Université de Franche-Comté

Stress au travail : des causes et de la prévention du burnout

Spécialiste de l’épuisement professionnel, appelé aussi burnout, syndrome psychologique lié au travail, Didier Truchot a d’abord identifié les causes avant de définir les conditions d’une bonne prévention de ce phénomène en expansion : des relations plus justes au travail, dans un environnement contrôlable, avec un soutien social. Et, dans une phase de remédiation, une réponse collective plutôt qu’individuelle.

 

 

Professeur de psychologie sociale à l’université de Franche-Comté depuis 2003, après avoir enseigné à Reims, Didier Truchot a véritablement développé ici ses recherches sur le stress au travail, ou plus précisément « sur la question de l’influence du travail sur la santé, qu’elle soit négative ou positive », précise- t-il. Ses travaux s’inscrivent désormais dans le cadre du laboratoire de psychologie, lequel a créé un programme de recherche spécifique sur la question de la santé. Le master professionnel Interventions psychosociologiques, travail, santé (IPTS) s’adosse en partie sur ces recherches. « Au sein de ce master, on forme des étudiants à devenir des spécialistes en interventions sur cette question ».

 

Mais si la discipline reconnaît trois degrés de stress au travail — le stress aigu, le stress post-traumatique et le stress chronique — Didier Truchot a choisi d’étudier plus précisément ce troisième stade, celui du stress chronique, appelé également burnout. Ce vocable anglo-saxon, qui évoque la petite flamme d’une bougie qui s’éteint, pouvant être traduit de différentes façons : moteur ou ampoule grillé(e), bout du rouleau, fatigue extrême, épuisement… « Le terme est utilisé par les Américains depuis les années 1970-80 pour qualifier cet état d’épuisement observé. Il décrit l’idée de ne plus avoir de ressources après une dépense d’énergie longue et continue, et s’apparente à un stress chronique. Provoqué par l’accumulation progressive de tensions, pas forcément fortes, il épuise petit à petit l’énergie de l’individu », explique le professeur de psychologie sociale, auteur d’un ouvrage sur ce sujet plus brûlant que jamais (1).

 

 

Les médecins très concernés

 

Didier Truchot a collecté plus de six mille données sur les médecins généralistes, une population déjà plus vulnérable que d’autres aux conduites addictives (alcool, psychotropes), et très touchée par le phénomène de burnout. Chez les médecins concernés, il a constaté un désengagement de leur intérêt dès lors qu’ils se retrouvent face à une personne non coopérante ou non « compliante », ce qui peut avoir des répercussions sur leurs prises de décision. « Quand les médecins ont un épuisement émotionnel élevé et qu’ils sont face à une patiente non compliante, alors, ils adhèrent davantage aux décisions peu coûteuses psychologiquement (envoyer la personne en maison de retraite, ce qui suppose un désengagement relationnel) et moins aux décisions coûteuses (une aide à domicile, qui représente une implication future) », écrit-il dans Épuisement professionnel et burnout (1).

 

 

« Ce que j’étudie, ce sont les causes, ce qui fait que l’on arrive à ce phénomène-là. Le terme burnout désignant à la fois l’état de la personne et le processus qui amène à cet état. On le définit aujourd’hui comme un syndrome psychologique à trois dimensions : un phénomène d’épuisement émotionnel, des attitudes de désengagement, voire de cynisme vis-à-vis de son travail, de ses collègues, de ses clients ou patients, et enfin une réduction de l’accomplissement personnel au travail ».

 

Pour mesurer le burnout, il existe des échelles validées internationalement, sortes de thermomètres indiquant à quel niveau de stress se trouve confronté(e) un sujet, une population. Doté de ces outils, le laboratoire de Psychologie franc-comtois travaille sur des problématiques concrètes en zoomant sur des groupes professionnels déterminés. Il a, par exemple, récemment signé un contrat de recherche avec l’Institut national du cancer afin d’étudier les causes du burnout dans les services de cancérologie, chez le personnel soignant et non soignant. « On procède par l’élaboration de questionnaires, à partir d’entretiens préalables. Dans le cas présent, on avait trois cents entretiens enregistrés et analysés avec des linguistes. À partir de cette analyse, on a construit un questionnaire qui a été renseigné par environ deux mille personnes, au niveau national. Et l’analyse des réponses a montré que le fait d’être confronté à la douleur, à la mort ou à la dégradation physique n’est pas une cause d’épuisement professionnel. Au contraire, c’est comme si cela donnait du sens au travail. Non, ce qui engendre le burnout est lié à l’organisation du travail, aux conflits avec la hiérarchie, à des stresseurs qui ne sont pas spécifiques à la profession ».

