Université de Franche-Comté

[Cris d’alerte]

Analyse grammaticale chez des singes d’Afrique de l’Ouest

L’être humain serait-il seul à disposer d’une grammaire pour produire des messages qui aient du sens ? Visiblement non, comme en témoigne une recherche menée auprès des colobes olive, des petits singes discrets présents en Afrique de l’Ouest que Quentin Gallot, chercheur en primatologie au laboratoire de cognition comparée de l’UniNE, a suivis et étudiés pendant deux ans dans le parc national de Taï en Côte d’Ivoire.

Photo Clémentine Bodin

Des milliers d’enregistrements ont donné au chercheur la possibilité d’associer les cris des singes à une situation précise de danger, et de comprendre comment se construisent leurs « phrases », qui combinent deux cris jusqu’à en former vingt-quatre dans une même séquence : le cri A, court et grave, et le cri B, long et aigu.

Lancé au tout début d’une séquence, A signale l’attaque d’un aigle, un danger exigeant une réaction instantanée, quand B indique la présence d’un léopard ou la chute imminente d’un arbre, des situations au caractère d’urgence relativement moindre. Un deuxième cri confirme ou corrige l’alerte, quand un troisième précise la nature du danger, selon une progression de sens qui n’est pas sans rappeler la façon dont est bâti le langage humain, intégrant la capacité que nous avons à anticiper le développement d’un message.

« Nous, les humains, nous n’attendons pas d’entendre la fin d’une phrase pour réagir ou répondre, car notre cerveau est très bon pour prédire le mot suivant, et notre grammaire est adaptée pour cela », explique le primatologue. Cette faculté relevée dans la communication des colobes olive incite Quentin Gallot à parler de système grammatical, ici décrit comme « un groupe de règles qui spécifie comment les séquences des signaux sont combinées et utilisées pour produire du sens ».

Si cette « grammaire simple, mais aux règles universelles » n’est pas comparable à la définition que pourraient fournir les linguistes à propos de celle qu’emploie le genre humain, elle témoigne de l’existence d’un langage encodé bien antérieur au nôtre. Elle pourrait par ailleurs donner des clés pour comprendre l’apparition de notre langage.

Cette découverte s’inscrit dans le cadre du PRN Evolving Language, centre de compétence suisse sur l’évolution du langage, et a fait l’objet d’une publication dans la revue  iScience en avril dernier. La recherche se poursuit dans le cadre de la vie quotidienne des colobes olive, dont Quentin Gallot a déjà pu observer qu’elle donne lieu à des séquences de vocalises plus complexes et plus riches encore que dans un contexte de danger. Les cris A + B se combinent dans des équations à plusieurs inconnues, dans un système de communication encore à découvrir.

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