Comment faire profiter les villes et les autoroutes des avancées technologiques ? Cette vaste question guide les travaux des chercheurs de l’ex-équipe SeT de l’UTBM, désormais intégrée au LE2I, le Laboratoire électronique, informatique et image. Des mots-clés tels qu’intelligence artificielle, régulation coopérative ou géolocalisation sont au coeur de leurs recherches, menées pour une grande part en collaboration avec les acteurs les premiers concernés : les constructeurs automobiles. Les premiers concernés sont certes aussi les conducteurs et de façon plus générale les personnes ayant besoin de se déplacer, mais en ce domaine il s’agit pour les usagers de la mobilité de s’adapter aux évolutions proposées par les constructeurs. Des perspectives imaginées grâce aux incroyables progrès de la technologie, allant pour l’essentiel dans le sens de l’intérêt général et de la préservation de l’environnement. Au Japon, la réflexion sur la mobilité intègre les personnes âgées, pour que, accompagnées par des robots, elles puissent sortir de chez elles : un antidote à la déprime. En Chine, l’idée de coupler l’achat d’un logement à l’adhésion à un service automobile partagé fait son chemin et l’objet de tests. Au Portugal, des expériences menées en zone urbaine, dans la ville de Lisbonne plus précisément, montrent que le recours au transport partagé ferait chuter de 80 % l’utilisation du parc automobile traditionnel en ville. « De très nombreuses projections sont étudiées à travers le monde pour simuler ce que serait la mobilité, guidée par le transport autonome et partagé », raconte Abdeljalil Abbas-Turki, qui consacre l’essentiel de ses recherches à la régulation coopérative entre les véhicules. Des scénarios élaborés grâce à un mix entre simulation et réalité augmentée mettent en situation, au plus proche de la réalité, le véhicule autonome dans son contexte, avec des piétons qui traversent la rue, des enfants qui courent après leur ballon sur un trottoir, ou des vélos circulant à proximité. « L’enjeu actuel du véhicule autonome est la validation de sa fiabilité », explique Yassine Ruichek, responsable de l’équipe. Car si différentes solutions fonctionnent aujourd’hui, il s’agit de scénarios particuliers, élaborés dans des contextes précis. « Le discours ambiant, qui laisse entendre que nous disposerons de véhicules totalement autonomes à l’horizon 2030, n’est pas sérieux. Même si les progrès techniques sont indéniables, nous nous situons actuellement à un niveau entre 2 et 3 sur une échelle en comportant 5, ce dernier correspondant seul à une autonomie complète. » Des épisodes tragiques comme les accidents mortels de 2016 et 2018 causés par des voitures partiellement autonomes, équipées par Tesla et Uber, donnent par ailleurs des coups de frein brutaux aux avancées industrielles.
Outre l’aspect technique, pour lequel les investissements sont colossaux et qui constitue le cœur de métier des chercheurs comtois, la législation, encore à inventer, et la sécurité informatique, sur laquelle repose la fiabilité des différents systèmes, sont des enjeux d’importance capitale, qui ne drainent encore que peu de financements. Pourtant c’est bien du triangle équilatéral technologie / loi / sécurité des réseaux, que pourra véritablement émerger le véhicule autonome comme standard de mobilité.
Certaines voitures aujourd’hui sont capables de se garer seules ou de réguler leur vitesse si elles rencontrent un obstacle sur la route, mais toujours sous le contrôle de leur conducteur. Les caméras, LIDARs et autres capteurs high tech enregistrent toutes les données nécessaires à la bonne perception de l’environnement par un véhicule, que complète le recours aux cartes numériques des villes, le tout en temps réel. C’est la combinaison de toutes ces informations qui donne les moyens au véhicule de statuer sur la conduite à tenir et de décider s’il doit freiner dans un virage, piler ou changer de cap. Perception, décision, commande : tous les maillons de la chaîne « autonomie » font l’objet d’investigations de la part des chercheurs comtois. Les premiers travaux se sont concrétisés sur un véhicule acquis en 2003, rejoint depuis par d’autres spécimens. La plateforme belfortaine accueille aujourd’hui des voitures comme celle de Monsieur Tout le monde, à ceci près qu’elles sont customisées de dispositifs ultraperformants, prometteurs mais pas encore homologués… Les essais sont réalisés sur la piste de l’aérodrome militaire désaffecté de Malbouhans, près de Lure (70), où sont notamment étudiées et testées les interactions entre véhicules autonomes ; la construction d’un bâtiment spécifique, avec une piste reproduisant des conditions de circulation urbaine, est prévue à Montbéliard.
