Université de Franche-Comté

Parmentier et la pomme de terre en Franche-Comté

2008 – année mondiale de la pomme de terre. Ne vous y trompez pas. Ce qui peut ressembler à une blague de Haut-Saônois est en réalité tout à fait sérieux. Alors qu’une grande partie de la population mondiale souffre de pauvreté et de malnutrition, alors que les logiques économiques poussent à des aberrations en termes agronomiques et environnementaux, la culture de la pomme de terre peut être vue comme une solution viable. C’est du moins ce que prônent les organisateurs de cette année mondiale, soutenue par l’UNESCO.

 

La pomme de terre se cultive sur des terres limitées et elle est riche sur le plan nutritif. Des arguments déjà utilisés… en 1771 à Besançon, lors de la grande famine. Voilà l’occasion de revenir sur l’histoire de la pomme de terre en Franche-Comté.

 

 

La pomme de terre est connue à Montbéliard dès la fin du XVIe siècle, mais seulement comme une curiosité botanique. Il faut attendre les années 1716-1732 pour que des Anabaptistes, originaires du canton suisse de Berne, commencent à la cultiver dans les environs d’Héricourt (1). Excellents agriculteurs, ils n’hésitent pas à innover et plantent des tubercules dans la jachère. Leur exemple est ensuite imité dans les régions de Montbéliard et de Belfort. Dès avant 1729, à Giromagny, qui relève alors de l’Alsace, les officiers seigneuriaux prétendent lever la dîme sur la pomme de terre, signe que cette culture s’effectue désormais dans les champs et non plus seulement dans les jardins clos. En 1742, le même impôt est exigé pour l’ensemble des communautés rurales de la seigneurie du Rosemont. La pomme de terre est produite en plein champ avant 1750 dans la haute vallée du Breuchin, vers Luxeuil, et vers 1755 aux environs de Port-sur-Saône.

 

 

 

 

Tas de pommes de terre

 

(1) Cf. Paul DELSALLE, « Les frères Bauhin et la pomme de terre aux XVIe – XVIIe siècles », La pomme de terre, de la Renaissance au XXIe siècle, Tours, Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation, 2007 (à paraître). 

 

 

Deux précurseurs : Le Vacher et Normand

Le 28 juillet 1755, un dénommé Gilles Le Vacher, chirurgien et naturaliste, lit devant l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Besançon un Mémoire sur l’usage des pommes de terre appelées topinambours. Comme l’a montré Antoine Magnin, ces « topinambours » correspondent à ce que nous appelons pommes de terre. Les expériences décrites par Le Vacher, qui portent sur l’amidon et la confection de pain à base de tubercules, sont comparables à celles que présentera dix-sept ans plus tard Antoine-Auguste Parmentier.

 

En 1767, l’Académie de Besançon met au concours la question des nouveaux légumes à introduire et à cultiver. Le prix est attribué en 1768 à un certain Normand, ingénieur à Dole, qui propose de cultiver les topinambours mais surtout les pommes de terre, parce qu’elles sont panifiables, n’épuisent pas les sols et permettent ainsi d’éviter la jachère : comme il l’écrit, celles-ci « offrent des avantages supérieurs. On peut même faire du bon pain en les mélangeant avec un quart de farine de froment ; elles n’effritent point la terre, on peut conséquemment les semer dans les jachères. Malgré ces avantages, nous ne destinons à ces précieuses racines qu’un petit coin dans nos jardins tandis que nous devrions en couvrir nos campagnes ».

 

L’hebdomadaire Affiches et annonces de la Franche-Comté publie alors des conseils de culture et des recettes de cuisine à base de pommes de terre. On dit aussi « poires de terre ». Il s’agit notamment de confectionner du « pain composé de farine de bled et de pomme de terre » et « de la purée ». D’autres recettes sont expérimentées à Besançon, en particulier « dans le four du sieur Benoît, pâtissier », et paraissent en 1769. Elles donnent lieu à « un pain aussi friand que le craquelin ». Dès lors, la consommation des pommes de terre se répand en Franche-Comté. Elles sont préparées de façons variées : « il y a peu de denrées dont on use en tant de diverses manières. On les fait cuire ou avec de l’eau ou sous la cendre et on les mange telles, on les met en différentes sauces ; on en mange en salade avec du vinaigre. On en mêle avec de la farine et on en fait du pain ».

 

 

La disette de 1771 et Antoine-Auguste Parmentier

La mauvaise récolte de céréales en 1771 et la disette qui s’ensuit incitent d’autres paysans à chercher des cultures de substitution et à planter des pommes de terre. C’est ce que note quelques années plus tard le curé de Buthiers, dans la vallée de l’Ognon : « depuis la disette de 1771, presque tous les particuliers ont planté des pommes de terre ». Le curé de Boult relève également cette nouveauté et laisse entendre que la production de tubercules pourrait pallier le manque de nourriture : « la culture de la pomme de terre commence à s’introduire : elles viennent assez bien et contribueront beaucoup à la subsistance des habitants ». Ces « fruits de pomme de terre », comme on les appelle, l’emportent surtout dans le nord de la province.

 

C’est aussi à cause de la disette de 1771 que l’Académie de Besançon lance un autre concours, en 1772, dont le sujet concerne les « substances alimentaires qui pourraient atténuer les calamités d’une disette ». Le mémoire d’Antoine-Auguste Parmentier (1737-1813), qui suggère de fabriquer du pain à base de pomme de terre, emporte le prix. En réalité, cette proposition n’est guère originale : les sept mémoires présentés, dont celui du Père Prudent, de Faucogney, évoquent tous la consommation du tubercule et certains proposent aussi des recettes de pain aux pommes de terre. Le travail de Parmentier se distingue néanmoins, aux yeux des académiciens, par la qualité de l’approche chimique des expériences réalisées et proposées.

 

Cependant, des réticences subsistent dans la population ; beaucoup réservent la pomme de terre à la nourriture des bêtes, notamment des cochons. En 1787, le notaire chargé d’inventorier la ferme de Pierre Joz, à Pelouzet (Haut Jura), évoque sans l’évaluer une réserve destinée aux porcs et composée de tubercules et de raves : « j’y ai trouvé un petit tas de pomme de terre, de rave et un chou-rave que je n’ai pas estimés, étant destiné pour les porcs ». Le chirurgien Monnoyeur, d’Orgelet, n’a pas plus de goût pour les pommes de terre : « c’est une nourriture grossière bonne pour les cochons ».

 

C’est finalement la grande disette des années révolutionnaires, entre 1789 et 1796, qui généralise la culture de ces tubercules. Dans le contexte de la période, on lui découvre des vertus patriotiques ; elle est réputée comme étant la « plante de l’homme libre ». On lit en effet : « Un citoyen a observé que les Anglais n’étaient venus à bout de leur révolution que par le secours de la pomme de terre. On peut la nommer la plante de l’homme libre, parce qu’elle n’exige point de soins constants et laisse par conséquent au cultivateur le loisir nécessaire pour s’occuper des grands intérêts de la République ».

 

À Besançon en 1793, une brochure la décrète « la plus précieuse des plantes potagères ».

 

 

Contact : Paul Delsalle 

Laboratoire Chrono-environnement

Université de Franche-Comté

Tél. (0033/0) 3 81 66 58 74

 

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