Université de Franche-Comté

Les tourbières, bancs d’essais pour mesurer la pollution atmosphérique

Pour évaluer la diffusion de la pollution atmosphérique et son impact sur l’écologie, les chercheurs ont effectué des prélèvements dans une cinquantaine de tourbières en France. Un milieu présentant de nombreux atouts pour mener une étude fiable et riche d’enseignements, un écosystème microscopique, mais révélateur.

 

 

Jusqu’où se transporte la pollution ? Dans quelle mesure son impact est-il significatif ? Si la pollution atmosphérique a déjà fait l’objet de nombreuses études en zone urbaine, sa portée est mal connue dès lors que l’on s’en éloigne, les analyses dans les milieux naturels étant compliquées à mettre en œuvre et coûteuses. Dans ce contexte, proposer la tourbière à sphaignes comme terrain d’étude est une idée avant-gardiste, à mettre à l’actif du laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté. Milieu stable, abritant un écosystème riche et varié, la tourbière recèle en outre de précieuses informations sur le passé. Convaincus de la pertinence de ce projet, le ministère de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, ainsi que l’ADEME ont engagé un programme de recherche Primequal Predit pour une durée de trois ans, visant à le concrétiser. Le laboratoire ThéMA — Théoriser et modéliser pour aménager — de l’université de Franche-Comté et le laboratoire de Biologie du sol de l’université de Neuchâtel sont, entre autres, associés aux recherches. 

 

 

Carte des tourbières (une cinquantaine) ayant fait l'objet de prélèvements

 

Une cinquantaine de tourbières ont fait simultanément l'objet de prélèvements

 

 

 

 

À la rencontre du passé

 

La tourbière, à ce stade de l’expérience, n’a pas encore livré tous ses secrets. Elle a emmagasiné dans son substrat, sur des centaines, voire des milliers d’années, la mémoire des pollutions passées. En prélevant des carottes de tourbe, on peut mettre en évidence du plomb datant de l’époque romaine ! Le programme de recherche Primequal Predit s’intéressera surtout aux deux derniers siècles pour constater l’évolution de la nature et de l’importance de la pollution, et juger des répercussions des politiques mises en place pour la réduire, notamment avec l’interdiction d’utiliser certains produits toxiques. « Dans les mousses vivent des amibes à thèque, des micro-organismes unicellulaires, dont la coquille est conservée dans la tourbe, explique Daniel Gilbert. Ce sont de très bons indicateurs de pollution à long terme, et leur étude comparée aux relevés actuels est pleine d’enseignements ».

 

 

 

Les premières investigations ont été menées à l’automne 2010, en simultané sur cinquante sites dans le quart nord-est de la France, une opération sans précédent jusqu’à aujourd’hui. « Une expédition pas toujours commode, raconte Daniel Gilbert, chercheur au laboratoire Chrono-environnement, avec des tourbières difficiles d’accès, et parfois situées sur des propriétés privées ou en zones protégées… La préparation nous a demandé six mois avant d’aller sur le terrain ! » Une organisation sans faille, indispensable pour pouvoir effectuer les relevés sur tous les sites en quelques jours seulement, et ainsi établir des comparaisons valables.

 

 

Un terrain d’étude privilégié

La tourbière à sphaignes possède une particularité rare : quelle que soit sa localisation géographique sur la planète, elle présente partout les mêmes caractéristiques écologiques, ce qui permet d’établir des rapprochements en toute fiabilité. Par ailleurs, sa forme bombée laisse s’écouler naturellement l’eau de pluie, et les sphaignes, agissant comme de véritables éponges, absorbent tous les résidus polluants. Les prélèvements de mousse permettent de dresser un état des lieux et de quantifier les éléments dont elle est pétrie. Les échantillons sont analysés au laboratoire Chrono-environnement pour mettre en évidence la présence de composés chimiques comme le carbone, l’azote et le soufre. Au SERAC de l’université de Franche-Comté, le laboratoire de Chimie des eaux réalise le dosage des ETM (éléments-traces métalliques) comme le plomb, le cadmium ou l’arsenic, et des HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) tels le naphtalène, le pyrène… Une fois cet inventaire établi, le laboratoire ThéMA entre en scène, chargé de modéliser les résultats obtenus, de les croiser avec des informations d’ordre géographique pour leur donner une explication : localisation d’entreprises industrielles, de routes, de cours d’eau pollués, de terres cultivées, données climatiques…

 

Du côté du laboratoire Chrono-environnement, une autre étape s’amorce également. Les chercheurs regarderont comment agissent les substances identifiées sur les êtres vivants, et de quelle manière le fonctionnement de l’écosystème est affecté. Plusieurs centaines d’espèces microscopiques vivent en effet dans les tourbières, et des virus aux algues en passant par les bactéries, ce sont des populations variant, toute proportion gardée, de la taille d’un insecte à celle d’un éléphant, qui sont représentées ! Le nombre, la dimension et la variété de ces organismes constituent un monde vivant exceptionnel, de surcroît très sensible aux contaminants : quelques semaines suffisent à constater la dégénérescence des individus tout comme la modification du fonctionnement général du microécosystème. Le laboratoire Chrono-environnement a déposé un brevet pour protéger le procédé de prélèvement et d’analyse de mousses qu’il a mis au point. Si l’étude en cours apporte des résultats probants, les chercheurs ont l’ambition de l’étendre à toute l’Europe. Les premières conclusions devraient être livrées dans les prochains mois. Une question importante sera de déterminer dans quelle mesure les résultats obtenus à l’échelle microscopique pourront être transposés à l’échelle de l’écosystème tourbière. En filigrane, la question de la biodiversité se posera également : pourra-t-on imaginer un lien entre pollution à longue distance, si elle est avérée, et perte de diversité ?

 

 

Contact : Daniel GilbertNadine Bernard

Laboratoire Chrono-environnement

Université de Franche-Comté / CNRS

Tél. (0033/0) 3 81 99 46 95 / 46 89

 

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