Université de Franche-Comté

L’art de la mesure

La mesure, préambule indispensable à toute quantification et à toute comparaison, ne s'arrête jamais.

Où il sera question d'étalons, de microscopes et de contrôle de qualité

 

Des arpenteurs romains aux interféromètres actuels, de la clepsydre aux horloges atomiques et oscillateurs ultrastables… une tonne d'ingéniosité a été déployée pour mesurer des grandeurs improbables, en tentant de repousser les limites posées par la science ou la technique du moment. Car à chaque avancée vers l'infiniment grand, l'infiniment petit ou vers le plus complexe, il faut inventer des outils de mesure nouveaux. Ce qui implique que se définisse en permanence de nouvelles références et de nouveaux étalons pour établir les grandeurs physiques, pour ensuite pouvoir comparer les résultats et, dans le champ de l'industrie, pouvoir qualifier la production.

 

 

SOMMAIRE

 

 

Du temps et des fréquences à l'état de l'art

 

Vers les fréquences de l'optique

 

Un thermomètre en caméras CCD

 

Le plus petit thermocouple au monde

 

Élasticité sous la surface

 

La métrologie dans l'industrie

 

L'avenir : la mesure sans contact 3D

 

Analyse en profondeur

 

Conclusion

 

 

 

  

 

Du temps et des fréquences à l'état de l'art

Parmi ces grandeurs physiques, le temps est celle qui est mesurée avec le plus de précision et de stabilité. À tel point que le mètre est défini comme la longueur du trajet parcouru dans le vide par la lumière pendant une fraction précise de seconde (1/299792458). À Besançon, des recherches sont menées pour améliorer les références de mesure du temps, en ce qui concerne sa précision à court terme ou sa stabilité à long terme, ou encore en mixant les deux pour bénéficier des avantages des uns et des autres. Si l'amélioration de la précision sur la seconde, en utilisant de nouvelles sources de fréquences comme la gamme optique, est l'apanage du laboratoire SYRTE, le LNE-LTFB, se spécialise, lui, dans les applications vers les systèmes industriels. Un projet pour lequel il a déjà consacré deux thèses consiste à construire une référence de temps qui aurait l'avantage du maser à hydrogène pour la stabilité à court terme et celui de l'horloge à césium pour la stabilité sur le long terme. Un premier prototype sera prêt dans les mois qui viennent. Il donnera accès à une échelle de temps local ultrastable et ultraprécise, aux performances inégalées pour des applications industrielles. Développée grâce à Interreg (favorisant les projets de développement transfrontaliers), l'horloge composite a déjà intéressé OSCILLOQUARTZ, une entreprise neuchâteloise de fabrication d'oscillateurs à quartz de haute précision et de vente de systèmes de synchronisation.

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Vers les fréquences de l'optique

Les recherches qui accompagnent les activités de métrologie du LNE-LTFB s'orientent beaucoup vers la création et l'amélioration de bancs de mesure. Depuis 2005, avec le département optique de FEMTO-ST, l'équipe travaille à la mise au point d'un banc de bruit de phase optoélectronique, c'est-à-dire un banc de mesure capable de qualifier, sous accréditation COFRAC, tous les oscillateurs entre 8 et 12 GHz. Le LNE suit de près les avancées de ce projet, notamment en finançant une partie des recherches, car de plus en plus il est question de remplacer les oscillateurs à quartz par des oscillateurs beaucoup plus rapides œuvrant dans les fréquences optiques, selon le précepte que plus les oscillateurs sont rapides, plus ils sont précis. Ils promettent ainsi des incertitudes de l'ordre de 10-18, au lieu des 10-15 de l'état de l'art actuel. Ainsi, la métrologie stricto sensu s'applique à améliorer les étalons primaires servant à mesurer les grandeurs physiques, à partir desquels seront construits des étalons secondaires et autour desquels toute une chaîne découle dans laquelle prennent part les accréditations COFRAC.

 

Mais il existe une métrologie plus générale qui consiste à inventer des appareils de mesure, calibrés sur les étalons pour caractériser des systèmes ou des objets. Ceux-ci s'inventent au fur et à mesure des besoins, et les petites échelles sont particulièrement demandeuses.

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Un thermomètre en caméras CCD

Certaines dimensions résistent d'ailleurs toujours à la mesure. Par exemple, l'un des problèmes des cartes-mères est lié à la concentration de microprocesseurs sur une petite surface. Ils chauffent très localement, ce qui induit des dilatations importantes dans le plan, et donc des risques de rupture du matériau.

