Université de Franche-Comté

Témoignages posthumes du royaume antique de Nubie

Sur le site archéologique de Kerma, au Soudan, la découverte d’une tombe royale datant de plus de quatre mille ans est une étape majeure vers la connaissance d’un royaume qui fut rival de l’empire égyptien.

 

cranes de vaches
Une (petite) partie des 1400 crânes de vaches disposés vers la tombe royale

Comptant quarante années de fouilles à son actif, la mission archéologique suisse au Soudan est dirigée depuis 2002 par Matthieu Honegger, archéologue à l’université de Neuchâtel. L’équipe a fait une découverte majeure en janvier dernier, avec la mise au jour de la plus ancienne tombe royale de Nubie. Datée de 2050 avant J.-C., elle est un témoin inédit des rites funéraires de la société antique. « Composée d’un vaste tumulus et d’une architecture en bois, la fosse de la tombe était pour moitié dotée d’une toiture recouvrant la chambre du mort, lui-même installé sur un lit en bois à six pieds ; l’autre moitié, à l’air libre, permettait d’accéder à la dépouille pendant plusieurs mois, le temps que l’on vienne de tout le royaume rendre hommage au monarque défunt », explique Matthieu Honegger. La coutume était d’apporter en offrande des troupeaux de vaches, dont, une fois la viande consommée lors de banquets, on gardait les têtes pour les ficher dans le sol. C’est ainsi que 1400 crânes de vaches ont été retrouvés disposés en arc de cercle au sud de la tombe. Rejoignant cet agencement, un arc composé de trois palissades de bois était dressé au nord, l’ensemble formant un enclos funéraire autour du tumulus de la tombe.

L’archéologue estime par ailleurs que la dépouille royale devait être escortée de moutons sacrifiés et de « morts d’accompagnement », de proches serviteurs poursuivant leur devoir au-delà de la mort en se faisant enterrer auprès de leur maître.

Si la tombe ne porte plus tous ses attributs et ornements, la sépulture découverte à proximité, d’un jeune archer de dix-huit ans inhumé avec son armement, des objets de parure, son habillement et un mouton sacrifié, est demeurée intacte et protégée des pillages, un fait rarissime. « Les tombes d’archers, qui étaient célèbres dans le royaume de Nubie pour leur dextérité, sont les premières preuves d’une hiérarchie sociale à Kerma », raconte Matthieu Honegger.

Le site de Kerma, mentionné dès 1820 dans des récits de voyage, a fait l’objet de premières fouilles en 1913 et 1916, avant de bénéficier d’un programme de recherches pérenne, celui de la mission archéologique suisse, à partir de 1977. S’étendant sur 70 hectares, la nécropole royale, située à 4 kilomètres à l’est de la capitale du royaume de Kerma, ne comporte pas moins de 40 000 sépultures, et force l’intérêt, outre des archéologues, de nombreux spécialistes suisses, français, allemands et soudanais en anthropologie, archéozoologie, céramologie, géologie, sigillographie… En 2008, sous la houlette de l’équipe suisse, un musée d’archéologie a ouvert ses portes à côté de la capitale du royaume antique ; il accueille chaque année 35 000 visiteurs, provenant essentiellement de la région, une population peu scolarisée témoignant par cette spectaculaire fréquentation de son intérêt pour sa culture, son histoire et son patrimoine.

 

Kerma, rivale de l’Égypte

Kerma était la capitale du royaume de Nubie, qui pendant un millénaire, de 2500 à 1500 avant J.-C., a exercé son influence sur la vallée du Nil, sur mille kilomètres entre la deuxième et la cinquième cataracte du fleuve mythique. Située au carrefour des voies reliant l’Égypte, la mer Noire et le centre du continent africain, elle bénéficie du commerce de l’or, de l’ivoire, de l’ébène, du bétail… L’élevage, la chasse, la pêche et les cultures agricoles constituent l’essentiel des ressources des Nubiens, qui étaient aussi des guerriers et ont su se protéger des incursions ennemies jusqu’à la conquête de leur territoire par les Égyptiens, dont ils étaient les principaux rivaux, vers 1500 avant J.-C.

De nombreux sites archéologiques ont été découverts dans la région au cours du XXe siècle, mais c’est Kerma, avec sa cité antique et sa nécropole, qui continue de livrer les plus importants vestiges d’une civilisation originale et puissante.

 

Contact :

Matthieu HoneggerInstitut d’archéologie – Université de Neuchâtel

Tél. +41 (0)32 889 69 10

 

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