Jules César ne cachait pas son admiration pour le murus gallicus, un système de construction défensif dont les Gaulois entouraient leurs oppida, leurs place-fortes. Il en fait mention dans ses Commentaires sur la Guerre des Gaules, où il constate leur résistance aux coups de boutoir et au feu. Le murus gallicus était un rempart composé d’un entrecroisement horizontal de poutres en bois maintenues par des fiches en fer de 20 à 40 cm de long suivant les cas, noyé dans une masse de terre et de tout-venant, et habillé d’un parement en pierres à l’avant.
Ces fortifications très courantes dans toute la Gaule ont laissé des traces sur une quarantaine de sites archéologiques comme à Bibracte, l’ancienne capitale des Éduens, avec ses deux enceintes fortifiées : l’une date de 110 av. J.-C. et entoure 200 ha de terrain, l’autre, érigée une trentaine d’années plus tard à l’intérieur de la première, réduit l’agglomération à 135 ha, une configuration s’expliquant sans doute par un projet urbain revu à la baisse. Plus étonnant, des fouilles récentes réalisées sur ce site ont révélé que la terrasse de soutènement d’un édifice public avait été bâtie selon ce procédé à l’intérieur de la cité, attestant l’utilisation de cette technique de construction à d’autres fins que la défense militaire.
Enseignant-chercheur en archéologie à l’université de Franche- Comté / laboratoire Chrono-environnement, spécialiste du monde celtique, Philippe Barral a dirigé le programme de fouilles et souligne l’importance de cette découverte en archéologie : « La technique du murus gallicus est emblématique des mutations de la fin de l’âge du fer et de sociétés qui produisent déjà massivement ce matériau. On s’aperçoit maintenant que ce savoir-faire protohistorique, qu’on croyait associé au génie militaire, était aussi employé pour la construction publique ou privée ». La découverte d’un imposant monument funéraire sur le site de Lavilleneuve-lès-Convers (21), utilisant la même technique, renforce l’idée de « réalisations architecturales ambitieuses, voire de prestige, nécessitant l’utilisation de techniques de génie civil particulières pour la stabilisation et le maintien d’imposants remblais ».
La forte inclinaison des pentes du mont Beuvray sur lesquelles était établi Bibracte explique la nécessité de recourir à des remblais de plusieurs mètres de haut pour réaliser des terrasses artificielles sur lesquelles élever des bâtiments. Le soutènement construit ici selon la technique du murus gallicus atteignait 5 à 6 m, un remblai sur lequel venait se poser une terrasse carrée de 50 m de côté.
« Cette terrasse supportait un bâtiment quadriportique entourant une cour intérieure, un édifice public dont la destination reste incertaine ; il pouvait s’agir d’un lieu d’assemblée politique ou d’un marché couvert. » Entres autres indices, les sols très soignés de ce bâtiment colossal attestent son caractère public et les trous laissés par l’emplacement de poteaux témoignent d’une construction à ossature bois.
Une telle découverte, et peut-être d’autres après elle, permet de mieux comprendre l’aspect que pouvaient revêtir les villes du second âge du fer, avant que la romanisation, s’affirmant à partir des années 30-20 av. J.-C., apporte ses propres techniques.
« Notre conception de la période antique, héritée de la Renaissance, est complètement liée à l’idée d’une civilisation méditerranéenne forte et dominante. Or des cultures et des civilisations brillantes ont existé aussi en Europe tempérée, comme en Gaule, avec d’autres techniques et d’autres savoir-faire, eux-aussi performants », explique Philippe Barral.