 

 

Mesure effectuée par le thermographe de FEMTO-ST sur un dispositif de dimension micrométrique

 

Exemple d'une mesure effectuée par le thermographe de FEMTO-ST

sur un dispositif de dimension micrométrique

 

 

À ce jour, aucun système n'est susceptible de mesurer ces dilatations. S'il n'atteint pas le cœur des processeurs, le département MN2S de FEMTO-ST s'approche aux bords des pistes de la carte pour mesurer la température, ce qui constitue en soi une avancée majeure répondant à des besoins industriels impérieux. Ce sont des caméras CCD en silicium qui détectent les radiations émises par un matériau. Contrairement à la thermographie infrarouge, couramment utilisée, ce « thermomètre » est peu sensible aux propriétés optiques de la surface de l'échantillon, gage d'une plus grande confiance dans les résultats obtenus. Il a également le mérite d'une résolution spatiale inférieure à 500 nm et une résolution en température inférieure à 1°C quand les températures mesurées sont supérieures à 287°C.

 

Pour augmenter la plage de fonctionnement vers des températures plus basses, le système d'acquisition par caméra CCD a été complété d'un algorithme qui, en démultipliant l'information collectée, permet de garder la même résolution spatiale et la même précision sur la température. Ce thermographe est entièrement validé et calibré. Des projets de transfert sont en cours car il n'existe pas de technique autre d'acquisition précise, rapide, relativement peu onéreuse et facile à mettre en œuvre.

 

Sans doute parce qu'on ne sait pas précisément ce qu'elle signifie, la température est l'une des grandeurs la plus difficile à mesurer, surtout lorsqu'on sort des comportements macroscopiques de la matière.

 

Une autre piste est poursuivie pour améliorer la mesure de la température à des échelles submicrométriques. Sur le principe de la microscopie à champ proche, la même équipe a mis au point un thermocouple, dit intrinsèque parce qu'il est créé au contact de la pointe du microscope avec un échantillon conducteur et qu'il utilise l'effet Seebeck. La poutre et l'échantillon doivent donc être métalliques. La surface de contact entre les deux est de l'ordre de 2 à 0,5 μm. Les premières comparaisons entre ce thermocouple intrinsèque et un thermocouple classique montrent une résolution spatiale nettement supérieure pour le premier, la température étant exactement celle du point de contact.

 

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Le plus petit thermocouple au monde

Comment mesurer la température dans un écoulement de gaz oscillant que l'on trouve au sein de moteurs thermiques, de systèmes de climatisation, de compresseurs… ? Le département ENISYS de FEMTO-ST, spécialisé entre autres dans la métrologie en énergétique, a conçu une microsonde thermoanémométrique destinée à la mesure simultanée de la température et de la vitesse dans des écoulements de gaz.

 

L'application industrielle concerne les écogénérateurs à moteur Stirling pour GDF-SUEZ. Ce sont des chaudières, de type microcogénération, qui produisent simultanément de la chaleur et de l'électricité pour l'habitat. La sonde thermoanémométrique est constituée de deux microthermocouples de dimensions différentes (7,6 μm et 12,7 μm). Les faibles dimensions des capteurs permettent de mesurer des signaux dans des gammes de fréquence compatibles avec le fonctionnement de l'écogénérateur, sans correction temporelle. Chaque thermocouple mesure une température légèrement décalée dans le temps. Ce léger décalage permet ensuite de remonter à la vitesse du gaz à partir d'une méthode de traitement de données développée à ENISYS.

 

 

Sonde à deux thermocouples

 

Sonde à deux thermocouples

 

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Étalonnage de temps

 

Le Laboratoire temps-fréquence de Besançon (LTFB) est l'un des six en France associés au Laboratoire national de métrologie et d'essai (LNE). Il est également accrédité par le COFRAC — Comité français d'accréditation — pour délivrer des certificats d'étalonnage NF EN ISO/CEI 17025. Créé en 2008, le LTFB associe deux compétences. Celles de l'Observatoire des sciences de l'Univers dans la métrologie du temps à long terme (24 h) qui utilise comme référence le césium et le rubidium ; et celles du département temps-fréquence de FEMTO-ST (ex-Laboratoire de physique et de métrologie des oscillateurs) qui, lui, possède des bancs de mesure pour le court terme temporel (entre 0,1 et 100 s) et pour les spectres de densité spectrale du bruit de phase. Le LTFB a acquis une reconnaissance internationale dans sa capacité à étalonner des références de temps et de fréquence, qui se traduit au niveau national dans les CMC — capacités d'étalonnage et de mesurage (ou calibration and measurement capabilities). Recensées sur le site du Bureau international des poids et mesures (BIPM) de Sèvres, ces CMC affichent dans chaque domaine les meilleures compétences de chacun des pays participant à la Conférence internationale des poids et mesures. Le LNE-LTFB est ainsi dépositaire d'une grande partie des CMC nationales dans le domaine temps-fréquence.

