Université de Franche-Comté

Le phénomène des vagues scélérates mis en lumière grâce à l’optique

L’application d’une solution mathématique en optique a permis de comprendre et de démontrer comment se forment, à la surface de l’eau, ces vagues géantes que l’on nomme « scélérates ». Une transposition judicieuse d’un même phénomène physique, apportant la preuve par l’expérience… dans une fibre optique !

Surgies de nulle part, créant la surprise et la stupéfaction, les vagues géantes restaient des phénomènes inexpliqués après avoir longtemps été reléguées au rang d’affabulations ou de légendes. Mais pour extraordinaires qu’elles soient, elles trouvent leur éclaircissement dans une solution mathématique découverte voilà plus de vingt-cinq ans, désormais avérée grâce à de toutes récentes expériences menées à l’instigation de John Dudley, chercheur au département d’Optique de l’Institut FEMTO-ST. C’est en 1983 que Howell Peregrine, scientifique britannique, décrit dans une solution mathématique le soliton hydrodynamique qui porte aujourd’hui son nom. Le soliton Peregrine est une onde solitaire non linéaire, évoluant en vague géante et disparaissant aussi brutalement qu’elle est apparue.

La prévision théorique trouve aujourd’hui son écho dans les travaux de recherche de l’équipe de John Dudley, confirmant enfin sa véracité. L’expérience, à défaut de pouvoir être menée en grandeur réelle sur l’eau, est réalisée grâce à des moyens optiques. L’idée de comparer la propagation de la lumière et celle de l’eau n’est pas nouvelle, mais date de 1884 ! Elle a fait son chemin depuis…

Une collaboration fructueuse

L’équipe Solitons, lasers et communications optiques du laboratoire interdisciplinaire Carnot de Bourgogne collabore depuis de nombreuses années avec l’équipe Optoélectronique du département d’Optique de l’Institut FEMTO-ST. L’une comme l’autre possèdent des compétences tant pour mener une réflexion théorique que pour concevoir une expérience pratique. Cependant, la plateforme bourguignonne possède des atouts en équipements lasers et fibres, liés à des applications en télécommunications optiques, qui lui ont donné la préférence pour réaliser l’expérimentation réelle. Le laboratoire a notamment pu travailler à partir de fibres optiques « standard », permettant d’envisager de dupliquer l’expérience autant de fois que nécessaire. « Durant les dernières années, explique Bertand Kibler, les analyses et les statistiques sur le sujet ont montré la présence de vagues géantes, mais ne pouvaient encore déterminer ni leur forme, ni l’endroit où elles intervenaient précisément ». C’est chose faite aujourd’hui, et la complémentarité des apports théoriques et appliqués des deux équipes a été le gage de ce succès.

Deux fréquences acoustiques au diapason

Une impulsion lumineuse envoyée dans une fibre optique en verre modifie les propriétés de ce matériau : le verre au cœur de la fibre se comporte comme un fluide. On injecte alors par lasers deux sons dans la fibre. Le premier est d’une fréquence assez élevée, le second, à l’inverse, très faible en amplitude, est à peine perceptible. Mais sa fréquence a la capacité de s’accorder à l’autre, à laquelle elle donne une toute petite modulation (inférieure à 1 %), qui va s’amplifier et non réduire progressivement, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer. Ce sont donc les fréquences sonores qui sont à l’origine de l’explication : l’identification de leur nature et de leur rôle permet sans conteste d’expliquer la formation des ondes génératrices des vagues géantes.

Il ne faut pas moins d’un kilomètre de fibre pour pouvoir observer et mesurer la formation, sur une zone infime, du jaillissement de l’onde. Sur l’eau, le phénomène est rigoureusement le même. L’eau possède naturellement sa propre fréquence qui « résonne » avec une excitation externe. Si par exemple une rafale de vent excite une vague à la même fréquence qu’elle et au moment adéquat, l’amplitude de cette vague augmente. « C’est un peu comme le système d’une balançoire, compare John Dudley. Si on pousse un enfant en train de faire de la balançoire au bon moment, on donne de l’amplitude à son mouvement. Mais cette impulsion doit intervenir à un moment bien précis, avant ou après, ça ne marche pas ! » L’expérience repousse les frontières de la recherche en montrant comment une vague scélérate peut se former alors même que l’étendue d’eau observée, océan, mer, lac, canal…, est calme, à des moments et en des endroits où les vents et les courants subaquatiques ne peuvent seuls expliquer l’apparition de vagues d’une hauteur et d’une soudaineté complètement anachroniques.

Le modèle prédictif de Peregrine et la mise en évidence du rôle des fréquences de bruit validant cette solution mathématique attestent que les conditions sont aujourd’hui réunies pour recréer artificiellement le phénomène des vagues scélérates, tout comme ils laissent envisager l’élaboration d’outils de prévision.

Confrontations d’expertises

La génération de supercontinuum constitue l’axe de travail privilégié de John Dudley. Ce n’est donc pas par hasard qu’il s’intéresse au phénomène des vagues scélérates. Il constitue une équipe de recherche sur le sujet autour de spécialistes à Paris et Dijon. Bertrand Kibler, au laboratoire ICB de l’université de Bourgogne, est un expert de ce type d’ondes en optique. À Paris, les scientifiques du domaine de l’océanographie apportent leur contribution sur toutes les questions relatives aux milieux marins. Ce consortium remporte l’adhésion de l’ANR lors d’un appel à projets pluridisciplinaires mêlant systèmes complexes et catastrophes naturelles. Le projet Manureva est validé début 2009 pour trois ans. Une petite année s’avère suffisante pour mettre au point l’expérience qui validera la thèse de Peregrine. Afin de l’homologuer de manière indiscutable, les membres du consortium décident de faire appel à d’autres experts : un chercheur australien d’origine russe, dont les travaux en mathématiques s’alignent sur ceux de Peregrine, ainsi que des spécialistes finlandais pour la vérification des calculs numériques. Au bout de quelques mois, le verdict s’annonce favorable ! L’expérience fait l’objet d’une publication scientifique en ligne sur Nature physics en août dernier. À mi-parcours du projet Manureva, le soliton de Peregrine a encore de belles heures d’études et de prospective devant lui.

Contact : John Dudley

Département d’Optique

Institut FEMTO-ST

Université de Franche-Comté / UTBM / ENSMM / CNRS

Tél. (0033/0) 3 81 66 64 94

Bertrand Kibler

Équipe Solitons, lasers et communications optiques

Laboratoire interdisciplinaire Carnot de Bourgogne

Université de Bourgogne / CNRS

Tél (0033/0) 3 80 39 59 32

 

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