exonération totale de la sanction qui devrait peser sur elle, et les suivantes d’un allègement partiel et dégressif de l’amende prévue. Aux États-Unis, l’exonération est également totale pour la première entreprise, mais celles qui se présentent ensuite pour dénoncer l’entente n’obtiennent rien. »

Autre variante, le programme Amnesty Plus, adopté entre autres aux États-Unis et en Suisse, veut donner des moyens supplémentaires pour s’attaquer aux cartels multiproduit, en accordant, sous certaines conditions, l’exonération de sanctions pesant sur une même entreprise pour deux cartels différents.

Les chercheurs travaillent à la construction de modèles théoriques permettant de mesurer et de comparer les performances des différentes versions des programmes de clémence sur la prévention et la détection des cartels ; les simulations prennent également en compte le montant des amendes encourues par les entreprises selon les pays, et la probabilité qu’elles ont d’être découvertes.

Ainsi, les résultats montrent, entre autres conclusions d’une étude analysant finement plusieurs scénarios, que le programme Amnesty Plus pourrait, dans certains contextes, favoriser la constitution de cartels plutôt que la décourager. Ou encore que la confiance entre les entreprises augmente dès lors qu’elles s’impliquent dans deux cartels plutôt qu’un seul : la peur influence moins leur décision de se lancer dans une entente illicite, même si le nombre d’ententes multimarché reste plus élevé sous Amnesty Plus en présence d’une faible amende.

Et si la constitution de cartels signifie en général un gonflement des prix à la consommation, l’étude montre que la nature du programme de clémence qui peut s’y opposer joue également un rôle, en fonction des comportements qu’elle est à même de générer ; associé à un niveau d’amende faible, le modèle Amnesty Plus apparaît ainsi le plus susceptible d’être responsable des prix les plus élevés sur les marchés lors de la constitution de cartels.

 

 

Complétez votre lecture avec l’article L’ILCE prend l’arnaque par les sentiments.

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