Bons sauvages ? Redoutables guerriers ? Ces étiquettes qui collent à l’image des Gaulois dans les manuels d’histoire ou les albums d’Astérix, on le sait aujourd’hui, sont passablement usées. Les avancées scientifiques et technologiques, les découvertes de l’archéologie préventive et la combinaison des résultats de recherche de différentes disciplines comme la palynologie, la dendrologie, l’archéobotanique et d’autres encore aident depuis une trentaine d’années à brosser un portrait plus réaliste de nos ancêtres.
La période gauloise correspond à la fin de l’âge du fer, ou période de la Tène ; elle s’étend du début du IVe siècle à la fin du Ier siècle av. J.-C. Quatre siècles dont d’innombrables traces jalonnent encore les sols de France.
En Bourgogne – Franche-Comté, Bibracte dans le Morvan et Mandeure dans le pays de Montbéliard sont les plus emblématiques des sites archéologiques gaulois. La région recèle aussi des secrets cachés dans ses tourbières ou dans ses champs.
De vastes terrains d’investigation pour de nouvelles connaissances, bousculant les réponses au jeu traditionnel du « vrai ou faux ? » La Gaule était couverte de forêts denses dans lesquelles gambadaient des hordes de sangliers… Faux ! Les Gaulois étaient des guerriers et leurs villes étaient toutes fortifiées. Faux ! Après la conquête de César, les troupes romaines ont occupé la Gaule. Faux ! La civilisation romaine était plus avancée que la civilisation gauloise. Encore faux…
Isabelle Jouffroy-Bapicot est palynologue, Pierre Nouvel est archéologue, chacun met sa spécialité et ses compétences au service des recherches développées depuis des années dans la région. Leurs travaux participent à la construction d’une connaissance approfondie du passé.
Grâce à l’analyse des sédiments emprisonnés dans les tourbières du Morvan, Isabelle Jouffroy-Bapicot montre que, « à l’époque gauloise et contrairement à aujourd’hui, la forêt morvandelle était principalement constituée de hêtres et de chênes, un milieu très ouvert qui accueillait bon nombre d’activités humaines. »
« La Gaule chevelue », comme l’appelait César, était certes plus boisée que d’autres contrées comme l’Italie. « Mais l’espace forestier était tout de même très réduit, et dans notre région par exemple, la forêt de Chaux n’existait pas », raconte Pierre Nouvel.
Peu de forêts… et peu de sangliers. Une réalité qui n’aurait plu ni à Idéfix, ni à Obélix. « Le défrichement était important et laissait place à l’occupation humaine. Dans notre région, les photos aériennes indiquent clairement la présence de fermes antiques tous les 1 000 à 1 500 mètres. »
Les marqueurs de cette occupation passée sont les traces des poteaux fichés dans le sol, sur lesquels étaient érigés les structures des fermes. « Le bois s’est transformé en une terre noire favorisant la pousse des céréales, des traces encore facilement repérables vues d’avion. » En prenant de la hauteur, l’archéologue perçoit également nettement d’autres anomalies dans la façon dont poussent les céréales aujourd’hui : leur taille et leur coloration sont toujours influencées par les vestiges subsistant sous la surface des champs, et constituent d’autres indices d’occupation antique. Outre les enseignements apportés par les grands sites archéologiques, de telles observations attestent l’importance du peuplement gaulois. En Bourgogne – Franche-Comté, pas moins de 2 000 fermes et 1 500 nécropoles ont à ce jour été identifiées grâce à la photographie aérienne et à l’archéologie préventive.
Revue à la hausse grâce aux enseignements récents de la recherche, la population de la Gaule, dont les frontières dépassaient un peu celles de la France actuelle, est estimée à quelque vingt millions d’habitants autour du changement d’ère. Des peuples non pas versés dans l’art de la guerre, mais occupés par l’agriculture, l’élevage, la proto-industrie et le commerce.
« Ce qui frappe dans l’analyse, c’est l’ampleur de ces activités, qu’on lit clairement dans les strates des sédiments, explique Isabelle Jouffroy-Bapicot. L’ exploitation de minerais, par exemple, est attestée par des traces de pollution atmosphérique dans les tourbières, notamment de plomb ». L’étude des pollens se double depuis une vingtaine d’années de celle des spores de champignons, chacune apportant des enseignements spécifiques. « Dans le Morvan, les pollens témoignent de la culture antique du blé et de l’orge, ainsi que de la présence de plantain ou d’orties, plantes typiques de sols piétinés par l’homme ou le bétail. Les coprophiles, ces champignons qui se nourrissent de déjections animales et dont la composition montre qu’il s’agit ici d’animaux herbivores, renforcent l’idée d’une présence significative d’animaux d’élevage ». Les études palynologiques montrent l’importance de l’impact de l’homme sur l’environnement à cette époque de l’histoire. « Elles révèlent nettement que le passage d’un milieu naturel à un milieu anthropisé s’opère à la période gauloise, et non après la conquête romaine comme on le croyait. »
Transformation des produits agricoles, fabrication des textiles, tannage des peaux, production des métaux, travail de la céramique et autres
activités proto-industrielles sont le fait d’artisans et de commerçants installés dans des villes ouvertes, construites en plaine et desservies par des voies de communication. « C’est en raison de perturbations politiques en Europe, et notamment devant la menace que représentent les Germains à la fin du IIe siècle avant notre ère, que les Gaulois sont contraints de fortifier leurs villes ou d’en construire de nouvelles sur des hauteurs », explique Pierre Nouvel.
C’est aussi pour se défendre des Germains que certains peuples gaulois, comme les puissants Éduens, font appel à leur allié, Jules César. Le proconsul, qui a besoin d’asseoir son pouvoir politique et de remplir les caisses de Rome, profite du chaos et des dissensions entre les peuples gaulois pour soumettre l’ensemble du territoire. Si la conquête romaine a donné lieu pendant près de dix ans à de nombreuses batailles, dont la célèbre Alésia signe en 52 av. J.-C. la reddition de Vercingétorix, aucune troupe de César ne s’installe par la suite en Gaule. « Il est plus juste de parler d’acculturation progressive de la Gaule, d’intégration à l’Empire d’un espace déjà très fortement lié à Rome. »
Le mythe d’une grande civilisation romaine tirant les peuplades gauloises de la rusticité est également écorné. L’organisation de la société gauloise, avec la naissance des premières agglomérations, constitue un modèle dont l’influence se retrouve dans nos structures de peuplement actuelles. L’importance et la variété des activités humaines sont telles qu’elles sont à l’origine d’une anthropisation de l’environnement, toujours visible.
Stigmates du paysage, sites et objets archéologiques, pollens, champignons, graines, charbons et autres vestiges organiques toujours interprétables…, l’ensemble des données disponibles aujourd’hui témoigne sans conteste de la maturité et du caractère pluriel de la civilisation gauloise.