Université de Franche-Comté

Quand la littérature suit les méandres du Doubs

Tour à tour inquiétant, pittoresque, poétique, industrieux, le Doubs se glisse dans de nombreuses pages de littérature française, souvent écrites par des auteurs comtois ou romands, mais pas seulement.

Sur la base d’une bibliographie de quelque cent quarante romans, recueils de poèmes, nouvelles et autres récits de voyages, Le Doubs au fil des textes, du XIXe siècle à aujourd’hui raconte un itinéraire littéraire de la rivière, et, comme elle, n’hésite pas à emprunter des détours parfois inattendus, réservant de belles découvertes.

Le Doubs au fil des textes

De sa source à Mouthe (25) jusqu’à sa jonction avec la Saône à Verdun-sur-le-Doubs (71), dans laquelle il se jette après 453 km de voyages sinueux, le Doubs offre une variété de paysages spectaculaires, parfois même inquiétants, qui n’ont pas manqué d’inspirer artistes et écrivains. Une brève excursion de vingt kilomètres en Suisse, après avoir fait frontière commune entre les deux pays riverains sur quelques dizaines de kilomètres, donne par ailleurs à la rivière une identité particulière, à laquelle il est largement fait référence dans certaines œuvres comtoises et romandes.

L’essai que propose Daniel Sangsue, spécialiste de littérature française à l’Université de Neuchâtel, sous le titre Le Doubs au fil des textes, du XIXe siècle à aujourd’hui, analyse les représentations de la rivière dans des écrits de toutes sortes, romans, nouvelles, poèmes, récits de voyages et même carnets et notes trouvés au hasard et restés anonymes. « Le Doubs est parfois juste évoqué, à peine cité, ou à l’inverse constitue le point de départ d’une intrigue qui lui est spécifique. » Sa présence dans les textes est par ailleurs révélatrice des us et coutumes d’une époque.

Une chute célèbre

Au XIXe siècle, les attraits de la rivière sont ignorés des appréciations touristiques. Seuls les lacs, les montagnes ou les vallées semblent dignes de considération, et le Doubs, comme les autres rivières, n’échappe pas à l’indifférence. Hormis sa chute, qui, elle, suscite l’admiration et les envolées lyriques. « J’ose dire que le saut du Doubs vaut seul la peine que les habitants de Paris fassent un voyage dans ce pays », déclare Georges-Bernard Depping dans Voyage de Paris à Neufchâtel, publié en 1813. Des auteurs aussi divers que Charles Nodier : « et alors les rayons du soleil, perçant cette pluie de paillettes brillantes et diaprées, forment des iris d’une beauté éblouissante », Antoine Fée, qui parle de « Niagara de la France », ou encore Andersen, sont littéralement sous son charme, qui reste cependant exclusif. « Pendant longtemps, le Doubs n’existe donc, aux yeux des voyageurs, que par sa chute », souligne Daniel Sangsue.

Stendhal se sert du Doubs et de son environnement « pittoresque et sublime » pour planter le décor romantique du Rouge et le noir (1830), et Balzac rend hommage à Stendhal dans Albert Savarus (1842) en situant aussi son intrigue dans la région, notamment et comme lui à Besançon, où comme lui il n’a jamais mis les pieds. « Les lieux prennent de la consistance dans la littérature dès lors qu’il est réellement question du Doubs », remarque Daniel Sangsue. Les hameaux ou lieux-dits deviennent le théâtre d’intrigues souvent noires, inspirées par l’étymologie « douteuse » du Doubs, et par ses méandres menaçants. Cette atmosphère inquiétante est cultivée dans des écrits cherchant parfois des explications à des noms de lieux comme le Moulin de la mort, du titre du roman de l’écrivain jurassien Pierre César, et dans lesquels l’évocation de légendes tragiques le dispute aux récits de contrebande dramatiques.

 

Le moulin de la mort, 1892

Couverture illustrée de Pierre César,

Au moulin de la mort, 1892

Doubs inquiétant et sublime

Il faut attendre le XXe siècle, et paradoxalement l’industrialisation de la vallée et ses effets délétères sur le paysage, pour que le Doubs devienne un sujet d’intérêt pour le tourisme, puis pour l’art. La construction de routes le rend plus accessible aux promeneurs, et la conscience collective se mobilise autour de la vulnérabilité de son écosystème comme de son patrimoine architectural. La peinture et la photographie magnifient la rivière et ses rives, que la littérature célèbre dans de beaux ouvrages illustrés et poétiques. L’imaginaire funèbre est toujours présent dans les romans et les nouvelles, comme celle de Jean-Paul Zimmermann, L’auberge des graviers, publiée en 1947, et dans laquelle la vallée du Doubs apparaît « étrange et pathétique », hantée par des « histoires maudites de séquestrées, de filles séduites et folles, de disparitions, d’infanticides ».

Le tableau s’avère moins sombre avec des auteurs comme Marcel Aymé, Louis Pergaud, Jean-Pierre Monnier ou Jean-Paul Pellaton. « Le Doubs fait toujours le lit de pouvoirs imaginaires et symboliques, mais n’est plus menaçant. » Il est même un lieu de festivités, comme l’écrit Bernard Clavel en 1981 dans Terres de mémoire. Le Jura : « Ici, c’est la rivière qui sépare la France de la Suisse. Une fois le grand froid installé, elle ne les sépare plus, elle les unit. Et le spectacle est réjouissant de ces gens des deux rives se trouvant par milliers sur le Doubs ».

L’humour est aussi très présent, comme dans cet extrait de Papiers de famille (2005) d’Ernest Mignatte, qui n’est autre que le pseudonyme d’écrivain de Daniel Sangsue. L’auteur y relate des souvenirs d’enfance et dans quelques pages juteuses, les embrouillaminis de la justice à propos d’un délit de pêche de grenouilles, où le procureur écrit à son père gendarme : « Par pêche on doit entendre la capture dans l’eau. La prise de grenouilles sur le terrain ne tombe pas sous la loi sur la pêche. Elle ne tombe pas non plus sous la loi sur la chasse. » L’essai de Daniel Sangsue se conclut en effet sur des pages choisies du XXIe siècle, avant de laisser la place à des extraits du corpus qu’il a étudié, dans une courte anthologie. Comme lui, laissons le mot de la fin à Bertrand Degott, qui en quelques vers évoque l’ambivalence du Doubs : la dangerosité de la rivière, qui nourrit l’imaginaire de la mort ; le merveilleux et le pittoresque, qui le rendent spectaculaire et attachant.

 

Photo Annie Fusis


« Je ne sais pas pourquoi les rives

du Doubs seraient plus inspirées

que d’autres mais quand il m’arrive

d’y faire un bouquet de spirées

tu vois, il faut que je l'écrive. »


Bertrand Degott, More à Venise (2013)

Photo Annie Fusis


Contact :

Daniel Sangsue

Institut de littérature française

Université de Neuchâtel

Tél. : +41 (0) 327 18 18 24

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