La boîte à outils technologique à disposition des chercheurs propose différentes pistes de développement. Des capteurs encéphalographiques vont permettre de détecter les moments de distraction ou de baisse de vigilance du conducteur ; ils pourront aussi « voir ce que voient les yeux » et ainsi mieux anticiper la prise de décision autonome. Déjà opérationnel, l’ACC (Adaptive Cruise Control, ou régulateur de vitesse adaptif) sait faire garder les distances avec le véhicule qui précède sur la route ; les données GPS aident un véhicule à anticiper un virage et à le négocier à la bonne vitesse. « L’écueil des technologies liées au système GPS est qu’il subsiste des zones d’ombre, sans positionnement possible. De plus la précision du système doit être très fine, de l’ordre du demi-centimètre… »
Très en vogue, l’intelligence artificielle pour l’application « transport autonome » n’en est qu’à ses débuts. Il s’agit ici de filmer le conducteur, ses gestes, ses réactions, pour que, muni de ces données, le véhicule adopte des comportements au plus proche de ceux de l’être humain. « Si le deep learning donne de très bons résultats, on ne peut apporter d’explications aux mécanismes de l’intelligence artificielle. En se superposant pour traiter les données et produire les résultats attendus, les algorithmes créent une opacité impossible à démystifier, explique Yassine Ruichek. En cas de problème, on ne peut rien prouver, ce qui n’est pas recevable pour un assureur. »
« Un autre problème de l’intelligence artificielle pour cette application, c’est qu’il n’existe pas de limite : l’apprentissage ne peut être exhaustif et recenser tous les cas de figure qui se produisent en termes de conduite », ajoute Abdeljalil Abbas-Turki, dont le nécessaire travail sur les algorithmes s’insère peu à peu dans le cœur de métier : la gestion des interactions entre les véhicules, et entre les véhicules et leur environnement, au moyen de la communication sans fil.
Tous les projets de recherche de l’équipe, qu’ils soient financés par des contrats avec l’industrie, par la Région et / ou par l’ANR, concernent non seulement les voitures du quotidien, mais aussi des véhicules répondant à des besoins professionnels spécifiques, comme le déplacement en zone portuaire ou la manutention dans les entreprises.
Au département Énergie de l’Institut FEMTO-ST, l’équipe SHARPAC s’intéresse elle aussi à toutes les formes de transport, du véhicule sans permis au poids lourd. Avion, hélicoptère, automobile, train, bateau, véhicule utilitaire, le défi est d’augmenter l’efficacité énergétique et la durabilité de la chaîne de traction électrique. « Nos recherches sont réalisées pour une grande part en lien direct avec l’industrie, et concernent des projets d’un très haut niveau de maturité technologique », explique Daniel Hissel, responsable de l’équipe SHARPAC, qui compte une centaine de personnes, et directeur de la fédération de recherche FCLAB. La chaîne de traction électrique, qu’elle soit hybride, électrique à batteries ou électrique à hydrogène, est l’objet de nombreux travaux ; les sujets sont nombreux, du système pile à hydrogène à la motorisation électrique, en passant par la gestion des flux énergétiques à bord par des méthodes issues de l’intelligence artificielle. Dans une collaboration avec Renault, ce sont les moteurs électriques, placés à l’intérieur de l’habitacle pour gérer différents actionneurs, qui sont au cœur du projet.
Les systèmes hydrogène sont le fer de lance de l’équipe, de la production de ce vecteur d’énergie à sa conversion en électricité, à l’intérieur même des piles à combustible. ECCE était au milieu des années 1990 l’un des premiers camions électriques. Équipé à Belfort, il a fait l’objet quinze ans plus tard d’une version avec pile à combustible, batteries, pilotage par intelligence artificielle et des moteurs électriques dans ses quatre roues. Des déclinaisons civiles de ce véhicule militaire ont pu être envisagées : ainsi à partir d’une voiture de rallye préparée pour l’école Sbarro, l’hybridation entre moteur thermique et machines électriques a été validée pour ce type d’application. Autre projet, autre échelle, le tricycle conçu et réalisé pour La Poste a donné naissance en 2015 à la première flotte de véhicules à hydrogène circulant en France. MobyPost a fonctionné pendant plus d’un an à partir des plateformes de Perrigny et d’Audincourt, avec respectivement cinq véhicules sur chaque plateforme, donnant toute satisfaction aux postiers auxquels il était destiné. « À la suite du projet européen, La Poste a poursuivi leur exploitation pendant une année encore. » Aujourd’hui l’expérimentation est arrivée à son terme, mais des « petits frères » de ces véhicules, incluant des ajouts techniques, seront bientôt mis en service dans des lycées de la région Bourgogne – Franche-Comté.
