Université de Franche-Comté

Le bouquetin des Alpes
est-il vraiment sauvé ?

La population de bouquetins des Alpes s’est effondrée jusqu’à un stade très critique au XIXe siècle, avant de voir le nombre de ses individus remonter à un niveau satisfaisant au cours du siècle suivant. Les données de la génétique tempèrent ce qui est considéré comme un succès pour la sauvegarde de l’espèce.

 

Photo Gregoire Wallaert / Pixabay

 

Une espèce peut-elle être menacée d’extinction même si sa population compte un nombre satisfaisant d’individus ? C’est possible, car si cette condition est nécessaire, elle n’est pas toujours suffisante : dès lors que les effectifs baissent fortement à un moment donné de l’évolution de l’espèce, des paramètres génétiques entrent en jeu et bouleversent la donne.
C’est ce que Daniel Croll et son équipe ont mis en évidence au laboratoire de génétique évolutive de l’université de Neuchâtel. Le bouquetin des Alpes est l’espèce emblématique à laquelle ils se sont intéressés pour étayer leur démonstration scientifique.
En régression depuis le Moyen Âge, le bouquetin a vu sa population réduite à une centaine d’individus au XIXe siècle. Depuis la réserve de chasse du roi d’Italie Vittorio Emanuele II où subsistait cette population, l’espèce a été réintroduite dans les Alpes où l’on peut se réjouir aujourd’hui de dénombrer quelque 50 000 individus.

 

 

Quand la génétique s’en mêle…

Mais Daniel Croll tempère cet enthousiasme : « Bien que ce chiffre soit considéré comme un succès sans précédent dans la conservation des espèces, notre étude démontre qu’au niveau génétique, l’histoire est bien plus compliquée et que la conclusion mérite d’être relativisée ».
En cause, les mutations dites délétères que chaque espèce porte dans son génome, et qui sont responsables du développement de maladies congénitales d’une génération à l’autre. Une espèce est en général capable de limiter le nombre de ces mutations grâce à un processus de contre sélection. « Mais lorsque l’effectif est très réduit, comme c’est le cas ici, la charge des mutations délétères augmente considérablement. Dans le cas des bouquetins, ce phénomène a été accentué par le mode de recolonisation mis en œuvre au XIXe siècle. » L’espèce a aussi subi une perte de diversité biologique, qui la rend plus vulnérable aux maladies. C’est ainsi que 200 bouquetins victimes d’une épidémie de brucellose ont dû être abattus en 2012 en France.

Photo Felix Mittermeier / Pixabay

Apportant un peu de consolation au tableau, l’équipe neuchâteloise a cependant démontré l’efficacité d’un mécanisme appelé « purge », grâce auquel le bouquetin a réussi à limiter l’importance de ces mutations délétères. Ce mécanisme connu en théorie n’avait jusque-là fait l’objet d’aucune preuve.
Considérant l’aspect génétique, les chercheurs estiment en tout état de cause que la population d’une espèce ne devrait pas passer sous la barre des 1000 individus au cours de son histoire pour ne pas être menacée d’extinction.
Ces conclusions concernent également d’autres espèces en danger, comme le gorille des montagnes, le tigre sibérien, le lynx ibérique ou le panda géant, et pourraient aider à la mise en œuvre des plans de recolonisation des espèces.

Contact(s) : Laboratoire de génétique évolutive
Université de Neuchâtel
Daniel Croll
Tél. +41 (0)32 718 23 30
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