La peau est un organe complexe constitué de deux couches tissulaires* aux propriétés complémentaires permettant les fonctions de relation et de défense du corps vis-à-vis des agressions (physiques et chimiques) du milieu extérieur. C'est également le premier organe à avoir été reproduit in vitro par génie tissulaire, à partir de cellules et de diverses molécules. Cette peau artificielle a des applications thérapeutiques (greffe), mais est également utilisée comme alternative à l'expérimentation animale pour des études fondamentales et appliquées. Des modèles de plus en plus complexes, recréant les interactions cellulaires et matricielles, se développent afin de se rapprocher de la réalité tissulaire. Le laboratoire d'Ingénierie et de biologie cutanées (LIBC) de l'université de Franche-Comté met en ¶uvre de telles méthodes, afin de réaliser des études pharmaco-toxicologiques sur les différents modèles cutanés humains, dermiques et dermo-épidermiques. Les analyses effectuées concernent la morphologie, la prolifération et la viabilité cellulaire, l'expression de marqueur moléculaire et l'étude de l'activité contractile des tissus cutanés grâce à un système de culture original.
• Les modèles dermiques sont constitués des deux composants majeurs du derme : les fibroblastes et le collagène de type I, appelés lattices de collagène. Les fibroblastes colonisant ces dermes équivalents sont issus de tissus soit sains, soit pathologiques, ce qui permet l'étude de pathologies et l'évaluation de principes actifs, dissous dans le milieu de culture des lattices.
Figure 1 : Lattice de collagène flottante à différents stades de rétraction
– Lattice de collagène flottante (fig.1) : les fibroblastes mis en suspension dans une solution de collagène soluble sont ensemencés dans une boîte de Pétri. Le collagène se polymérise en fibrilles sur lesquelles s'attachent les cellules. Ces dernières tirent sur les fibrilles grâce à leur mouvement migratoire, et réorganisent ainsi la matrice. La lattice voit alors son diamètre diminuer. Ce phénomène, appelé rétraction, témoigne de l'activité contractile des fibroblastes. Au bout de quelques jours le diamètre se stabilise, ce qui conduit à un tissu mécaniquement relâché. La multiplication des fibroblastes baisse alors rapidement et leur synthèse protéique est fortement inhibée. – Lattice de collagène tendue en disque : comme précédemment, une solution collagène contenant des fibroblastes est coulée dans une boîte de Pétri, mais celle-ci contient un anneau de nylon. Lors de la polymérisation, les fibrilles de collagène s'enchevêtrent dans les mailles du nylon et la lattice ne peut plus se rétracter sous l'action contractile des fibroblastes. Une tension, que l'on peut mesurer, se crée à l'intérieur de ce derme équivalent, mécaniquement stressé. Les fibroblastes s'y multiplient activement et sont métaboliquement très actifs.
• Figure 2 : Lattices de collagène en « diabolo » tendues entre les grilles de silicium de la boîte de culture – Lattice de collagène tendue en « diabolo » (fig. 2) : le mélange de fabrication des lattices est coulé dans une boîte de culture qui permet la mesure de la force isométrique ou force de rétraction de la lattice. Elle est constituée de 8 cuves rectangulaires. Dans chacune, plongent 2 lames flexibles en silicium dont les parties inférieures sont constituées de grilles sur lesquelles s'accroche la lattice lors de sa polymérisation. Ces lames sont équipées, au niveau de leur partie supérieure, d'un système de jauge de contrainte en or déposé à leur surface. Sous l'influence de la force de rétraction développée par les fibroblastes, les lames de silicium se déforment. Cela se traduit par une variation de la valeur de résistance électrique de la jauge de contrainte, mesurée par l'intermédiaire d'un pont de Wheatstone. Cette variation indique la force développée au sein de la lattice, mesurée en temps réel par le biais d'une carte d'acquisition PC et d'un logiciel adapté. Ce dispositif a été mis au point avec la collaboration du laboratoire d'Optique P. M. Duffieux de l'université de Franche-Comté.
• Les modèles dermo-épidermiques sont obtenus par épidermisation des modèles dermiques tendus, précédemment décrits. Une culture de kératinocytes basaux est réalisée sur la surface de la lattice. Les kératinocytes se développent et recouvrent le derme équivalent. Le tissu est ensuite placé à l'interface air -liquide ce qui entraîne la différenciation de la couche cornée. Ces modèles sont en cours de mise au point, en collaboration avec l'équipe de Chimie thérapeutique de l'université de Franche-Comté. Ces tissus complets présentent l'avantage, par rapport aux précédents, de permettre l'étude de la communication entre le derme et l'épiderme. De plus, l'émersion de la culture à l'interface air – liquide rend possible l'application topique de différentes molécules toxiques ou pharmacologiques, qui pourrait également se faire dans leur forme galénique. Outre leur intérêt clinique, ces équivalents cutanés reconstruits constituent un outil d'expérimentation très intéressant. Ils permettent de réaliser un grand nombre d'analyses physiologiques, pathologiques et pharmacologiques du comportement in vitro de la peau : étude des maladies de la peau, du processus de cicatrisation, de l'effet de diverses substances. Chaque modèle n'exprime qu'une certaine potentialité de la peau, il est donc intéressant de pouvoir combiner différents modèles pour réaliser des études pharmaco-toxicologiques. D'autres modèles pourront être réalisés dans l'avenir au LIBC, avec des épidermes incluant des mélanocytes ou des cellules de Langerhans dans le but d'étudier les processus de mélanogénèse et d'immunité.
Philippe Humbert
LIBC (EA 3183)
Université de Franche-Comté
Tél. 03 81 21 83 01
philippe.humbert@univ-fcomte.fr