On sait aujourd’hui que 15 % des cancers sont directement provoqués par des virus. Sept d’entre eux sont identifiés clairement comme étant à l’origine de cancers humains. La responsabilité du virus de l’hépatite B est par exemple établie dans l’apparition de cancers du foie, et celle du papillomavirus dans la presque totalité des cancers du col de l’utérus. Certains virus de la famille des herpès, tels que le virus d’Epstein-Barr et celui du sarcome de Kaposi, sont eux aussi impliqués dans la survenue de cancers. À l’intérieur de cette famille des herpèsvirus, le cytomégalovirus (CMV) est suspecté d’avoir un lien avec une tumeur cérébrale maligne, le glioblastome, depuis des travaux menés aux États-Unis par le neurochirurgien Charles Cobbs, qui découvre la présence du virus dans une grande proportion de tumeurs cérébrales.
Ces résultats, publiés en 2002 et confirmés dans les années suivantes par d’autres équipes, sont à l’origine de recherches menées au laboratoire EPILAB de l’université de Franche-Comté depuis 2009. « La question qui préoccupe la communauté scientifique depuis la découverte du Pr Cobbs est de savoir si le virus peut être à l’origine de la tumeur ou si, réactivé à la faveur de l’immunosuppression liée à la tumeur ou provoquée par les traitements, il se multiplie au niveau de celle-ci, favorisant ainsi la progression de la maladie », explique le Pr Georges Herbein, médecin biologiste et virologue, directeur d’EPILAB.
La deuxième option, celle encourageant la progression tumorale, ou oncomodulation, a longtemps prévalu. Les travaux de Georges Herbein et de son équipe remettent sur le devant de la scène la première hypothèse, celle d’une responsabilité directe du cytomégalovirus dans l’apparition de la tumeur. « Le lien entre CMV et cancer peut être exploré non seulement dans le cas du glioblastome, mais aussi dans l’apparition de cancers du côlon, du foie ou du sein. C’est sur le cancer du sein que nos travaux portent depuis dix ans. »
Les chercheurs d’EPILAB ont travaillé sur des cellules mammaires humaines normales, qu’ils ont mises en présence de différentes souches de CMV en laboratoire. « On voit que le virus se réplique et qu’il peut entraîner la cancérisation des cellules saines. Nous avons ainsi pu montrer que deux souches de CMV, que nous avons pour la première fois isolées et caractérisées, entraînent la cancérisation des cellules mammaires humaines, et il n’est pas exclu que le constat se confirme pour d’autres. »
Le cytomégalovirus pourrait donc bien être oncogène, un huitième virus à ajouter à ceux déjà connus à ce jour. D’après les résultats obtenus, les formes de cancers du sein qu’il provoquerait figurent parmi les plus sévères, les plus résistants au traitement. L’hypothèse du rôle oncogène du CMV représente un espoir, celui de la mise au point d’un vaccin qui pourrait protéger les populations saines contre l’infection à CMV, prévenir chez les patients immunodéprimés ou sous chimiothérapie l’apparition de maladies sévères à CMV, et empêcher la survenue de certains cancers causés par le CMV et / ou dont le CMV serait un facteur aggravant.
Les premières pistes d’un tel vaccin sont d’ores et déjà explorées en collaboration avec l’équipe du Pr Olivier Adotevi, oncologue et immunologiste au laboratoire RIGHT à l’EFS BFC, parallèlement à la poursuite des recherches concernant la cancérisation cellulaire par le CMV. « Outre l’identification d’autres souches du virus potentiellement oncogènes, il nous reste à déterminer les mécanismes impliqués dans le processus de cancérisation virale », précise Georges Herbein.
EPILAB est l’un des trois laboratoires européens à travailler sur la relation entre CMV et cancer, les deux autres se trouvant à Stockholm et à Amsterdam. « Notre équipe est certes modeste si on compare ses moyens à ceux des grandes équipes, notamment américaines, qui sont une dizaine également impliquées sur le sujet. Nous avons pour cette raison besoin d’un peu plus de temps, mais cela ne nous empêche pas d’aboutir à des résultats probants sur des problématiques nouvelles, qui nous placent en très bonne position au niveau mondial. »
L’équipe du Pr Georges Herbein est ainsi la première à montrer un lien direct de causalité entre CMV et cancérisation cellulaire, ce qui ouvre des perspectives importantes en termes de traitement et de prévention de cancers graves, tels les cancers du sein et du cerveau.