S’il n’a jamais fait l’objet d’accords à proprement parler, le « pacte colonial » s’imposait comme système d’échange commercial dans tous les empires coloniaux : les pays sous domination fournissaient des matières premières aux industries des métropoles, qui en retour leur vendaient des produits manufacturés, sans que soit autorisée la concurrence étrangère ou locale. Les colonies voient donc à l’époque leur production essentiellement limitée au secteur primaire, aux cultures et à l’extraction des ressources du sous-sol. Leur industrialisation progresse ensuite selon une évolution propre à chacune, une réalité complexe et peu connue sur laquelle se sont penchés des historiens de différentes disciplines. Chercheurs en histoire contemporaine, histoire économique et sociale, histoire des entreprises, histoire des techniques, ils ont pour spécialités la circulation des connaissances, les inégalités entre nations, les savoir-faire africains ou encore la fabrication des statistiques.
Leurs travaux et conclusions font l’objet de l’ouvrage Industries coloniales en contexte impérial, édité sous la direction de Régis Boulat et Laurent Heyberger, enseignants-chercheurs en histoire, respectivement à l’université de Haute-Alsace et à l’UTBM.
De la Guyane à l’Indochine, de l’Afrique aux Antilles, il est admis que l’industrialisation connaît des débuts timides dans les années 1830 et prend de l’ampleur à partir des années 1850, pour se généraliser au début du XXe siècle.
Elle s’étend en réalité sur près de deux siècles. Du côté des métropoles, elle témoigne d’une évolution de la part des entreprises et des États en matière de stratégie économique comme sur le plan politique ; dans les colonies, elle a des répercussions sociales certaines, et modifie notamment la structure de la main-d’œuvre. De nombreux exemples émaillent l’histoire.
Ainsi en 1796, l’ingénieur d’origine espagnole Augustin Bétancourt met au point une machine à vapeur qui voyagera de l’Angleterre jusqu’à Cuba, où elle est destinée à faire monter en puissance la production du sucre de canne. Si la machine représente une véritable innovation, son installation aux Caraïbes est un échec : après quelques semaines de fonctionnement, le manque d’opérateurs qualifiés, les problèmes d’approvisionnement en carburant et l’incapacité à adapter la machine à son contexte signent la fin de l’aventure. Un périple transcontinental et économique oublié, marquant pourtant les débuts de l’industrialisation dès la fin du XIXe siècle.
Toujours aux Caraïbes, l’évolution de l’industrie sucrière en Guadeloupe met en lumière les inégalités de traitement entre les ouvriers de métropole et ceux d’Outre-mer en 1946, alors même que les territoires accèdent au statut de département français, une situation qui va durer de nombreuses années. Sur le sol africain, la fabrication de lingots d’aluminium est attestée dès 1957 au Cameroun, un pays choisi par Péchiney pour ses formidables capacités hydroélectriques, quand la production d’électricité en France s’avère insuffisante et coûteuse. C’est un contre-exemple du pacte colonial : la matière première provient des gisements de bauxite de Provence, sa transformation en produit fini est africaine. Et en pleine guerre froide, ce sont des raisons géostratégiques autant qu’économiques qui incitent l’État français à soutenir les investissements du géant de la chimie au Cameroun. Industries du pétrole, des parfums ou du textile, le décryptage des archives et les analyses scientifiques ont beaucoup à raconter sur l’industrialisation des colonies. Des pages d’une histoire séculaire et planétaire, à lire dans cet ouvrage riche d’enseignements.