Grâce à une molécule de gramicidine, des chercheurs ont réussi à emprisonner de l’eau à l’intérieur d’un canal nanométrique, permettant le transport de médicaments anticancéreux au plus proche de leurs cibles.
Une avancée réalisée grâce à des outils de simulation, et validée par des expériences en laboratoire.
Essayez de faire entrer de l’eau dans un minuscule tuyau quand elle a de la place pour s’épancher autour… C’est un vrai défi, que le physicien Fabien Picaud a remporté grâce aux outils de simulation développés au laboratoire de Nanomédecine, imagerie et thérapeutiques de l’université de Franche-Comté. La démonstration a ensuite été validée par des expériences réalisées à l’Institut européen des membranes de Montpellier. L’ensemble de la démarche a été conduite dans le cadre du projet ANR TRANSION, qui prévoit de conférer des fonctions biologiques à visée thérapeutique à des nanopores artificiels, seuls capables grâce à leur dimension d’atteindre des cibles à l’échelle de la cellule.
« L’eau est une condition indispensable à toute activité biologique » rappelle Fabien Picaud, dont l’idée a été d’utiliser la gramicidine, une molécule bien connue en antibiothérapie, pour atteindre son objectif. Pari réussi, au-delà même des espérances. Car la gramicidine présente la particularité d’avoir besoin d’eau à l’intérieur de sa structure et, à l’inverse, d’une enveloppe hydrophobe à l’extérieur, pour vivre. Dans le test de simulation, la molécule est placée dans un canal nanométrique, ou nanopore, entre deux membranes baignées d’eau. « Lorsqu’on réduit le diamètre du pore au point que ce dernier enserre la molécule de façon étanche, on s’aperçoit que la molécule absorbe l’eau résiduelle dans un réflexe de survie pour conserver ses propriétés intactes. » Un résultat validé par des tests en laboratoire.
Ce subterfuge oblige l’eau à rester dans le nanopore via la molécule, à laquelle on peut alors adjoindre et faire transporter le médicament anticancéreux. Le chercheur a par ailleurs identifié un lipide capable de faire sortir la molécule du nanopore pour une libération du produit thérapeutique au moment adéquat. C’est un pas de plus vers la connaissance que franchit la simulation, aidée par quelque deux millions d’heures de calcul par an, dont les trois quarts sont assurées par le Mésocentre de calcul de Franche-Comté.
L'eau est piégée par la molécule de gramicidine à l'intérieur du nanocanal.
Image Fabien Picaud, publication Soft Matter, juin 2016.
Cette expérience complète avantageusement celle déjà réalisée par le laboratoire de Nanomédecine en collaboration avec l’INSERM de Dijon, et qui a consisté à greffer sur des nanotubes de carbone des ligands actifs contre les cellules cancéreuses. Les tests in vitro ont révélé une efficacité des ligands dix à vingt fois supérieure à celle habituellement observée, prouvant l’intérêt du ciblage. Un résultat très encourageant, bien que certaines lignées cancéreuses n’aient pas été totalement détruites par les ligands. « Combiner les deux modes opératoires dans un même nanotube, avec un médicament à l’intérieur et un autre à l’extérieur, pourrait constituer un ciblage synchronisé d’un grand intérêt. »
Les résultats du projet ANR TRANSION ont fait l’objet de la quatrième de couverture du numéro de juin 2016 de Soft Matter, dans lequel a été publié l’article scientifique correspondant.
Contact :
Laboratoire de Nanomédecine, imagerie et thérapeutiques
Université de Franche-Comté
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