Université de Franche-Comté

Les ordinateurs moléculaires sont peut-être pour demain

Alors que certains annoncent les limites prochaines de l'électronique sur silicium, de nouvelles voies sont étudiées pour repousser encore les frontières de la miniaturisation. C'est maintenant à l'échelle atomique et moléculaire que l'on peut envisager des systèmes actifs. L'Institut FEMTO-ST vient de franchir une étape en réussissant à déposer, à température ambiante et sur silicium, des molécules auto-organisées, à l'architecture maîtrisée.

 

 

La mémoire de nos ordinateurs fonctionne avec des transistors qui laissent ou non passer le courant, codant ainsi l'information avec des suites organisées de 0 et de 1. Malgré la loi de Moore, qui prédit une diminution par deux de la taille des transistors toutes les deux années et qui n'est toujours pas démentie, une limite due à la structure même des transistors va être atteinte. Fabriqués avec du silicium, leur taille moyenne est aujourd'hui de 90 nm ; certains experts estiment qu'ils ne pourront aller en deçà de 15 nm, les principaux verrous étant la finesse de la gravure et la dissipation thermique lors de leur fonctionnement. Les prévisions portent à 2020 la limite de développement en améliorant les techniques actuelles.

 

 

Vers des ordinateurs moléculaires

Une des pistes explorées pour descendre davantage dans l'infiniment petit est notamment étudiée par des chercheurs de l'Institut FEMTO-ST. Elle exploite l'organisation qu'adoptent certaines molécules lorsqu'elles sont déposées sur des surfaces. À l'instar des transistors sur un circuit intégré, ces molécules pourraient être déposées sur silicium de telle sorte qu'elles formeraient une matrice organisée et maîtrisée à l'échelle nanométrique. Les chercheurs partent de l'idée que les différents états des molécules pourraient faire office des 0 et 1 logiques et que ces changements rapides de conformation pourraient se faire en appliquant une impulsion de tension au-dessus de chaque molécule. Voilà donc posé le principe d'une mémoire moléculaire qui devrait être mille fois plus petite que celles actuellement commercialisées… Maintenant, tout reste à faire !

 

 

Dépôt des molécules sur une surface

Dans les technologies montantes (ou bottom up) de dépôt ou d'adsorption de molécules, un obstacle réside dans le fait que, jusqu'à présent, l'adsorption n'était maîtrisée que sur des surfaces métalliques et à des températures de l'ordre de 5 K (- 268°C). Outre l'obligation de travailler à des températures extrêmes, l'utilisation de substrats métalliques ne permet pas de développer des applications compatibles avec l'électronique actuelle, où le « tout silicium » domine. Un des premiers mérites de l'équipe a donc été de trouver une solution pour, d'une part s'affranchir des basses températures, d'autre part travailler sur substrat silicium.

 

 

Synthétiser la bonne molécule

La première étape consiste à trouver la bonne molécule qui va à la fois diffuser au bon endroit sur la surface, s'auto-organiser et réagir correctement aux sollicitations électriques. Pour cela, la synthèse chimique de molécules très diverses est faite au laboratoire. Leur adsorption à la surface du silicium dépend de nombreux facteurs, et en particulier d'un équilibre à trouver entre les forces intermoléculaires, agissant pour lier les molécules entre elles, et les forces de liaison entre le substrat et les molécules.

 

L'équipe propose une solution originale qui consiste à utiliser des zwitterions, c'est-à-dire des molécules qui contiennent à la fois des charges positives et négatives. Elles ont pu être déposées et auto-assemblées sur des sites spécifiques de la surface du semi-conducteur. Ces zwitterions, grâce à la répartition de leur charge, ne forment pas de liaisons entre leur cycle aromatique et le substrat, ce qui permet de conserver leurs propriétés électroniques.

 

 

Observer et comprendre les phénomènes à l'échelle nanométrique

En parallèle, l'équipe s'attache à visualiser et à comprendre comment s'organisent les molécules à l'échelle atomique. Il s'agit donc d'étudier plusieurs phénomènes tels que l'adsorption des molécules sur la surface, le passage d'un conformère à l'autre, la géométrie de l'assemblage… qui vont dépendre des interactions molécules / molécules et molécules / surface. Pour observer ces phénomènes qui se produisent à des échelles de quelques nanomètres, les chercheurs utilisent le microscope à effet tunnel STM du département MN2S — micronanosciences et systèmes — de FEMTO-ST (le seul de Franche-Comté).

 

 

image STM de deux énantiomères de l'auto-assemblage sur substrat en silicium

 

Image STM à température ambiante de deux énantiomères de l'auto-assemblage sur substrat en silicium

 

 

 

Un autre aspect du travail consiste à simuler les phénomènes pour déterminer leurs structures électroniques. Les méthodes de simulation sont fondées sur un traitement quantique de systèmes contenant plusieurs dizaines d'atomes. Ces calculs nécessitent des outils très puissants puisque la détermination d'un seul paramètre peut prendre plusieurs mois à un cluster de calcul comportant quelques dizaines de processeurs !

 

 

 

Courbes d'isodensité électronique des molécules adsorbées sur silicium 

 

Représentation des courbes d'isodensité électronique des molécules adsorbées sur silicium 

 

 

Toutes les étapes de la recherche sont réalisées en Franche-Comté

La grande force du groupe nanoscience nouvellement constitué vient de sa complémentarité. Toute la chaîne, de la synthèse des molécules à l'observation des molécules, en passant par le dépôt sous vide et la modélisation préalable des interactions électroniques, est maîtrisée par le département MN2S de FEMTO-ST. Un partenariat avec l'Institut UTINAM, dont le groupe de Christophe Ramseyer est spécialiste de la modélisation des nanostructures, permet de tester la validité des hypothèses émises pour ne retenir que quelques molécules, en même temps qu'elles sont un moyen, une fois l'adsorption réalisée, de comprendre et de quantifier les interactions en jeu entre les molécules et le substrat.

 

 

Une reconnaissance internationale

Une étape importante vient donc d'être franchie dans la compréhension des phénomènes d'auto-assemblage moléculaire réalisé à température ambiante et sur silicium. Ce travail (1) a fait l'objet de publications dans deux des plus grandes revues de chimie – Angewandte Chemie International Edition (2007, 46, 9287-9290) – et de physique – Physical Review Letters (à paraître en février 2008). La reconnaissance de la pluridisciplinarité du groupe dans les deux communautés est assez remarquable. Ceci marque également une étape dans la longue marche vers la réalisation de composants moléculaires car les suites de ce travail sont potentiellement riches : interagir spécifiquement avec une molécule parmi un tapis de molécules identiques, s'assurer de la stabilité du système en température et à pression atmosphérique, mettre en œuvre une « tête de lecture »…

 

(1) Il a été labellisé par l'Agence nationale de la recherche qui financera une partie des travaux à venir avec la Région de Franche-Comté et la Communauté d'agglomération du Pays de Montbéliard.

 

 

Contact : Frank PalminoFrédéric Chérioux

MN2S – Institut FEMTO-ST

Université de Franche-Comté / UTBM / ENSMM / CNRS

Tél. (0033/0) 3 81 99 46 83 / (0033/0) 3 81 85 39 51

 

Retour en haut de page 

 

 

retour