L’hybridation électrique / thermique est aussi un sujet phare, autant dans le domaine du ferroviaire, en partenariat avec Alstom ou la SNCF, que par exemple pour la mise au point d’un monomoteur biplace, dans un projet qui vient tout juste de démarrer. De l’avion de tourisme à l’hélicoptère militaire, il n’y a qu’un coup d’aile, et cette fois c’est un projet avec Airbus qui demande à réaliser l’électrification de l’habitacle de l’appareil.
L’optimisation des systèmes énergétiques électriques est donc de tous les projets, elle va souvent de pair avec la réduction de la pollution : gagner sur la pollution de l’air dans les tunnels pour les services de maintenance fait l’objet d’un programme de recherche, réduire la pollution visuelle dans les centres-ville historiques en faisant circuler des tramways à énergie embarquée, et supprimer ainsi les caténaires peu esthétiques, en est un autre. Enfin, et pour boucler une boucle non exhaustive, un projet concerne le recyclage des batteries électriques utilisées dans les véhicules : si une perte de performance de 15 à 20 % les interdit de poursuivre leur mission première, ces batteries sont susceptibles de faire l’objet de nouvelles utilisations, cette fois dans le domaine du stationnaire.
Des projets très éclectiques donc, cependant tous guidés par un même fil conducteur : l’augmentation des performances énergétiques et de la durée de vie des chaînes de traction électrique proposées, tout en ayant un impact significatif sur la réduction des gaz à effet de serre des solutions de mobilité.
Fort de ces compétences, le Nord Franche-Comté est un territoire technologique de premier plan pour l’enjeu que représentent les transports du futur. Le FCLAB est l’institut de recherche n°1 en Europe pour l’intégration des systèmes hydrogène ; la conception de véhicules électriques est l’un des points forts de Belfort depuis trente ans ; les questions de contrôle, de commande et de gestion de l’énergie, comprenant un volet d’intelligence artificielle, sont développées depuis quinze ans.
« Pour autant, nous sommes conscients de l’importance d’intégrer une dimension humaine et sociale à nos travaux. C’est pourquoi deux économistes travaillent dans l’équipe SHARPAC aux côtés des spécialistes en ingénierie. Il est primordial de considérer la fonction sociétale de l’objet et sa capacité à intéresser le client final. » Au chapitre « voitures électriques », Daniel Hissel donne l’exemple de la Renault Zoé, dont les ventes ont grimpé en flèche dès lors que son autonomie est passée de 120 à 180 km. « On sait que pour la majorité des gens, cette autonomie supplémentaire n’est pas nécessaire pour leurs déplacements au quotidien. Cependant elle est rassurante, et l’aspect psychologique est ici particulièrement important. »
À l’université de Neuchâtel, l’économiste Bruno Lanz travaille sur des questionnements similaires. Dans une étude financée par le Fonds national suisse et qui vient de démarrer, il s’interroge de son côté sur la motivation que représente un plus grand nombre de bornes de recharge électrique sur les territoires. « La Norvège notamment a multiplié ces bornes, une stratégie qu’elle assume par un soutien financier important », raconte Bruno Lanz. Là encore, il s’agit d’une question d’autonomie jouant plus sur des ressorts psychologiques que sur des considérations rationnelles. « Même si les parcours effectués sont minimes en termes de distance, une présence plus importante des bornes de recharge devrait se montrer tranquillisante. » L’étude permettra de déterminer si le déploiement de ces bornes a un impact réel sur l’acquisition de véhicules électriques, et si le retour sur investissement est positif.
Thomas Buhler enseigne l’aménagement de l’espace et l’urbanisme à l’université de Franche-Comté. Ses recherches au laboratoire ThéMA sont essentiellement axées sur les questions de mobilité, qui font actuellement l’objet d’une enquête de grande envergure auprès d’un panel représentatif de la population française : PaNaMo bénéficie en effet du dispositif ELIPSS hébergé par Sciences Po Paris, qui prévoit de faire bénéficier à des chercheurs sélectionnés l’accès à ses 3 000 panélistes en France, sur plusieurs années.
Thomas Buhler est porteur du projet PaNaMo, projet pluridisciplinaire réunissant aux côtés du géographe les sociologues Vincent Kaufmann et Guillaume Drevon, de l’EPFL, et le psychologue Florent Lheureux, de l’UFC. « Chacun a sa façon de voir, ses hypothèses et ses propres interrogations sur la mobilité quotidienne, mais nous avons réussi à bâtir un questionnaire qui convient à tous, et mieux encore, dont les résultats peuvent nourrir les réflexions des uns et des autres », raconte Thomas Buhler. L’enquête PaNaMo interroge donc les Français sur leurs pratiques de mobilité quotidienne, au prisme de cinq grandes entrées explicatives des comportements : les normes sociales perçues ; les habitudes ; les intentions ; les situations (contexte géographique et social) ; la motilité, c’est-à-dire la capacité potentielle d’un individu à se mouvoir, en regard de ses capacités physiques, et de ses ressources cognitives et financières.
