Université de Franche-Comté

Quel impact la LGV Rhin-Rhône aura-t-elle sur l’habitat de certaines espèces animales ?

Des chauves-souris à corne, un lézard et une grenouille. Telles sont les espèces menacées que des écologues et géographes bisontins se proposent d’observer de part et d’autre du chantier de la branche est de la LGV Rhin-Rhône, dans un projet baptisé Graphab. Jusqu’où trouvera-t-on une perturbation de leur habitat ? C’est là toute la question.

 

 

Si l’équipe Paysage et cadre de vie du laboratoire ThéMA — Théoriser et modéliser pour aménager — de l’université de Franche-Comté a répondu à l’appel à projets du ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer portant sur les « infrastructures de transports terrestres, paysages et écosystèmes », c’est parce qu’elle est déjà très impliquée dans ce type de recherches qu’elle allait ainsi pouvoir pousser un peu plus loin. D’une part, elle travaille déjà depuis une dizaine d’années avec les écologues du laboratoire Chrono-environnement, collaboration actuellement mise en valeur au sein de la Maison des sciences de l’homme et de l’environnement (MSHE) Claude Nicolas Ledoux ; d’autre part, le chantier de la LGV Rhin-Rhône, et plus précisément sa branche est, bien avancée, constitue un laboratoire d’étude idéal. Avec le projet Graphab (pour graphes et habitat), elle entend vérifier, autour de cette future ligne à grande vitesse, que l’impact écologique dépasse les 800 mètres de part et d’autre de l’infrastructure — la loi obligeant les aménageurs à prendre des mesures compensatoires dans cette limite de périmètre.

 

 

 

Les graphes de connectivité

 

Parmi différentes pistes méthodologiques (indices structurels, simulation de mouvement), l’équipe de recherche a choisi celle des graphes de connectivité, « intermédiaire à la fois réaliste et efficace dans une large zone, puisque nous avons la volonté de disposer d’un outil opérationnel », explique Jean-Christophe Foltête. L’habitat est représenté par un certain nombre de taches reliées entre elles si on suppose que le déplacement est possible pour l’espèce. La connectivité est le caractère plus ou moins interrelié de l’ensemble constituant un graphe. « Il s’agit d’un mode de représentation simplifié où l’on considère que les taches sont les nœuds d’un réseau, cette théorie étant utilisée dans de nombreux domaines ». Appliquée à l’habitat d’une espèce, elle permet de connaître le rôle d’une tache au sein du réseau. S’agit-il d’une place stratégique ? D’un hub ? D’un cul-de-sac ? Les chercheurs, ainsi, devront pouvoir identifier des taches-clefs mais également les liens-clefs entre les taches, et déterminer les taches ou liens à préserver pour les espèces les plus menacées, en fonction de leur proximité avec l’infrastructure.

 

 

 

Que se passe-t-il au-delà des 800 mètres de la loi ?

« Nous avons répondu à l’appel pour pouvoir prendre en compte l’échelle régionale, au-delà des 800 mètres », confirme Jean-Christophe Foltête, géographe et responsable scientifique de ce projet retenu fin 2008 et lancé en 2009. « Pour un certain nombre d’espèces, dont l’habitat est déjà a priori fragmenté — il n’est en tout cas plus à son état original — on pose l’hypothèse que l’infrastructure aura des conséquences sur la connectivité à une échelle plus large ». La zone prise en compte dans l’étude représente une bande de soixante kilomètres de large, soit trente kilomètres de part et d’autre du tracé de la ligne, de la Haute-Saône au plateau jurassien. Une tout autre dimension !

 

Conscient de l’ampleur des travaux, Jean-Christophe Foltête a voulu faire de Graphab un projet de méthodologie. « En trois ans, on n’aura pas le temps de mesurer l’impact réel. Mais nous allons assurer la mise en place d’un protocole et faire un certain nombre d’hypothèses ». De la modestie ? « Plutôt du réalisme écologique. Les réactions ne se feront pas en six mois ». L’équipe impliquée dans Graphab comprend quatre géographes, trois écologues, trois partenaires scientifiques naturalistes, deux partenaires gestionnaires (un chez Réseau ferré de France, l’aménageur de la LGV, et un à la DIREN, déjà investi dans l’impact de la ligne sur les écosystèmes et les paysages régionaux). Un ingénieur de recherche complétera l’effectif pendant un an pour structurer les données recueillies.