 

Ce que montrent clairement les travaux de Didier Truchot, c’est que l’action sur le seul individu ne sert à rien. « La gestion individuelle du stress, certes à la mode, ne change pas la situation, ses effets positifs sont limités et peu sûrs », observe-t-il. « Cette question du stress, on y répond trop souvent en regardant la fragilité des individus, alors que ce n’est pas la solution ». Le burnout étant un syndrome psychologique dont la cause est sociale, liée au contenu et à l’environnement du travail, ce sont bien des actions sur l’entreprise dans son ensemble qui peuvent avoir des effets durables.

 

Le laboratoire a ainsi pu identifier les ressources permettant de l’éviter : vivre des relations justes au travail, dans un environnement contrôlable, et pouvoir compter sur le soutien social de ses pairs et de ses supérieurs, constituent, à elles toutes, une protection efficace. « Alors que le travail devrait être un lieu de socialisation et de développement de compétences, il devient le lieu où l’on encourage l’individualisme, la performance et la réussite individuelle, où l’autre devient un ennemi potentiel. Nous, chercheurs, pouvons avoir un rôle d’alerte et montrer les causes sur lesquelles agir pour y remédier ». Ainsi, les étudiants en master IPTS peuvent intervenir dans les entreprises ou les institutions pour poser un diagnostic et proposer une remédiation.

 

Des études européennes ont montré que 4 à 7 % des individus souffrent d’un burnout élevé, 25 % d’un burnout moyen. S’il se prolonge trop longtemps, cet état peut conduire à la dépression, dont la phase ultime, à son tour, se révèle parfois être le suicide, sujet tabou pour lequel les statistiques manquent… Mais avant d’en arriver à ces situations extrêmes, le burnout coûte de plus en plus cher à la société, par les dégâts humains et financiers qu’il génère ; et l’évolution actuelle des rapports entre entreprises et masse salariale laisse malheureusement présager de beaux lendemains à ce syndrome en expansion…

 

Les recherches ont mis en évidence que le burnout a des conséquences physiques (maux de ventre, de tête, rhume chronique, troubles musculo-squelettiques, cholestérolémie élevée, diabète de type 2, problèmes cardio-vasculaires, troubles de la sexualité), psychologiques et comportementales (concentration difficile, difficultés d’endormissement, irritabilité, sensibilité exacerbée, conduites addictives…). Le burnout contribue à la détérioration des relations sociales, que ce soit au travail (conflits entre collègues) mais aussi au niveau de la vie privée (conflits au sein du couple). On sait qu’il a aussi des conséquences économiques : perte de productivité, absentéisme…

 

 

Un syndrome à trois dimensions aux conséquences physiques, psychologiques et économiques

 

Le phénomène d’épuisement émotionnel constitue la première dimension du syndrome. Il renvoie au manque d’énergie, au sentiment que les ressources émotionnelles sont épuisées, à une fatigue chronique. La personne est « vidée nerveusement », a perdu tout entrain, n’est plus motivée par son travail qui devient une corvée. Elle ne réalise plus le travail qu’elle effectuait auparavant, ressent frustration et tensions. À ce stade, l’individu ne peut plus faire face aux exigences professionnelles. Il va se défendre en prenant de la distance avec son travail, en se désinvestissant, en développant des attitudes et des comportements détachés. On parle de « cynisme » ou de dépersonnalisation des relations, la deuxième dimension du burnout. Ces attitudes et ces comportements permettent de ne plus se sentir concerné par les exigences de son travail, de ses collègues, de ses patients, de ses clients. Ils permettent de « s’adapter », mais de façon inappropriée, à l’effondrement de l’énergie et de la motivation. Finalement, la dévalorisation de son travail, de ses compétences, la perception que ses objectifs ne sont pas atteints amènent la personne à ne plus s’attribuer de capacité à faire avancer les choses, convaincue de son inaptitude à répondre effectivement aux attentes de son entourage. Alors apparaît la troisième dimension du burnout, la réduction de l’accomplissement personnel au travail.

 

 

 

Contact : Didier Truchot

Laboratoire de Psychologie

Université de Franche-Comté

Tél. (0033/0) 3 81 66 54 37

 

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