Via leur enquête, les chercheurs constatent que « les considérations environnementales sont désormais très fortes au sein de la population ». Près de 80 % des Français interrogés se sentent concernés, et ils sont presque aussi nombreux à bien identifier la relation entre mode de déplacement et impact sur l’environnement. Plus de 48 % se déclarent en outre « fatigués par leurs déplacements ». Cependant, toutes proportions gardées, ils ne sont que 13,5 % à vouloir se déplacer moins d’ici un an ; à peine 7 % d’entre eux envisagent de laisser plus souvent leur voiture au garage. Voiture qui reste favorablement considérée du point de vue des normes sociales, à 50,3 % sur le lieu de travail, et 52 % dans la sphère privée. 2 300 personnes ont répondu à cette première vague d’enquête, qui sera suivie d’une seconde juste un an après, soit en février / mars 2019, et qui regardera quelle concrétisation les Français auront donné à leurs intentions de départ.
Cette étude est la première d’une telle envergure, d’abord parce qu’elle est menée à long terme, ensuite parce qu’elle concerne un panel important et très représentatif de la population française. « Surtout, l’ensemble des approches scientifiques qu’elle regroupe présente un caractère très novateur et riche d’enseignements », souligne Thomas Buhler. Rendez-vous fin 2019 pour des résultats complets.
Après les camions militaires ECCE, les chercheurs belfortains se penchent sur la question des transports en commun, avec le projet européen de bus électrique Giantleap. Fabriqué par VDL en Hollande, ce bus sera équipé d’un essieu supplémentaire dans lequel se logeront une PAC et un réservoir d’hydrogène. L’équipe SHARPAC participe à ce projet européen, notamment pour établir des pronostics de durée de vie des composants de la chaîne hydrogène, grâce à des outils de modélisation.
Plus lourd encore, le semi-remorque du projet ROAD est un camion frigorifique de 38 tonnes. Dans ce projet porté par l’entreprise normande Chéreau, élu au titre du FUI (Fonds unique interministériel) et prévu pour trois ans (2016-2019), ce n’est pas le moteur de traction qui cette fois fait l’objet des travaux des chercheurs, mais la fourniture énergétique du groupe froid.
« En version traditionnelle, le système fonctionne au gazole, génère une importante consommation, de la pollution et beaucoup de bruit. Le recours à l’hydrogène permet de pallier tous ces défauts », explique Neigel Marx, qui après une thèse sur la gestion des systèmes multipile à combustible passée l’an dernier à l’université de Franche-Comté, consacre son post-doctorat à ROAD. Le jeune chercheur précise la donne : « le projet s’attache au transport sous température contrôlée, doté d’un système produisant du chaud comme du froid. » Il s’agit en effet aussi bien de maintenir des vaccins à une température de 20 °C par – 5 °C à l’extérieur, que d’acheminer des surgelés. ROAD verra la naissance de la première remorque de ce type fonctionnant à l’hydrogène. Le système hybride comporte des batteries chargées de gérer des pics de consommation de puissance, notamment au lancement du système, et une PAC prenant le relais pour fournir la puissance moyenne nécessaire. La remorque sera équipée directement au FCLAB à Belfort, où elle sera prochainement accueillie. Les premiers tests sur route sont prévus pour mars 2019.
Acteur régional majeur dans le domaine du transport et de la mobilité depuis sa création en 2005, le Pôle Véhicule du Futur veut favoriser les collaborations entre l’entreprise, l’enseignement et la recherche, et ainsi dynamiser le potentiel du territoire. L’automobile, les transports terrestres et plus généralement les mobilités du futur constituent son cœur de métier, qui impulse et soutient des projets de R&D, notamment pour les véhicules électriques et hydrogène. Au-delà de l’axe Innovation, le Pôle accompagne les entreprises sur l’axe Performance industrielle, par le biais de sa marque PerfoEST. Le réseau ne compte pas moins de 380 adhérents, en grande majorité des entreprises, constructeurs, sous-traitants, équipementiers… le Pôle Véhicule du Futur organise ou participe à la mise en place de nombreuses animations et manifestations en lien avec sa thématique de prédilection. « 11e micro & nano event » est le prochain événement inscrit à son agenda. Un rendez-vous B2B programmé lors du salon Micronora, du 27 au 28 septembre à Besançon.