 

 

 

Deux thèses pour élargir le propos

 

Parallèlement au projet Graphab, deux allocations de thèse ont été accordées à un géographe et à une écologue, pour élargir le propos et permettre aux laboratoires de disposer d’un jeu cohérent de données. Sous la direction de Jean-Christophe Foltête, Xavier Girardet planche sur « paysages et grandes infrastructures de transport » (financements ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche) ; quant à Pierline Tournant, elle étudie la « connectivité des habitats et distribution spatiale du petit (et grand) rhinolophe : données, modèles et prédictions », sous la responsabilité de Patrick Giraudoux et de Jean-Christophe Foltête (cofinancement CNRS et Région Franche-Comté).

 

 

 

Définir une méthodologie

La définition des modèles biologiques abordés — les espèces précises et leurs caractéristiques — est un préalable aux trois phases successives de l’étude, qui comporte trois chantiers menés parallèlement, chacun portant sur une espèce et son habitat : le petit et le grand rhinolophe (deux espèces de chauve-souris à corne) dans les gîtes abrités et divers terrains de chasse (milieu boisé près des cours d’eau, vergers, prairies avec végétation arborée ou arbustive) ; le lézard vert dans les pelouses sèches ; la reinette arboricole dans les zones humides.

 

La première phase de l’étude consiste à définir les caractéristiques de ces espèces et à cartographier leur habitat. « Et ça, c’est déjà compliqué, le rhinolophe, par exemple, étant une espèce multihabitat. Il nous faut cartographier ces informations sur des éléments de paysage fins, et c’est un travail conséquent, surtout du point de vue géographique, dans un espace pris en compte de manière continue », soulève Jean-Christophe Foltête. La fin de cette première phase doit permettre de mettre en place des graphes de connectivité des habitats, qui constituent la trame de la méthodologie retenue pour ce projet mêlant géographie et écologie. Elle permettra de répondre à l’hypothèse selon laquelle la connectivité de l’habitat est un critère fondamental de la viabilité d’une espèce lorsque son habitat est fragmenté.

 

Seconde phase de l’étude : la réintégration de toutes les données d’observation du terrain, notamment celles issues des partenaires naturalistes, dans les structures de graphes de connectivité. « Si notre hypothèse se vérifie, on observera alors une relation entre la forte connectivité et l’abondance de l’espèce, et on pourra ainsi évaluer le caractère perturbateur de la LGV en voyant comment elle altère la connectivité. La connectivité, c’est un thème fondamental de l’écologie du paysage, depuis plus de vingt-cinq ans. Il y a déjà eu beaucoup d’études ciblées, mais rarement aussi larges ».

 

Enfin, la troisième phase du projet consistera à estimer l’impact que pourrait avoir la LGV Rhin-Rhône sur ces espèces, « avec des missions de terrain sur les zones jugées sensibles, afin de montrer de quelle façon il est possible d’aller au bout du protocole ».

 

Le budget relativement modeste du projet (60 500 euros, dont une partie financée par le ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer, une autre sur fonds propres de la MSHE) s’explique par le fait que les laboratoires disposent déjà de certains éléments, bases orthophotographiques ou base de données IGN par exemple. Graphab s’attachera aussi à mettre au point un outil informatique utilisable par les aménageurs réfléchissant à un tracé, par rapport à un habitat donné. À ce titre, RFF est intéressé pour la branche sud de la LGV, dont le tracé définitif n’est pas tout à fait arrêté…

 

 

Contact : Jean-Christophe Foltête

Laboratoire ThéMA

Université de Franche-Comté

Tél. (0033/0) 3 81 66 54 03 

 

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