Université de Franche-Comté

Mystérieuses et étonnantes tourbières

De tout temps considérées comme insalubres et dangereuses, les tourbières forcent aujourd’hui l’intérêt des scientifiques. Si elles ne représentent que 0,1 % du territoire français, elles recèlent des trésors de biodiversité, des informations paléoclimatiques exceptionnelles et un potentiel surprenant de régulation environnementale. La Franche-Comté, avec 363 sites recensés, est l’une des régions les plus riches en tourbières de l’hexagone. Un terrain propice à de nombreuses études, et une capitale naturellement élue pour accueillir le Pôle relais tourbières national (http://pole-tourbieres.org).

Nées pour la plupart après le retrait de la dernière glaciation, voilà quelque 12 000 ans, les tourbières ont élu domicile dans des zones humides et relativement froides. En Franche-Comté, on les trouve essentiellement dans les domaines jurassien et vosgien, à des altitudes moyennes. Si elles présentent des caractéristiques différentes d’un site à l’autre, toutes les tourbières se caractérisent par un écosystème à nul autre pareil. Des sols humides, des eaux stagnantes, un milieu pauvre en oxygène… les conditions sont réunies pour empêcher la décomposition complète des matières organiques, qui se déposent pour former la tourbe, à raison de 0,2 à 1 mm par an. La tourbe s’accumule ainsi sur plusieurs mètres d’épaisseur, et atteint parfois des records, comme sur le site de la Grande Pile en Haute-Saône : 19 mètres !

Marais croupissants ou réservoirs d’eau douce ?

Au nom de la salubrité publique, les tourbières étaient autrefois asséchées et assainies. Elles ont souvent été mises à mal au profit de l’agriculture, du drainage des sols ou de la plantation d’arbres. Elles ont également été victimes de l’exploitation abusive de leur substrat, la tourbe, le meilleur support de culture connu à ce jour. En France, leur superficie a été réduite de moitié en cinquante ans et ne représente plus que 100 000 hectares. Depuis trente ans seulement, on comprend mieux leur rôle et leur importance, et de l’étiquette de marais putrides, les tourbières ont gagné le statut de réserves naturelles ! Elles abritent des espèces végétales et animales très rares, qui ont su s’adapter à ce milieu extrêmement contraignant… et ne sauraient vivre dans d’autres écosystèmes. Elles sont une véritable mine d’informations sur les paléoclimats, grâce aux sédiments et pollens emprisonnés dans les strates de tourbe : une bagatelle de milliers d’années d’histoire ! Elles jouent enfin un rôle d’équilibre environnemental. Elles apportent en effet une régulation en période de réchauffement, par évapotranspiration, comme cela a été démontré lors de la canicule de 2003. À la manière d’un vase d’expansion, elles permettent l’étalement des crues et limitent ainsi les inondations.

Partant de ces multiples constats, protéger les tourbières devient très vite un impératif. Des actions sont menées en ce sens, notamment depuis 1995 avec l’adoption d’un plan national d’action en faveur des zones humides. Recherches scientifiques et sensibilisation auprès du grand public sous-tendent cette politique, à laquelle le laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté et le Pôle relais tourbières installé à Besançon participent activement.

Sphaigne (détail)

Sphaigne (détail)

 

 

 

Le ponton permet l'étude de la tourbière sans fouler cet espace protégé

 

Le ponton permet l’étude de la tourbière sans fouler cet espace protégé

 

 

 

 

La tourbe, piège à CO2

 

On sait aujourd’hui que les tourbières constituent un formidable stock de carbone, précisément la même quantité que dans l’air ! L’enjeu est de les protéger sous peine de voir le CO2 qu’elles renferment s’évaporer et ajouter à la pollution ambiante.

Objet de toutes les attentions, la sphaigne est l’un des végétaux de base des tourbières. Pour le moins curieuse, cette mousse dépourvue de racines pousse en continu pour former des tapis couvrant jusqu’à plusieurs kilomètres carrés ! Et dans ce milieu trop humide, trop acide, pauvre en oxygène, les bactéries ne peuvent assurer complètement la décomposition des végétaux : 10 % du CO2 fixé par photosynthèse ne peut être rejeté dans l’atmosphère. Ainsi les tourbières, si elles ne représentent que quelques pourcents de l’ensemble des sols de la planète, recèlent 30 % du carbone contenu dans ces mêmes sols.

Daniel Gilbert, enseignant en écologie à Montbéliard (25), étudie ce milieu depuis plus de quinze ans. Ses travaux participent aujourd’hui du programme Peatwarm, réunissant autour de la tourbière de Frasne, dans le Doubs, sept laboratoires français et suisses labellisés CNRS ou INRA. Mis en place début 2008, Peatwarm prévoit l’observation du milieu pour quatre ans. La construction d’un ponton de 80 mètres de long au-dessus de la tourbière, représentant un investissement de 25 000 €, laisse cependant espérer une recherche pérenne. Une station météo installée sur le site voilà tout juste un an donne des renseignements d’une précision et d’une richesse telles que l’on peut qualifier l’ensemble de ce dispositif d’observatoire d’exception. Son objectif prioritaire est de simuler le réchauffement climatique, en observant les évolutions du milieu dans des serres à ciel ouvert, dans lesquelles la température est augmentée de 2 à 3°, et en les comparant à des zones témoins. Quelques degrés supplémentaires, et le manque d’eau pourrait provoquer le déclin de la sphaigne qui se nourrit exclusivement de l’eau de pluie qu’elle reçoit. Son écosystème modifié, la tourbière serait donc susceptible de libérer davantage de CO2. Un postulat à vérifier de près, d’autant que les plus grandes tourbières se trouvent notamment au Canada, en Finlande, en Suède, dans le nord de la Russie… les latitudes les plus exposées au réchauffement.

 

 

Contact : Daniel Gilbert

Laboratoire Chrono-environnement

Université de Franche-Comté

Tél. (0033/0) 3 81 99 46 95

 

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