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Élasticité sous la surface

Les besoins de caractérisation sont immenses pour les microsystèmes. Pour mesurer les propriétés élastiques à l'intérieur des matériaux massifs ou en couche mince, les microscopes acoustiques à sonde locale paraissent l'instrument idéal. Un microlevier porte une pointe, dont le diamètre à l'extrémité est de 5 à 20 μm, qui est mise en excitation par un transducteur vibrant à des fréquences données. La pointe balaie l'échantillon et ce sont les interactions entre les deux qui sont enregistrées. Malheureusement, le transducteur engendre des artefacts de mesure qui limitent la précision du microscope. Pour y remédier, le département MN2S (équipe MINANO), a exploré une piste originale : le bruit thermomécanique, c'est-à-dire l'agitation moléculaire du milieu ambiant induite par la chaleur, met de facto la pointe en vibration. À la fréquence de résonance, l'amplitude atteinte est de l'ordre de la dizaine de femto- mètre. Ce déplacement suffit pour obtenir en retour des décalages en fréquence dus aux propriétés du matériau scanné. Avec ce nouveau système, le microscope à sonde locale arrive à des précisions de l'ordre de 5 % sur le module de Young, qui caractérise l'élasticité. Pour atteindre une bonne localisation spatiale, la forme du levier a été changée : au lieu d'un rectangle, c'est maintenant une structure en W qui porte la pointe fabriquée dans la centrale MIMENTO. Ce microlevier innovant permet une autocompensation du déplacement latéral que l'on obtient avec les leviers classiques et qui ne permettent donc pas d'assurer une localisation fine de l'interaction et donc de la mesure. Ce changement n'est pas anodin : il implique de revoir tout le modèle numérique. Mais le jeu en vaut la chandelle : l'équipe espère des rapports de diminution de ce déplacement latéral de 2 à 20. Pour ce projet, le laboratoire a été approché par VEECO, un des leaders de la commercialisation des AFM (microscopes à forces atomiques).

 

 

Nouveaux microleviers en

 

Nouveaux microleviers en « W » réalisés dans la centrale MIMENTO

 

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La métrologie dans l'industrie

En recherche appliquée, les besoins en métrologie, que ce soit en interne ou pour de grands comptes, amènent à repousser les limites. Dans le monde industriel, la problématique est un peu différente ; elle revient à mieux contrôler la production pour répondre à un souci de qualité. En ce temps de crise du monde industriel, sans doute que la priorité des PME / PMI reste de maintenir leur activité. Néanmoins, de nouvelles normes sortent sans cesse, liées à de nouveaux systèmes de métrologie. Quel est l'intérêt pour une entreprise de se les approprier ? Le passage de la 2D à la 3D pour la mesure des états de surface, par exemple, est une piste prometteuse.

 

Le CETIM s'est équipé de nouveaux moyens, notamment d'une machine DIGITAL SURF, permettant des mesures avec et sans contact, en 2D et 3D, et travaille sur des projets de recherche en vue d'établir le guide Critères EDS pertinents -Fonction mécanique à assurer, dans le but d'orienter les industriels vers une meilleure maîtrise de leurs processus au juste coût. D'autres domaines sont également en fort développement comme les mesures de grandes longueurs et de numérisation sans contact ou la photogrammétrie, chaque système comportant des intérêts spécifiques, mais aussi des contraintes et des limites, qu'il faut savoir identifier.

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L'avenir : la mesure sans contact 3D

En favorisant la dissémination de ces technologies, par la formation, la normalisation, la mutualisation parfois, le CETIM entend amener un gain dans les entreprises, qui s'exprime par une rapidité d'acquisition accrue, le traitement possible d'un grand nombre de points et, en aval, un système d'analyse plus efficace. De plus, les mesures peuvent être faites sur site, dans les ateliers de production. Dans le cas d'expertise sur de gros équipements, les mesures de contrôle peuvent ainsi être réalisées en cours de fonctionnement, sans démonter les machines. Des sociétés sous-traitantes se mettent en place pour assurer ce service.

