C’est en s’inspirant des ondes microscopiques circulant dans les matériaux magnétiques que des chercheurs de l’Institut FEMTO-ST ont réussi à créer, dans un métamatériau1 nanostructuré, une onde lumineuse jusque-là inconnue. La découverte de ce « nouvel état de la lumière » a été relayée dans la revue scientifique de référence Nano Letters en juin dernier.
Tout commence avec le phénomène de l’aimantation, qui se décompose en une somme de « moments magnétiques » générés par spin, le spin étant une propriété quantique des atomes. Ces moments magnétiques sont représentés par des flèches vectorielles, qui correspondent chacune à un atome. Dans les matériaux ferromagnétiques, les flèches sont alignées et pointent dans la même direction. Si on en fait bouger une, en maintenant la perturbation, le mouvement qu’elle exécute se poursuit et gagne les flèches suivantes de proche en proche : chacune effectue une rotation, avec un léger décalage temporel par rapport à la précédente. Ces mouvements successifs entre moments magnétiques créent une onde, l’onde de spin.
À cette onde sont associés des magnons, des « quasi particules » d’énergie qui constituent l’onde magnétique, comme les photons constituent l’onde lumineuse. Pour les gains d’énergie et de miniaturisation qu’ils promettent dans le domaine du traitement de l’information numérique, les magnons intéressent fortement les scientifiques, qui les étudient depuis une vingtaine d’années dans une discipline appelée, en toute logique, magnonique.
À l’Institut FEMTO-ST, ce sont des ponts entre magnonique et optique que Thierry Grosjean et son équipe établissent. Les chercheurs ont reproduit, dans un métamatériau optique, les conditions de la formation des ondes de spin ; en le structurant selon une géométrie particulière, ils ont donné à ce matériau une propriété qui, elle, est intrinsèque aux matériaux ferromagnétiques : la chiralité.
La chiralité se dit d’objets ou de phénomènes semblables, mais qui ne peuvent se superposer, à l’instar de nos mains qui sont de forme identique, mais ne sont pas superposables. Dans les matériaux ferromagnétiques, les moments magnétiques représentés par les flèches tournent dans un sens ou dans l’autre, à gauche ou à droite, créant un effet de chiralité.
« Pour reproduire cet effet de chiralité, nous avons structuré le matériau optique en nano-hélices. Le résultat est probant : comme pour les ondes de spin, les ondes lumineuses tournent et se propagent dans le matériau », explique Thierry Grosjean.
Les « ondes de spin optiques », comme leurs découvreurs les ont baptisées, se prêtent à d’autres investigations. Les mesures expérimentales réalisées à l’Institut FEMTO-ST montrent par exemple que, lorsque le sens de l’enroulement des hélices s’inverse à l’intérieur du métamatériau nanostructuré, la lumière ne peut plus passer : « La frontière entre deux métamatériaux de géométries chirales opposées agit à la façon d’un miroir, la lumière s’y réfléchit sans qu’il soit nécessaire de recourir à une surface métallique », commente Thierry Grosjean, dont les recherches inédites sur les propriétés de ces ondes se poursuivent au département d’optique.