D’immenses affaires de corruption entachent la réputation de nombreuses multinationales. Un fléau qu’au niveau mondial, on s’accorde à vouloir endiguer. En vingt ans, le droit pénal s’est durci afin de mieux pouvoir combattre ce comportement nuisible des entreprises. La définition de la corruption s’est étendue à de nouveaux agissements, désormais qualifiés de criminels ; la responsabilité pénale des entreprises peut à présent être engagée et les États ont la possibilité de poursuivre des entreprises à l’étranger. Or, à peine ces innovations introduites, le système de justice pénale prend un nouveau tournant dans de nombreux pays : pour éviter la lourdeur de longues procédures aux entreprises, les législateurs ont créé des procédures spéciales accélérées. Et au lieu d’imposer de véritables condamnations aux entreprises, provoquant des effets secondaires considérés trop néfastes comme l’interdiction de participer à des marchés publics, la justice pénale leur offre de conclure des accords. C’est le cas par exemple en France avec l’adoption de nouvelles mesures dans le cadre de la loi Sapin 2 de 2016.
Une « justice pénale hybride » se met ainsi peu à peu en place dans les États, qui courtisent les entreprises avec ce modèle de justice afin qu’elles s’autodénoncent et participent aux enquêtes les concernant. Cette justice plus conciliante évite aux entreprises un procès souvent scandaleux, lourd de retentissements. Elle exige cependant réparation : restituer les sommes d’argent impliquées, prendre des mesures de surveillance et de prévention, et souvent faire le ménage dans les rangs de ses cadres dirigeants.
C’est cette nouvelle donne que se propose d’étudier le projet RevAClaw, piloté par Nadja Capus à la faculté de droit de l’université de Neuchâtel. Professeure de droit pénal et de procédure pénale, Nadja Capus vient d’obtenir une bourse ERC d’autant plus estimable qu’elle concerne souvent peu les sciences humaines et sociales. Parmi les 2 453 projets candidats en 2019, 301 ont été retenus dont 2 seulement sont du domaine du droit. Allouée à hauteur de 2 millions de francs suisses pour une durée de 5 ans, cette bourse aidera la scientifique et son équipe à mener à bien leurs recherches. « Nous voulons comprendre ce qui se joue, savoir comment la collaboration entre entreprises et autorités se met en place, de quelle manière elle est documentée dans les dossiers, quels faits concernant la corruption et la coopération entre entreprise et enquêteurs sont au final communiqués au public… » explique-t-elle. Les champs d’investigation sont les USA, la Grande-Bretagne, la France et la Suisse : l’équipe a pour but d’analyser et de comparer le degré d’opacité introduit par cette justice hybride. Nadja Capus sait que la tâche sera longue et difficile, et qu’obtenir l’accès aux dossiers, une étape essentielle de la démarche, s’annonce épineux. L’enjeu est de taille, car l’apparition d’une justice à deux vitesses, respectant le principe de transparence pour la majorité des poursuites pénales, et tolérant l’opacité pour la poursuite pénale contre les multinationales, est un risque potentiel à long terme qu’une telle étude devrait permettre d’évaluer.