 

 

Obtention d'un diagramme de franges interférométriques épousant les courbes de niveaux de la pièce mesurée (résonateur à quartz diamètre 2cm)

 

Obtention d'un diagramme de franges interférométriques

épousant les courbes de niveaux de la pièce mesurée

(résonateur à quartz Ø 2 cm) 

 

 

L'Institut Pierre Vernier (IPV) travaille dans le même sens, en proposant dans son atelier pilote un interféromètre grand champ (le Verifire XP Zygo – cf. en direct supplément IPV n° 226, octobre 2009). Il permet, sans contact, d'analyser des pièces en silicium, verre, céramiques, cristaux, polymères… pouvant mesurer jusqu'à 100 mm de diamètre. Cet interféromètre est capable de détecter quasiment instantanément (sans balayage spatial) des déformations de planéité pouvant aller du nanomètre jusqu'à l'ordre de la centaine de microns dans son champ total. Le contrôle de la qualité de wafers fournis par des constructeurs standard est un exemple d'utilisation de la machine. Dans le cas de soudures, une planéité presque parfaite est nécessaire. L'interféromètre a permis de révéler les insuffisances de wafers commerciaux standard de la microélectronique dans le cadre du projet de wafer bonding déployé au sein du Pôle des Microtechniques. Un vaste plan d'étude de modification des spécifications de ces wafers est en cours.

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Analyse en profondeur

L'atelier pilote de l'IPV recèle un autre bijou capable d'atteindre des précisions inférieures au micromètre sur la mesure de petites pièces à la découpe compliquée. Trois capteurs équipent ce profilomètre de surface ultrahaute précision. Le premier peut atteindre des profondeurs de l'ordre du millimètre. Le deuxième, un capteur optique, mesure des découpes jusqu'à 400 μm de profondeur, mais avec des précisions supérieures au premier. Le troisième est un capteur inductif low force (donc avec contact) qui permet de caractériser, entre autres, des pièces usinées en matériau ductile. Si ce profilomètre peut s'enorgueillir de telles performances, c'est parce qu'il est renforcé par un interféromètre laser qui détecte, pendant la mesure, les jeux dans le déplacement de l'échantillon selon l'axe z. Les erreurs sont donc corrigées en temps réel. La rugosité, l'ondulation, la hauteur de marche sont toutes des grandeurs que le profilomètre peut fournir, et ceci pour toutes formes de matériaux : métaux, polymères, silicium… que les pièces soient mates ou brillantes, transparentes ou opaques. Il est même envisageable de caractériser une couche inférieure lorsque la première est transparente pour, par exemple, vérifier dans une pièce encapsulée le bon positionnement des éléments.

 

Ces équipements, auxquels s'ajoute un Vertex 120 qui réalise des mesures 3D par analyse d'image, peuvent être mis à disposition des industriels dans le cadre de leurs projets de développement ou d'amélioration de leur production.

 

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Pour atteindre des précisions de mesure propres à comprendre les phénomènes et à améliorer la production du monde industriel, toute la chaîne de mesure, de la définition d'étalon aux développements de nouveaux outils, en passant par les accréditations COFRAC, toute cette chaîne est nécessaire. Dans les ateliers de production et d'assemblage, une autre problématique est en jeu : quelle précision est-il réellement utile d'atteindre sur telle pièce pour obtenir un système assemblé le plus ajusté possible ? Ces questions de tolérance font l'objet de nombreux travaux avec la tolérance inertielle. Mais ceci est une autre histoire, faite de statistiques et d'optimisation.

 

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Contact : Patrice Salzenstein

LNE-LTFB

Institut FEMTO-ST

Université de Franche-Comté / UTBM / ENSMM / CNRS

Tél. (0033/0) 3 81 40 28 49 

 

 

François Meyer

LNE-LTFB

Observatoire des sciences de l'Univers

Tél. (0033/0)3 81 66 69 27

 

 

Pascal VairacDamien Teyssieux

Département MN2S

Institut FEMTO-ST

Université de Franche-Comté / UTBM / ENSMM / CNRS

Tél. (0033/0) 3 81 85 39 76 / 39 83 

 

 

François Lanzetta

Département ENISYS

Institut FEMTO-ST

Université de Franche-Comté / UTBM / ENSMM / CNRS

Tél. (0033/0) 3 81 84 57 82 24

 

 

Abdellah Boulouize

Atelier Métrologie 

Institut Pierre Vernier

Tél. (0033/0) 3 81 40 57 08 

 

 

Pascal Sessa

CETIM Senlis

Tél. (0033/0) 3 44 67 31 78

 

 

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