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La seule évocation d’un nombre peut-elle orienter le cours d’une décision de justice ? La formule peut sembler extravagante, pourtant c’est bien par l’affirmative qu’on peut répondre à cette question : si on suggère un nombre à des jurés qui ont à se prononcer sur la durée de la peine à infliger à un coupable, leur décision est susceptible d’être influencée par ce nombre. Pour la thèse de psychologie qu’elle prépare à l’université de Franche-Comté, Aglaé Navarre a testé plusieurs scénarios pour étudier ce phénomène « extrêmement robuste, difficile à empêcher » : le biais d’ancrage.
« Dans nos expériences, des participants lisent un texte qui relate une affaire judiciaire et imaginent qu’ils sont les jurés de ce procès. Nous faisons ensuite varier différents facteurs susceptibles d’influencer leur décision concernant la peine de prison à retenir. Nous avons ainsi comparé l’influence d’un nombre donné respectivement par un expert judiciaire, un procureur, et par une personne sans qualification dans ce domaine, un boulanger. Nos résultats montrent que les décisions concernant la peine de prison sont influencées par ce nombre, et ce indépendamment de l’expertise de la personne qui le communique. » Si l’indication du boulanger a un impact comparable à celle du procureur, c’est qu’il faut chercher une explication ailleurs que dans la légitimité du prescripteur.
« Une théorie est que le nombre mentionné active certaines représentations dont notre esprit a du mal à se défaire. L’esprit reste fixé à ce nombre, c’est ce qu’on appelle le biais d’ancrage », explique Aglaé Navarre. Un biais dont les chercheurs essaient de comprendre les mécanismes pour essayer de limiter son impact. « Dans la vie de tous les jours, il est impossible d’engranger toutes les informations disponibles dans l’environnement, c’est notre cerveau qui se charge de faire une sélection sans que nous en ayons conscience. » Nous sommes amenés quotidiennement à prendre des centaines, voire des milliers de décisions. Cela peut être de choisir entre thé et café au petit-déjeuner. Cela peut être aussi de déterminer le nombre d’années de prison à infliger à un coupable. Au quotidien, notre cerveau enclenche des automatismes de pensées très efficaces, appelés heuristiques, qui agissent un peu comme des réflexes. « Mais dans certaines situations, notamment d’incertitude, ces automatismes peuvent nous conduire à des raisonnements irrationnels. C’est ainsi qu’un nombre que nous avons en tête peut de manière étonnante influencer notre décision. » Le contexte de la prise de décision judiciaire réunit de nombreux facteurs favorisant l’apparition de biais cognitifs tels que le biais d’ancrage : importance des informations à traiter, contradictions dans les témoignages, pressions de temps, stress… D’où l’intérêt de les étudier, et dans ce contexte précisément. Aglaé Navarre a obtenu en mars 2021 le premier prix du jury pour la présentation de son sujet de thèse lors de l’édition Bourgogne – Franche-Comté du concours Ma thèse en 180 secondes (MT180).
